Halim Benatallah à Algeriepatriotique : «Seul un vote massif permettra de limiter la marge de fraude»

Algeriepatriotique : Vous avez fait partie de l’Exécutif sous la présidence de Bouteflika. Comment jugez-vous son bilan ?

Algeriepatriotique : Vous avez fait partie de l’Exécutif sous la présidence de Bouteflika. Comment jugez-vous son bilan ?
Halim Benatallah : Son bilan, j’y ai fait mention dans ma première déclaration du 9 février. Il y a, bien évidemment, du positif, parce que le président Bouteflika est arrivé à un moment critique. Il a, incontestablement, rétabli la stabilité du pays. Il a remis de l’ordre dans le pays. Il a mené des opérations de grande ampleur politique, comme la réconciliation nationale. Incontestablement aussi, et nous ne pouvons pas le nier, puisque nous avons été acteurs dans cette action globale sur le plan international, il a repositionné l’Algérie. Ce sont là des éléments positifs sur lesquels on ne peut qu’être d’accord. Néanmoins, lorsque le président Bouteflika est arrivé au pouvoir en 1999, le principe général qui avait été validé à ce moment-là, c’était d’arriver sur la base d’une alternance politique au pouvoir. C’est un principe qui est stipulé dans les textes fondamentaux de la guerre de Libération nationale. Pendant toutes ces années, comme beaucoup de mes amis, nous avons été à l’école du patriotisme ; nous avons grandi ici et avons été nourris par cet esprit patriotique, mais aussi de cette culture de l’Etat. Avec une grande naïveté, nous nous accrochons à ce principe. A partir de ce moment-là, j’ai estimé qu’il y avait un temps à tout et que le pays, à la fois sur un plan interne mais aussi sur le plan international, a besoin de rebondir autrement et avec plus de vigueur. Il m’a semblé donc important de me positionner indépendamment de ma carrière, afin de pouvoir participer à la formulation d’une nouvelle visibilité pour notre pays.
Pourquoi avez-vous choisi de soutenir le candidat Ali Benflis pour la présidentielle d’avril ?
Il y a un fait personnel d’abord, puisque j’ai eu à travailler avec lui. J’étais ambassadeur, mais avant cela, j’étais directeur général Europe. J’ai été très proche de lui pendant la période des négociations avec l’Union européenne. Il me soutenait car à l’époque, nous étions loin d’avoir un consensus au sein du gouvernement. Cependant, M. Benflis avait été sur la ligne du président Bouteflika qui souhaitait conclure un accord d’association avec l’Union européenne. Il était un des rares soutiens au sein du gouvernement. La plupart des membres du gouvernement ne saisissaient pas les enjeux, ne maîtrisaient pas la question ou ne voulaient pas s’impliquer. J’ai donc été assuré de son soutien et cela est important lorsqu’on est engagé dans une négociation aussi importante. Bien entendu, le ministère des Affaires étrangères avait assumé les risques de cette négociation et nous l’avons conclu. J’ai donc connu M. Benflis de près durant cette période. Deuxièmement, j’estime que dans la période actuelle, M. Benflis est porteur d’un nouvel élan pour le pays. Nous en avons discuté à maintes reprises. J’ai quelque peu participé à la rédaction du programme. M. Ali Benflis est connu pour être une personne intègre et il est extrêmement important, dans la période actuelle, de montrer au peuple algérien, mais aussi à la communauté internationale, un visage d’intégrité et d’honnêteté et qui soit porteur aussi d’un projet pour le pays, car nous sommes en panne de projet.
Plusieurs personnalités sont montées au créneau pour mettre en garde contre ce qu’elles qualifient de «situation périlleuse» pour le pays. Partagez-vous leurs craintes et leur pessimisme ?
Le commun des mortels est inquiet. Quand on s’adresse au citoyen, on sent que tout le monde est inquiet. Il n’y a pas seulement les politiques qui le sont. Nous étions, à l’instant, en discussion avec un citoyen de Draâ El-Mizan, un patriote depuis fort longtemps, venu nous faire part de l’inquiétude de la population dans cette région. Il nous a paru extrêmement pessimiste. Les citoyens, nous a-t-il dit, aspirent au changement. Et c’est un sentiment partagé. Ce compatriote nous a dit que «deux de nos enfants», à savoir M. Amara Benyounès et Mme Khalida Toumi qui, à l’époque, criaient en Kabylie «pouvoir assassin !» ont «tourné casaque». Face à ces revirements et à l’absence d’éthique, nous, nous rêvons d’une autre Algérie, a-t-il conclu.
Quelles sont, d’après vous, les chances de Benflis, sachant que malgré le large soutien dont il bénéficie, y compris au sein du FLN, le pouvoir en place a verrouillé les institutions et fermé le jeu ?
Nous sommes dans une situation où le système est parvenu à la limite extrême des pressions qui puissent être exercées sur les personnes et sur les appareils. Il est évident qu’il y a encore beaucoup de leviers, mais le plus important, en ce moment, compte tenu de l’état d’esprit de la population et compte tenu de l’état d’esprit de la communauté internationale qui nous observe de près et surveille le moindre faux pas, est que nous ne pourrons évoluer et faire un pas en avant que par l’exercice d’un droit, à savoir le vote. Je pense qu’il y a suffisamment de conscience par rapport à cette inquiétude générale, pour que les Algériens puissent faire basculer les choses. Mais cela ne pourra se faire que grâce à un vote massif. Cela permettra de diminuer la marge de la fraude. De plus, un candidat du changement ne pourra pas faire avancer le pays sans un vote massif.
Dans votre déclaration, vous parlez d’une diplomatie algérienne qui serait «mise sur la touche». Depuis quand datez-vous cette situation ? Est-ce lié au fait que des non-diplomates (en dehors de Mohamed Bedjaoui de 2005 à 2007) se soient succédé à la tête du ministère des Affaires étrangères depuis août 2000 ?
Ce n’est pas un constat, comme pourrait le faire un médecin en examinant son patient afin de déterminer la date du début de la maladie. C’est un cycle, c’est une évolution ; un cours qui s’est dessiné petit à petit avec des éléments positifs. Lorsque le président Bouteflika intervenait énergiquement, nous avions une diplomatie dynamique. Sinon, globalement – et c’est un sentiment général –, les Algériens ont constaté, les professionnels et les observateurs également, tout au long de ces dernières années, que nous avons fait profil bas. J’étais ambassadeur à Bruxelles, j’y suis resté des années et tous mes collègues ambassadeurs m’interpellaient, que ce soit des ambassadeurs arabes ou bien africains en particulier, et ne cessaient de me demander : «Où est l’Algérie ? Nous voulons que l’Algérie retrouve son rôle pilote», «Nous voulons que l’Algérie retrouve son rôle de leader». Et, au-delà, c’est de la politique étrangère qu’il s’agit et pas seulement du travail diplomatique ordinaire ; globalement, la problématique concerne donc la politique étrangère [de l’Algérie]. Le constat nous a été renvoyé par nos propres partenaires. Nous avons fait profil bas et nous avons perdu notre rôle de leader.
Vous dites que nous avions une diplomatie dynamique avec le président Bouteflika. Il est toujours le président…
J’ai bien précisé «lorsqu’il intervenait». Or, ce n’est plus le cas. Sur certains éléments, nous arrivions à progresser mais, globalement, le profil général est parti à la baisse. J’ai eu à travailler avec le Président sur au moins deux dossiers importants. Il nous fixe le cap et c’est à nous de travailler dans ce sens. Le Président ne peut pas nous dire au jour le jour ce que nous devons faire. La responsabilité se situe à deux niveaux : celui de la diplomatie qui s’est effacée petit à petit et, peut-être aussi, en raison d’une perte de cap globale.
Vous dites qu’une «poignée de cadres» ont exprimé leur indignation et sonné l’alarme face à la situation anormale de notre diplomatie. Sous quelles formes et auprès de qui l’ont-ils fait ?
Nous sommes une institution de la République et, au sein des institutions – chez nous, en tout cas –, on s’efforce d’avoir un débat. Les débats importants et actifs, autant que je m’en souvienne, remontent à l’époque où M. Belkhadem était ministre des Affaires étrangères. Nous avions très souvent des briefings internes, larges et d’expression libre, où les idées fusaient. C’est après son départ que les débats ont cessé. Certes, il pouvait y avoir des discussions, mais nous ne sommes guère allés très loin. Je ne parle pas de personnes, mais d’une ligne d’objectivité. Les derniers débats auxquels j’ai assisté se sont déroulés du temps de M. Belkhadem. Après, c’est devenu plus difficile. Et lorsque j’ai dit que des cadres, des ambassadeurs et des directeurs généraux ont sonné l’alarme, c’était en débat interne. Beaucoup d’ambassadeurs, à propos des tensions – que ce soit en Egypte, en Syrie, en Tunisie ou en Libye –, disaient haut et fort qu’eux-mêmes ne comprenaient pas la position de l’Algérie. «Pourquoi sommes-nous inactifs ?» nous demandions-nous. Malheureusement, ces cadres ne pouvaient pas aller plus loin parce qu’ils étaient rappelés à l’ordre et enjoints de se conformer aux directives. Nous en sommes restés là. Nombre de cadres ont eu ce devoir de conscience et d’objectivité, et ils l’ont formulé et exprimé, mais le devoir de réserve nous impose toujours une limite.
Dans votre déclaration, vous ne citez à aucun moment le président Bouteflika dont on dit qu’il avait la haute main sur les affaires étrangères. Est-ce que cela signifie qu’il n’a aucune part de responsabilité dans cette situation ?
Comme je l’ai dit plus haut, j’ai eu à travailler avec lui personnellement. Le cap et l’orientation étaient clairs. Nous avons eu quelques résultats. Je ne peux pas m’engager sur les autres dossiers. Mais quant à ceux sur lesquels nous avons eu à travailler sur la base de ses orientations directes, je ne peux pas nier que nous avons réalisé un travail positif. Maintenant, c’est une question de volontarisme et de responsables. Vous pouvez avoir un ministre ou un responsable qui s’engage à fond et d’autres qui restent dans l’expectative et qui ont peur de prendre des risques.
Vous pensez que la riposte à l’attaque de Tiguentourine aurait gagné à être internationalisée. C’est bien ce que vous suggérez en disant qu’il fallait saisir le Conseil de sécurité de l’ONU et l’UA ?
Oui. Les professionnels savent qu’il n’y a rien de nouveau dans cela. Je participais et j’assistais à la gestion de crises de cette nature. La saisine du Conseil de sécurité, la saisine de l’Union africaine et de nos partenaires faisaient partie du protocole de réaction tout à fait ordinaire. Vous êtes agressé, attaqué, vous en faites prendre acte par le Conseil de sécurité et les instances internationales et vous les informez au jour le jour du développement de la situation. Ce sont des pratiques courantes, il n’y a rien d’exceptionnel à cela. Nous n’avons même pas besoin d’instructions pour ce faire. Notre ambassadeur à New York doit agir de son propre chef. Il n’a même pas besoin que son ministre le lui dise ou que le Président ordonne à son ministre de l’en informer. Cela fait partie du travail quotidien. Dans une telle situation, on doit informer le président du Conseil de sécurité, on fait acter cette situation et, au fur et à mesure du dénouement, on tient les partenaires informés. Et dès lors qu’ils sont informés, ils prennent la décision de réagir ou pas, de vous soutenir ou de vous lâcher. Mais à partir du moment où on ne dit rien, cela signifie qu’on ne demande rien. En tout cas, une telle action fait partie de notre travail en tant que diplomates.
Ce profil bas, comme vous dites, persiste-t-il en dépit du changement qui a eu lieu à la tête du ministère des Affaires étrangères ?
M. Lamamra est un homme extrêmement compétent. C’est un professionnel dont la compétence est reconnue, il n’y a aucun doute à cela. Et j’ai été ravi de le voir monter au front.
Qui est derrière l’«agenda caché prêt à l’emploi» dont vous parlez de façon énigmatique, alors que vous laissez entendre que l’attaque sur Tiguentourine en fait partie et qu’il guette «l’Algérie au moindre faux pas» ?
J’en fais état au conditionnel. Ce n’est pas une affirmation pour dire qu’il y a réellement un complot. Soyons clairs. Je dis – et tout le monde a ce sentiment – que depuis ces événements de l’hiver arabe, il y a un double message. Il y a, à la fois, une volonté légitime de démocratisation qui a éclaté au grand jour et de manière désordonnée, puisqu’il n’y a pas eu de transition au préalable, et en même temps, ces événements qui ont été l’occasion d’opérations de déstabilisation et, donc, d’intervention de puissances étrangères. Cela est un risque. L’aspiration est légitime, mais les manœuvres consistant à intervenir dans les affaires internes des pays tiers sont encore plus dangereuses. En fait, l’agenda «caché» ne l’est pas. Cela fait de nombreuses années qu’il est annoncé un changement dans les pays arabes. Ce n’est plus un mystère. Maintenant, c’est à nous de faire attention, puisqu’on nous annonce ce changement depuis plusieurs années. Lorsqu’un changement brusque intervient, les puissances étrangères interviennent brutalement comme elles l’ont fait en Libye. Quand une transition politique pacifique est opérée, ces puissances vous observent et il ne leur viendra pas à l’idée de vous déstabiliser de quelque manière que ce soit.
Y a-t-il un risque d’affrontement entre l’Algérie et le Maroc, vu l’escalade enregistrée entre les deux pays ces derniers mois ?
Il faut s’interroger sur les raisons de l’agressivité permanente du Maroc. Le Maroc fait un abcès de fixation sur l’Algérie. Rappelons simplement les faits. Nous avons tendance à penser que c’est lié à la question du Sahara Occidental. Mais si nous remontons plus loin dans le temps, en 1963 déjà, le Maroc nous avait agressés alors que nous venions à peine d’obtenir notre indépendance. Depuis, cette agressivité est devenue une constante dans la politique marocaine vis-à-vis de son voisin algérien. La situation s’est aggravée avec la question du Sahara Occidental. Parce que le Maroc jouit d’un certain soutien auprès de certains partenaires, particulièrement européens, il donne libre cours à son obsession, à son agressivité vis-à-vis de l’Algérie. Vous aurez remarqué que lors de situations où l’Algérie est en phase de transition et aussi dans les années 90, le Maroc ne nous a pas fait de cadeau. Aujourd’hui, dans cette situation cruciale, disons de transition politique, le Maroc cherche à en tirer profit également. Cela dit, je doute fort que les Marocains puissent aller à l’aventurisme ou, comme vous le dites, à l’affrontement. Je pense que nous n’en sommes pas là. Mais il faut prendre très au sérieux ce que j’appelle «l’agression à l’arme blanche» que le Maroc est en train de mener contre l’Algérie. C’est une agression «à la poudre blanche» (la drogue, ndlr). C’est véritablement une offensive. Il ne s’agit pas de petites quantités saisies çà et là, accidentellement, il y a véritablement une offensive. C’est une agression avec des moyens non militaires, évidemment, mais les Marocains ne cachent pas qu’ils veulent nuire à l’Algérie, déjà avec cette «arme blanche».
Pourquoi cette obsession, si cette agressivité est antérieure à la question sahraouie ?
De mon point de vue, cela est dû au fait que le Maroc a peur que l’Algérie devienne une grande puissance régionale.
Pourtant, il y a une vraie histoire entre les deux peuples. Ne compte-t-elle pas ?
Reportez-vous à l’histoire dramatique des relations entre pays arabes. Très souvent, les pays arabes se sont attaqués les uns aux autres, soit pour leur propre compte, soit pour le compte de puissances étrangères. Aussi, comme dit l’adage, Dieu protégez-moi de mes amis, quant à mes ennemis, je m’en charge…
L’Algérie peut-elle renouer avec la position de pays «dominant» en Afrique ? Comment ?
Evidemment qu’elle peut redevenir un pays influent et non dominant. Il n’y a pas de méthode secrète pour cela ; il suffit de renouer, à grande échelle et sur un plan bilatéral, avec toute l’Afrique. Il suffit que le chef d’Etat, les membres du gouvernement, la société civile, enfin que toute l’Algérie se mette en mouvement pour renouer les liens avec l’Afrique, l’aider, créer des synergies et y investir culturellement, à condition, bien sûr, d’avoir un message culturel à exporter. Beaucoup de pays africains, notamment les pays de l’Est, ont fait un bond en avant. Il y a beaucoup d’art à prendre de chez eux, notamment en matière de gouvernance. Autant que je sache et jusqu’à aujourd’hui, il existe une demande de l’Algérie en Afrique. Si nous reprenons notre bâton de pèlerin, à tous les niveaux et dans un mouvement d’ensemble avec un objectif qui consiste à dire reprenons le terrain que nous avons perdu, reconstruisons une relation de confiance parce que, si tel était le cas, nous n’aurions pas subi l’attaque de Tiguentourine, il va de soi que nous reprendrons notre position influente.
Entretien réalisé par Mohamed El-Ghazi et Kamel Moulfi
 

Pas de commentaires! Soyez le premier.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.