Documents historiques – Guerre de Libération nationale : la voix de l’humaniste Sartre contre celle du colonialiste Mitterrand
Algeriepatriotique publie des passages de l’intervention de François Mitterrand devant l’Assemblée française, douze jours après le déclenchement de la lutte armée, et le Manifeste des 121 contre la politique colonialiste de la France. Deux discours aux antipodes l’un de l’autre ; le premier belliciste et expansionniste, le second pacifiste et juste.
François Mitterrand : «L’Algérie, c’est la France !»
«Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, soixante-dix attentats sont perpétrés en Algérie. Voilà donc qu’un peu partout, d’un seul coup, se répand le bruit que l’Algérie est à feu et à sang. De même que le Maroc et la Tunisie ont connu ce phénomène du terrorisme individuel dans les villes et dans les campagnes, faut-il que l’Algérie ferme la boucle de cette ceinture du monde en révolte depuis quinze ans contre les nations qui prétendaient les tenir en tutelle ? Eh bien, non ! Cela ne sera pas, parce qu’il se trouve que l’Algérie, c’est la France ; parce qu’il se trouve que les départements d’Algérie sont des départements de la République française. Des Flandres jusqu’au Congo (…), partout la loi s’impose et cette loi est la loi française, c’est celle que vous votez parce qu’il n’y a qu’un seul Parlement et qu’une seule nation dans les territoires d’outre-mer, comme dans les départements d’Algérie, comme dans la métropole (…). Les mesures que nous avons prises ont été immédiates (…). En l’espace de trois jours, seize compagnies républicaines de sécurité ont été transportées en Algérie, ce qui a porté à vingt le nombre total de ces compagnies sur le territoire algérien. En trois jours, tout a été mis en place. On a dit : «Est-ce pour maintenir l’ordre ?» Non, pas seulement. Mais pour affirmer la force française et marquer notre volonté».
Extraits du discours prononcé par François Mitterrand, ministre de l’Intérieur du gouvernement Pierre Mendès France à l’Assemblée nationale française, le 12 novembre 1954.
Le Manifeste des 121 : «Non à la soumission honteuse !»
«De plus en plus nombreux, des Français poursuivis, emprisonnés, condamnés pour s’être refusés à participer à cette guerre ou pour être venus en aide à de combattants algériens. (…) Pour les Algériens, la lutte, poursuivie soit par des moyens militaires soit par des moyens diplomatiques, ne comporte aucune équivoque. C’est une guerre d’Indépendance nationale. Mais pour les Français, quelle en est la nature ? Ce n’est pas une guerre étrangère. Jamais le territoire de la France n’a été menacé. Il y a plus : elle est menée contre des hommes que l’Etat affecte de considérer comme français, mais qui eux, luttent précisément pour cesser de l’être. (…) L’Etat a d’abord mobilisé des classes entières de citoyens à seule fin d’accomplir ce qu’il désignait lui-même comme une besogne de police, contre une population opprimée, laquelle ne s’est révoltée que par un souci de dignité élémentaire, puisqu’elle exige d’être enfin reconnue comme communauté indépendante. (…) C’est, aujourd’hui, principalement la volonté de l’armée qui entretient ce combat criminel et absurde, et cette armée (…) agissant parfois ouvertement et violemment en dehors de toute légalité, (…) compromet et risque de pervertir la nation même, en forçant les citoyens sous ses ordres à se faire complice d’une action factieuse et avilissante. Faut-il rappeler que, quinze ans après la destruction de l’ordre hitlérien, le militarisme français, par suite des exigences d’une telle guerre, est parvenu à restaurer la torture et à en faire à nouveau comme une institution en Europe ? C’est dans ces conditions que beaucoup de Français en sont venus à remettre en cause le sens de valeurs et d’obligations traditionnelles. Qu’est-ce que le civisme lorsque, dans certaines circonstances, il devient soumission honteuse ? N’y a-t-il pas des cas où le refus est un devoir sacré, où la «trahison» signifie le respect courageux du vrai ?».
Texte rédigé sur initiative du philosophe Jean-Paul Sartre en septembre 1960.
M. A.-A.
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