Scénario d’un candidat-surprise sous le sigle du 4e mandat

Comment une campagne électorale pour un 4e mandat pourrait conduire à l'élection d'un président surprise autre que Bouteflika. Si aucune disposition constitutionnelle ou légale n'oblige tout candidat à faire campagne lui-même pour sa propre candidature à la magistrature suprême, outre l'obligation de déposer soit même le dossier portant déclaration de candidature auprès du Conseil constitutionnel, il demeure néanmoins indispensable de prêter publiquement serment en cas de victoire. L'état de santé de Bouteflika lui permettrait-il d'honorer cette obligation dont nul ne pourrait en être dispensé ? Dans le cas contraire, quels seraient les scénarios plausibles qui se seraient esquissés sous le sigle du quatrième mandat ? La campagne pour un 4e mandat pourrait-elle cacher une campagne pour un candidat-surprise ?
Éléments de réponse :
Références juridiques :
– Constitution de 1996, modifiée le 14 avril 2002 et le 15 novembre 2008.
– Loi organique relative au régime électoral modifiée le 12 janvier 2012.
Le corps électoral ayant été convoqué par le président de la République, par décret présidentiel vendredi 17 janvier, la date du scrutin est arrêtée pour le 17 avril dans les délais incompressibles prévus à l'article 133 de la loi organique 12-01 du 12 janvier 2012 relative au régime électoral, modifiant et complétant l'ordonnance 97-07 du 06 mars 1997 portant loi organique relative au régime électoral. De quelle façon la loi 12-01 relative au régime électoral a été modifiée en 2012, dans le cadre des consultations politiques initiées par le président de la République, de manière à permettre la légalité de la mise en œuvre du remplacement de la candidature éventuelle du président candidat Bouteflika pendant le déroulement même de l'élection présidentielle ?
Analyse : la nouvelle loi électorale prévoit une nouvelle disposition dans son article 141 : «Le retrait du candidat n'est ni accepté ni pris en compte après le dépôt des candidatures. En cas de décès ou d'empêchement, un nouveau délai est ouvert pour le dépôt d'une nouvelle candidature ; ce délai ne peut excéder le mois précédant la date du scrutin ou quinze (15) jours dans le cas visé par l'article 88 de la Constitution. En cas de décès ou d'empêchement légal d'un candidat après la publication de la liste des candidats au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire, la date du scrutin est reportée pour une durée maximale de quinze (15) jours.»
Décryptage : la disposition de l'article 141 prévoit expressément la possibilité de remplacer un candidat retenu par le Conseil constitutionnel par un autre candidat : «En cas […] d'empêchement, un nouveau délai est ouvert pour le dépôt d'une nouvelle candidature.» Au cas où un candidat serait déclaré en état d'empêchement pour toute raison légale, une nouvelle candidature est donc introduite en remplacement de celle qui fait défection et en lieu et place de celle-ci. «En cas […] d'empêchement légal d'un candidat après la publication de la liste des candidats […], la date du scrutin est reportée pour une durée maximale de quinze (15) jours.» La procédure de substitution du candidat empêché par un autre peut donc intervenir après la publication de la liste des candidats au Journal officiel, c'est à dire, après validation des candidatures par le Conseil constitutionnel. Autrement dit, il ne s'agit non plus de remplacement de candidats à la candidature, mais de candidats retenus officiellement par ledit Conseil, ayant procédé préalablement à la collecte des signatures nécessaires à la validation de leurs candidatures ainsi qu'au dépôt de leurs dossiers respectifs. Par ailleurs, s'agissant des délais de la tenue de l'élection, il est expressément prévu dans ce cas un report de la date du scrutin pour une période n'excédant pas quinze 15 jours, c'est-à-dire ne dépassant pas le 02 mai 2014 pour le premier tour, et le 17 mai 2014 pour le second tour. Or, le mandat de l'actuel président expire le 18 avril et le report poserait, a priori, le problème d'inconstitutionnalité due à l'absence de chef d'Etat dans l'intervalle compris entre les deux dates, mais nous verrons plus loin les mécanismes qui permettent sa résolution. Aussi, la disposition légale prévoit que : «Ce délai ne peut excéder le mois précédant la date du scrutin ou quinze (15) jours dans le cas visé par l'article 88 de la Constitution.»
Pour tout candidat déclaré en état d'empêchement, il peut être procédé à son remplacement dans les trente 30 jours au maximum précédant la date du scrutin, c'est à dire avant le 17 mars 2014. Mais s'agissant du cas où ce candidat serait notamment le président de la République, cette substitution pourrait intervenir, au maximum, à 15 jours de la date de l'élection, c'est à dire avant le 02 avril 2014, date qui coïncide avec le dixième 10e jour du début de la campagne électorale qui, elle, débute le 23 mars pour se terminer le 13 avril 2014.
Scénario :
Acte I : déclaration de candidature de Bouteflika pour un 4e mandat
Abdelaziz Bouteflika se porte candidat à sa propre succession. Il est alors procédé à l'annonce de sa candidature durant la période légale des 45 jours qui suivent le 17 janvier, date de convocation du corps électoral, soit avant le 04 mars. Sa déclaration aura pour effet certain la mise en branle de la machine électorale, les soutiens des partis majoritaires, FLN, RND, MPA et TAJ, les organisations importantes de la société civile, UGTA, syndicats, etc. L'ensemble des soutiens potentiels aux candidats verseront systématiquement vers le soutien indéfectible au Président candidat, ce qui mettrait les autres candidats dans la difficulté de se positionner dans la scène électorale, voire, pour certains, dans une situation de ne pas pouvoir procéder à la collecte même des signatures nécessaires à la validation de leurs candidatures.
Acte II : empêchement du candidat
Après la publication de la liste des candidats au Journal officiel, soit dix (10) jours après la clôture de l'opération de déclaration de candidatures, conformément à l'article 138 de la loi 12-01, le président candidat Abdelaziz Bouteflika pourrait être déclaré en état d'empêchement pour toute raison légale, telle la maladie, et ce, dans la période qui s'étend du 14 mars jusqu'au 02 avril. Pour rappel, la campagne électorale débute le 23 mars. La déclaration d'empêchement pourrait donc intervenir valablement pendant le déroulement de la campagne électorale pour le 4e mandat du Président candidat, voire après une semaine du début de celle-ci, c'est-à-dire vers le 1er ou le 2 avril.
Acte III : remplacement de Bouteflika par un nouveau candidat
En application de l'article 141 de la loi 12-01, un nouveau délai est ouvert pour le dépôt d'une nouvelle candidature, en remplacement de la propre candidature du président candidat désormais en état d'empêchement. L'ensemble des dispositifs de soutiens à la candidature de Bouteflika pour un quatrième mandat se mettra d'accord, non sans un mot d'ordre du Président candidat lui-même, au sujet de l'identité de celui qui sera le candidat de la continuité de l'élan électoral en marche pour le 4e mandat.
Acte IV : le nouveau candidat de remplacement favori à l'élection
Le nouveau candidat, en remplacement du candidat Abdelaziz Bouteflika, sera bel et bien candidat en lieu et place de celui-ci, car «héritier» du dossier de candidature de son prédécesseur, et bénéficiera de la dispense de l'obligation de collecte de signatures, des mêmes soutiens acquis au Président sortant et, surtout, de l'élan de la campagne électorale, et de facto, favori à l'élection présidentielle.
Acte V : report de la date de l'élection de 15 jours
La date du scrutin est reportée au maximum de quinze (15) jours, soit pour le 02 mai 2014 conformément à l'article 141 de la loi 12-01, et ce, concernant le premier tour. Se pose alors la problématique de l'inconstitutionnalité due à l'absence de chef d'Etat pour la période s'étalant de la date d'expiration du mandat de l'actuel chef de l'Etat jusqu'au 02 mai, nouvelle date du scrutin, voire le 17 mai en cas de second tour :
Empêchement de Bouteflika en qualité de président de la République
Si le candidat Abdelaziz Bouteflika est déclaré en état d'empêchement, ceci implique de facto que le président de la République devra aussi être déclaré en état d'empêchement en application de l'article 88 de la Constitution.
Quelles seraient les incidences sur la tenue du scrutin ?
Rappel de la teneur de l'article 88 de la Constitution : «Lorsque le président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l'impossibilité totale d'exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l'unanimité, au Parlement de déclarer l'état d'empêchement. Le Parlement siégeant en chambres réunies déclare l'état d'empêchement du président de la République, à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres et charge de l'intérim du chef de l'Etat, pour une période maximale de quarante-cinq (45) jours, le président du Conseil de la nation, qui exerce ses prérogatives dans le respect des dispositions de l'article 90 de la Constitution. En cas de continuation de l'empêchement à l'expiration du délai de quarante-cinq (45) jours, il est procédé à une déclaration de vacance par démission de plein droit, selon la procédure visée aux alinéas ci-dessus et selon les dispositions des alinéas suivants du présent article. En cas de démission ou de décès du président de la République, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et constate la vacance définitive de la présidence de la République. Il communique immédiatement l'acte de déclaration de vacance définitive au Parlement qui se réunit de plein droit. Le président du Conseil de la nation assume la charge de chef de l'Etat pour une durée maximale de soixante (60) jours, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées. Le chef de l'Etat, ainsi désigné, ne peut être candidat à la présidence de la République. En cas de conjonction de la démission ou du décès du président de la République et de la vacance de la présidence du Conseil de la nation, pour quelque cause que ce soit, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et constate à l'unanimité la vacance définitive de la présidence de la République et l'empêchement du président du Conseil de la nation. Dans ce cas, le président du Conseil constitutionnel assume la charge de chef de l'Etat dans les conditions fixées aux alinéas précédents du présent article et à l'article 90 de la Constitution. Il ne peut être candidat à la Présidence de la République.»
Décryptage : en effet, il y a distinction entre la déclaration de l'état d'empêchement et la déclaration de vacance définitive du chef de l'Etat. Seule la vacance définitive du chef de l'Etat entraînerait l'organisation d'élections anticipées dans un délai de 60 jours, impliquant de facto l'annulation des élections prévues et leur report sous de nouvelles conditions. Or, le cas du simple empêchement du chef de l'Etat prévoit seulement l'intérim de celui-ci par le président du Conseil de la nation pour une première période de 45 jours au cours de laquelle il exerce en lieu et place du Président les fonctions de chef de l'Etat dans un esprit de continuité de gestion des affaires courantes. La déclaration de vacance définitive ne peut intervenir qu'après expiration de la période des 45 jours et seulement s'il y a continuation de l'empêchement.
Scénario, suite :
Acte VI : intérim du président du Conseil de la nation jusqu'au 17 mai 2014
En application de l'article 88 de la Constitution, le Conseil constitutionnel se réunit après avoir vérifié l'état d'empêchement et propose aux deux chambres du Parlement réunies de déclarer l'état d'empêchement. Le Parlement charge le président du Conseil de la nation de l'intérim du chef de l'Etat pour une période de quarante-cinq (45) jours, c'est à dire à partir du 02 avril pour expirer le 17 mai.
Acte VII : tenue de l'élection le 02 et 17 mai
Les élections suivent donc leur cours, car la durée de l'intérim des 45 jours par le président du Conseil de la nation couvre les délais impartis à la tenue du scrutin dont les dates des premiers et seconds tours seraient arrêtées respectivement pour le 02 et 17 mai. La problématique serait donc levée et le processus serait constitutionnellement et légalement conforme.
Conclusion
La campagne menée par les partisans d'un quatrième mandat pour le Président candidat pourrait constituer dans le même temps une campagne préparatoire au remplacement du candidat Bouteflika par un autre candidat désigné par consensus pendant le déroulement même de l'élection présidentielle en mettant le peuple dans un état de fait accompli. La candidature du président de la République pour un quatrième mandat pourrait donc n'être que le cadre qui permettrait la mise en œuvre du processus de désignation du nouveau président par le biais d'une élection qui lui procurerait toute la légitimé d'avoir été élu au suffrage universel. Aussi, un tel scénario permettrait à la fois de constituer la meilleure rampe de lancement du réel candidat du consensus, qui ne serait pas à même de jouir des mêmes chances s'il avait eu à présenter sa propre candidature seul d'une part, ni bénéficié des mêmes soutiens de l'ensemble des partis et de la machine électorale d'autre part. Une candidature a posteriori, au lieu d'une candidature a priori, en lieu et place de celle du président sortant permettrait de propulser le candidat-surprise à la magistrature suprême tout en gardant un parfait contrôle sur le processus électoral, notamment en matière de gestion des protagonismes, des timings et phasage du processus et, surtout, sur le choix de l'identité du candidat du consensus. Une seule restriction sur le choix du candidat surprise, celle de ne pas figurer dans la liste des candidats déclarés.
Mounir Guerbi
 

Pas de commentaires! Soyez le premier.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.