Halim Benatallah analyse pour Algeriepatriotique les derniers développements de la crise libyenne

La situation est si complexe, en particulier en Libye, que tenter d’y voir clair ou prétendre tracer quelque perspective relève d’un exercice hasardeux dans les conditions présentes. On peut toujours tenter de faire parler quelques réalités : d’abord, on assiste, non sans angoisse, au risque de naufrage d’un pays transformé en poudrière. C’est ce qu’on disait à propos de l’Algérie durant la décennie 1990. Les groupes terroristes poussent ce pays vers l’abîme, tandis que la confusion est totale sur le plan politique. La Libye aura-t-elle les ressorts politiques, institutionnels et autres pour revenir de loin ?
A la grande différence de l’épreuve traversée par notre pays, les ingérences et l’intervention étrangères ont contribué à placer la Libye dans l’orbite du chaos. Des hordes dites «djihadistes» ont été déversées ou ont déferlé sur la Libye venant de toutes parts dans le sillage de ces ingérences. Elles ont pris aujourd’hui possession du territoire et sont dans les instances politiques. On a l’impression que le pays risque de partir à la dérive sous l’effet de forces internes incontrôlables. Il risque de perdre la maîtrise de son destin. Les pays qui ont bombardé la Libye ne pouvaient ignorer qu’une déstabilisation de ce pays risquait de déclencher un processus de désagrégation. On se doutait que l’éclatement des structures, fussent-elles archaïques du pouvoir de Kadhafi, soulèverait le couvercle pour laisser s’échapper tous les démons politiques, ethniques et sociologiques. On n’ignorait pas que les stocks d’armements pouvaient tomber entre les mains de groupes terroristes en cas de déstabilisation du pays, que ces stocks iraient générer un trafic d’armes à grande échelle et approvisionneraient une multitude de groupes terroristes. On ne peut pour autant affirmer que la désagrégation encourue par le pays était une des visées de l’ingérence étrangère. Au départ, je pense qu’il s’était produit une réaction aux événements sur le mode «on bombarde, on liquide Kadhafi, après on verra»; il fallait exploiter à chaud l’occasion de se débarrasser de Kadhafi.
La brutalité du changement a muté en logique de désintégration lorsque le pays est tombé entre les mains des terroristes. Je ne saurais affirmer non plus que ces terroristes agissent pour leur propre compte, ou dans le contexte d’une conjonction d’intérêts, mais il est notoire qu’ils jouissent de nombreux soutiens politiques et logistiques externes importants, comme la nébuleuse des Frères musulmans. Je serais enclin à penser qu’un engrenage auto-entretenu de mise à plat de la Libye s’est mis en place au fur et à mesure que les événements dégénéraient. On observe que les aspirations populaires vers le changement démocratique ont été exploitées par des acteurs externes à la région, puis phagocytés par les «djihadistes». Les pays du Sahel n’ont pas fini de subir les contrecoups et de payer le prix, comme au Nord-Mali où la situation s’est dégradée gravement, comme si les problèmes non résolus et liés à la pauvreté ne les écrasaient pas assez. Auprès de l’Algérie, certains pays viennent prôner la solution pacifique et solliciter son concours, sans ignorer que les Algériens sont conscients du jeu mené en parallèle ; c’est à dessein que la coopération est confinée aux aspects techniques, comme l’échange d’informations ou les renseignements. Il ne peut y avoir, en effet, de dessein géostratégique partagé.
Premier enseignement
Prudence vis-à-vis de l’ingérence de la «communauté internationale» dans la recherche d’une stabilisation politique et sécuritaire de la Libye et du retour de la sécurité dans le Sahel. Toutefois, la Libye ne peut plus faire autrement que de manœuvrer pour en tirer le meilleur parti afin d’éloigner tout spectre d’internationalisation. Je rappellerai que la pénétration des premiers éléments «djihadistes» dans le Sahel est antérieure au conflit libyen. Les prémices ont commencé à apparaître en rapport avec le projet américain d’ancrer des points d’appui dans le Sahel et notamment l’installation d’un commandement militaire. On suppose que cela a eu l’effet d’un appel d’air sur les groupes terroristes qui se sont ainsi multipliés et renforcés à la faveur de la déstabilisation de la Libye.
Deuxième enseignement
Je pense que la nébuleuse «djihadiste» qui sème instabilité et insécurité, de Kidal à Alep, en passant par Benghazi, relève de manœuvres de transferts de l’insécurité à des fins de déstabilisation par des acteurs globaux et régionaux. A l’opposé, la démarche algérienne développe avec constance une politique de paix, de stabilité et de sécurité. Elle s’efforce aujourd’hui de rattraper le temps perdu aux plans diplomatique et militaire. Pour autant, cette revue à la fois diplomatique et militaire peut se transformer en vecteur de modernisation et en force de dissuasion des capacités militaires. De ce point de vue, le moment n’est-il pas venu de faire évoluer la doctrine militaire afin d’adapter les ripostes aux événements imposés et aux menaces qui s’installent dans le voisinage le plus proche ? Une doctrine est le fruit de circonstances présentes pour répondre à des situations émergentes. A terme, la quête d’une issue à l’enchevêtrement des problématiques politique, sécuritaire, identitaire et économique dans le Sahel pourrait passer par la réunion des conditions pour la tenue d’une conférence régionale avec les pays du Sahel, Libye comprise. Une conférence qui permettrait d’établir dans un premier temps un climat de confiance dans un cadre collectif. Ce pourrait être un pas de plus après la série de consultations bilatérales en cours. Mais il est vrai que la tâche est rude et complexe. Le Nord-Mali est, à lui seul, un concentré des problématiques croisées qui troublent le Sahel.
Troisième enseignement
Les pays qui ont acté au nom de la «communauté internationale» ne sont pas en mesure d’aider la Libye à sortir de sa tourmente. Cette donne ne fait que renvoyer à la responsabilité première des Libyens pour stabiliser leur pays et préserver son unité. En termes de capacité d’influence sur les événements en cours, il est évident qu’un des acteurs extrarégionaux parmi les plus proches, l’UE en l’occurrence, est victime autant de ses pesanteurs intrinsèques que de ses contradictions internes. Elle apparaît comme un acteur secondaire devant la puissance de l’action parallèle de certains Etats membres, et mineur face à l’ampleur des défis à relever. Faut-il laisser la Libye en proie à ses démons ? Faut-il laisser décanter ou faut-il l’aider sans s’impliquer ? La Libye peut s’en sortir avec le soutien de ses voisins maghrébins et sahéliens. A moyen terme, il y aurait peut-être un scénario à envisager pour lui permettre de relever ses défis par elle-même ; il consisterait à s’inspirer de la solution à l’algérienne, à savoir gérer au mieux les interférences extérieures dans le sens voulu par les Libyens eux-mêmes afin de gérer les implications internationales et positionner un «Zeroual» à la tête du pays pour mener une lutte sans merci contre l’emprise terroriste. Cet homme viendrait consolider vigoureusement l’Etat central, réunirait les conditions du retour à la légitimité par un rassemblement national et déclencherait en phase finale un processus démocratique dans des conditions de sécurité maîtrisées. Au terme de ce processus, la Libye n’en sortirait que plus forte et l’Algérie serait gagnante au change. De même, on pourrait imaginer que l’Algérie désigne un représentant spécial pour la Libye. L’enjeu est suffisamment lourd pour ne pas s’interdire de l’envisager. Je pense que ce serait un message adéquat à l’adresse de la Libye, en direction de notre opinion publique et de la «communauté internationale».
Halim Benatallah
Ancien diplomate

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