De la profession de foi au rêve américain
Par Farouk Zahi – «On ne ment jamais tant qu’avant les élections, pendant la guerre et après la chasse» (Georges Clémenceau, homme d’Etat français)
Tel un rite mystique, ces processions de véhicules rutilants déposeront, probablement, pour la première et dernière fois des personnages vus une ou deux fois au journal télévisé. Leur visite sortira le village, momentanément, de sa torpeur coutumière. La vie publique qui ne peut plus se passer de la couleur locale, s’ingénie à créer l’évènement festif en convoquant moult troupes folkloriques, fantasia et autre karkabou. Cette tradition atavique remontant aux temps du beylik et du caïdat n’est rien d’autre qu’un ludique intermède pour attirer les foules.
Dans la salle apprêtée pour la circonstance, les «cerbères» du leader font les gros yeux pour annihiler toute tentative d’approche de l’orateur haut perché sur la tribune. Les clameurs des militants surchauffés par des hymnes patriotiques déversés à gros décibels donneront l’illusion aussi momentanée qu’éphémère que les voies royales du palais présidentiel ne sont pas si loin. Le poster géant du leader – se déclarant pourtant contre le culte de la personnalité – placé çà et là ne manquera pas de nourrir le rêve. Une sorte de répétition pour des fonctions hautement plus valorisantes. Sinon pourquoi consacrer autant d’efforts et d’argent pour une simple représentation populaire, même à dimension nationale. Les symboles savamment choisis ponctueront le discours qui se fera de manière répétitive tout le long de cette campagne des législatives de mai 2017 qui durera vingt jours à partir du 9 du mois d’avril. Pour débuter leur campagne, certains choisiront El-Madania (ex-Clos Salembier), en référence à la réunion des «22» historiques du 26 juin 1954, conclave qui a décidé du déclenchement de la Révolution, d’autres la wilaya d’El-Tarf pour sa charge historique, diront-ils, d’autres les Aurès ou le Tassili. Et c’est justement en ces moments mêmes que l’on se rappelle du développement local, de l’environnement et des couches défavorisées, le reste du temps, c’est haro sur le baudet. D’autres vont jusqu’à promettre la levée du gèle sur les investissements en dépit d’une situation budgétaire sensible du pays. Tant qu’à faire, on n’est pas loin de promettre la lune. Certains s’en iront carrément dans l’appropriation des acquis consentis en faveur de la population, logements, routes, éducation et santé. C’est nous l’Etat, osent certains qui apparemment n’ont aucun programme à proposer. Cette campagne dédiée aux candidats semble être menée par les leaders des différentes chapelles politiques qui en toute apparence se livrent à une foire d’empoigne devant un public médusé.
La confusion est entretenue entre le législatif et l’exécutif soit par euphorie, soit, plus grave encore, par calcul électoraliste. Le potentiel, pour ne pas dire l’aléatoire électeur, sachant très bien distinguer le bon grain de l’ivraie, rira sous cape à l’énoncé des déclarations d’intention. Il sait par avance que celui qui ne détient pas les cordons de la bourse fait dans la chimère. Il nous revient à l’esprit ce fait anecdotique qui s’est déroulé dans les années 1980 au cours d’une tournée du défunt Conseil de coordination présidé par le commissaire du parti (mouhafedh) à une commune steppique. Le maire, enturbanné et apparemment peu instruit, en s’adressant au wali, se fit interpeller par le responsable politique qui voulait ainsi marquer sa prééminence. L’éleveur, point démonté, fit cette réponse cinglante à son interlocuteur : «Si el-mouhafedh… quand il s’agit de paroles on s’adresse à vous, mais quand il s’agit d’argent, c’est à lui que je m’adresse !», en montrant du doigt le chef de l’exécutif. La messe était ainsi dite.
La base dite militante ne manquera pas de les affubler du costume local sous la forme d’un burnous noir chaoui ou brun des Hauts-Plateaux, de la chéchia mozabite ou du basane targui. Certaines personnalités de teint clair, rappelant plus le genre nordique qu’autochtone, versent plutôt dans le burlesque, loin de l’image du Targui d’Illizi ou du Reguibi de Tindouf qu’elles veulent renvoyer.
Cette Algérie profonde que peu de responsables politiques ou autres connaissent, du moins dans son quotidien, est surprenante quand il s’agit de choses aussi graves que sa représentation dans les institutions constitutionnelles. L’électeur qui n’est plus celui à qui on tenait la main pour glisser son bulletin de vote dans l’urne, pragmatique et nourri aux sources mêmes de l’information, rendue possible par la magie des réseaux sociaux, n’attend pas moins de son élu un accompagnement sans à-coups. Si ce futur député n’est pas capable d’intermédiation entre lui et le chef d’établissement public, l’édile, le wali ou le membre du gouvernement même, son sort sera définitivement scellé, car de personnage adulé, il n’aura plus droit à la déférence due à son statut. Cette démarche en faveur de l’électorat n’est en rien comprise comme un passe-droit en faveur de celui-ci, mais juste un retour des choses par le renvoi d’ascenseur.
Le discours développé pour haranguer les foules n’est qu’une une pâle copie de ce qui est communément développé par les pouvoirs publics eux-mêmes. Il est généralement sustenté par les problématiques du logement, de l’emploi, des infrastructures et de la sécurité des frontières, sauf que les formations politiques qui ne gravitent pas autour des centres de décision n’ont aucune chance pour voir leurs promesses électorales aboutir de si tôt. Intiment convaincu, le citoyen averti n’en croira pas un traitre mot. Les discours de la campagne seront, à un lieu géographique et un fait historique près, les mêmes pour chanter les vertus de cette région jadis combattante, qui a donné par le passé telle figure nationale ou abrité telle civilisation. Massinissa, Dyhia, l’Emir Abdelkader, Cheikh Amoud, Si El-Haouès, Boumediene et Boudiaf seront convoqués, chacun dans son fief d’origine, pour caresser dans le sens du poil. Pendant que les orateurs s’égosillent à convaincre un parterre acquis à leur cause – au vu de la tonalité développée dès le premier jour, beaucoup d’entre eux termineront le parcours aphones –, le prétendu électeur fera défiler des images déjà vécues porteuses d’aigreur dépitée. Le candidat si affable et si avenant aujourd’hui sera cet homme condescendant que peu de personnes pourront approcher plus tard.
Ces visites au «pays» seront de plus en plus espacées, pour ne pas dire exceptionnelles. Il réapparaîtra, cependant, avec un membre du gouvernement en visite de travail dans sa circonscription électorale pour faire bonne figure. Il fréquentera le gotha mondain de la capitale pour en faire son nouveau milieu. Son ambition démesurée lui fera entrevoir d’autres perspectives à même de le hisser au pinacle de la notoriété et de l’aisance financière à vie après deux mandats bien remplis.
L’indemnité de fin de mandat pourrait même lui faire acquérir une limousine en rapport avec son ancien statut. Pourtant, les annales de l’auguste assemblée n’ont pas eu que des esclandres ou des frasques, mais des comportements dignes et irréprochables de personnalités à la stature de chef d’Etat.
L’imaginaire que se faisait la société de la députation est, malheureusement, écorné par les prébendes jusqu’aux rapines dénoncées au quotidien par la vox populi et la presse. Les scandales de corruption avérée et indignement étouffés n’arrangeront en rien les choses.
L’immunité parlementaire derrière laquelle halètent tant et tant de candidats n’est pas faite pour rassurer, encore moins rasséréner le citoyen, placé malgré lui entre l’enclume du revenu et le marteau de l’affolement de la mercuriale, compte non tenu des autres charges annexes du foyer. Ce citoyen sait, à ne pas en douter, que son sort est lié aux pouvoirs publics à travers leurs structures bureaucratiques qui détiennent tous les sésames de son quotidien. Ces lettres ouvertes adressées aux instances supérieures de l’Etat que publient régulièrement la presse, qu’elle soit indépendante ou étatique, renseignent un tant soit peu sur l’inopérance des canaux d’intermédiation. Même les justiciables détenant des arrêts de justice en leur faveur et faute d’exécution font recours à ce même canal médiatique.
La campagne électorale, menée tambour battant, sera dispendieuse et pour le service public et pour les partis. Le premier par les institutions mobilisées pour la circonstance, et pour les seconds à travers leurs candidats. Les mentors de l’affairisme ne manqueront pas de générosité soit en soutien direct ou indirect, «zerdas» et autres bombances.
Certains professionnels de la bonne table dénicheront tous les filons alimentaires dédiés à l’évènement. Pendant ce temps, tout ou presque est ajourné. Le leitmotiv sera : «Après les élections, inchallah !» Nous ne terminerons pas cette revue sans rapporter cette conversation entre un candidat aux législatives de 2007 et un haut fonctionnaire d’un organisme international en visite dans notre pays. A la question «Que faites-vous comme promesses aux électeurs ?», droit dans ses bottes, le candidat rétorque : «Je leur vends du rêve américain !».
F. Z.