Quelle leçon tirer de la victoire des Verts face à la Corée du Sud ?
Notre équipe nationale algérienne de football a réalisé un réel exploit le 22 juin 2014 face à la Corée du Sud qui n’a pas démérité. Elle aura réalisé ce qu’aucun gouvernement, parti politique ou organisation de la société civile, depuis des décennies, n’ont réussi : réconcilier les Algériens avec eux-mêmes.
Notre équipe nationale algérienne de football a réalisé un réel exploit le 22 juin 2014 face à la Corée du Sud qui n’a pas démérité. Elle aura réalisé ce qu’aucun gouvernement, parti politique ou organisation de la société civile, depuis des décennies, n’ont réussi : réconcilier les Algériens avec eux-mêmes.
Jamais de mémoire depuis l’indépendance politique une fièvre de liesse populaire en faveur du drapeau national – des immeubles, des maisons, des voitures, bus et camions décorés de drapeaux – n’a eu lieu. Et ce, de l’est à l’ouest en passant du centre au sud tant au moment de la sélection, que lors du déroulement de la Coupe du monde en Afrique du Sud. Qu’elles sont belles ces petites filles et qu’ils sont beaux ces petits garçons, innocents et sans calculs monétaires, habillés du drapeau Algérie. Jamais, même pendant les fêtes de l’indépendance, on n’a pas vu cela, fêtes passées ces dernières années presque inaperçues auprès de la population, les autorités d’un côté et la population de l’autre. Cela ne signifie pas que les Algériens n’accordent pas une importance à cette importante fête, ils la fêtent à leur manière, la plus sûre et la plus sincère dans le cœur. Ainsi, l’Algérie se trouve réconciliée avec elle-même grâce à cette jeunesse qui renoue avec celle de 1962 (le même âge bien que l’Algérie soit indépendante depuis plus de 50 ans) qui avait fêté l’indépendance nationale ou celle de la guerre de Libération nationale, en brandissant avec fierté également le drapeau Algérie. L’équipe nationale réconcilie également l’Algérie avec sa communauté émigrée, puisque plus de 90% est constituée d’émigrés montrant qu’un Algérien, sportif, intellectuel, ou opérateur économique, évoluant dans un autre environnement, loin des tracasseries bureaucratiques s’épanouit. On ne peut faire revenir les «génies», il ne faut pas se tromper de cibles, mais qu’on améliore d’abord le sort de ceux qui sont sur place pour éviter également leur départ par leur revalorisation et surtout par la considération supposant un renversement des échelles de valeurs reposant sur l’intelligence et non sur les rentes. Hélas !, les pratiques sociales contredisent souvent les discours si nobles soient-ils. Lié à ce processus de développement indissociable, pour bénéficier véritablement de son intégration au marché international, le football algérien doit absolument construire un modèle économique dont la professionnalisation lui permettant de conserver ses meilleurs joueurs plus longtemps, supposant des mécanismes de régulation qui arbitrent de manière plus équilibrée entre recherche du profit et les aléas des compétitions.
Cette mobilisation citoyenne est, donc, sans pareille et les autorités devraient méditer avec une extrême attention au lieu de se contenter d’une distribution passive de la rente des hydrocarbures, pour une paix sociale éphémère, car ne relevant pas d’une bonne politique socioéconomique hors rente, ni d’une bonne gouvernance, partage de surcroît inégalitaire comme en témoignent les enrichissements sans effort et la course aux rentes. Eh oui, qui a dit que les Algériens n’aimaient pas leurs pays, puisque la leçon vient de jeunes qui donnent des leçons aux adultes. Or, la leçon que l’on peut tirer de ces déclarations de jeunes sans arrière-pensées est que ce serait une grave erreur politique de certains partis politiques ou responsables en mal de publicité de faire de cette mobilisation spontanée une adhésion à leur politique. S’il y a eu cette immense mobilisation, c’est que le politique est hors-jeu. Car, selon l’adage l’espoir fait vivre, la majorité des Algériens s’attache, faute de mieux avec la détérioration de leur niveau de vie sur le plan socioéconomique, à des signes d’espoir et que la leçon des harraga témoigne d’une situation de désespoir que certains responsables malveillants tentent de banaliser, alors qu’ils constituent un social profond. Aussi, comment ne pas penser donc à l’avenir de cette jeunesse, car l’Algérie dans moins de 20 ans, c’est-à-dire demain, avec une population qui approchera 50 millions d’habitants avec l’épuisement des ressources en hydrocarbures traditionnels, l’âge moyen de nos filles et garçons d’environ 20 ans en juin 2014 sera de 50 ans et, entretemps, ayant des exigences comme tout Algérien : emploi, logement, se marier, avoir des enfants, donc, une demande sociale croissante, donc, une obligation de préparer l’ère de l’après-pétrole pour les générations futures.
Après l’euphorie sportive passagère, la majorité de la population algérienne sera à nouveau confrontée à la dure réalité économique et sociale, c’est dire le niveau de leur pouvoir d’achat, et c’est au gouvernement de trouver des solutions adéquates pour un développement durable. On ne peut isoler le sport d’une vision d’ensemble. Pourtant, au vu de cette immense énergie de la population, l’Algérie a toutes les potentialités pour devenir un pays pivot et relever les défis du développement face à la mondialisation, en ce monde en perpétuel mouvement, impitoyable où toute nation qui n’avance pas recule. Le patriotisme économique ne saurait s’assimiler au tout Etat bureaucratique des années 1970, car dans des pays où dominent la propriété privée, pour ne citer que quelques cas, comme les Etats-Unis, la France, l’Espagne, l’Italie, la Corée du Sud , l’Afrique du Sud, les citoyens sont fiers d’être américains, français, allemands, espagnols, italiens, sud-coréens ou sud-africains. Cependant, pour éviter les effets pervers du marché comme le montre la crise mondiale actuelle, il y a urgence d’un rôle plus accrue de l’Etat régulateur , différence de taille pour toute politique économique fiable devant tenir compte de cette dure réalité, d’une économie de plus en plus globalisée, déplorant qu’aucun débat public sérieux n’ait eu lieu sur le futur rôle de l’Etat en Algérie, débat indispensable pour éclairer la future politique économique et sociale. La leçon principale que l’on peut tirer est que la population algérienne d’une manière générale, et notre jeunesse d’une manière particulière (70% de la population), est capable de miracles pour peu qu’on lui tienne un discours de vérité grâce à une nouvelle communication et une gouvernance rénovée, et ce, grâce à une mobilisation citoyenne, condition pour le développement de l’Algérie. Cette jeunesse dynamique est bien plus importante que toutes les ressources en hydrocarbures. Car le véritable patriotisme se mesurera à l’avenir par la contribution de chaque Algérien à l’accroissement de sa participation à la valeur ajoutée mondiale, et aux gouvernants une moralité sans faille. En fait, la population algérienne à travers cette mobilisation unique depuis l’indépendance demande plus de liberté, plus de justice sociale récompensant le travail et l’intelligence et non les rentes en contrepartie de soumissions de clientèles, en un mot, un Etat de droit et de démocratie sans renier ses valeurs culturelles. Car face à des mesures autoritaires bureaucratiques centralisées sans adhésion et concertation, l’autosatisfaction source de névrose collective, la faiblesse de contrepoids politiques et économiques, la société enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner dans un Etat de non-droit. Or, seuls le dialogue permanent, le respect du contrat gouvernants/gouverné, la réorientation de la politique socioéconomique conciliant efficacité économique et profonde justice sociale, évitant ce manque de cohérence et de visibilité, permettront le dépassement du statu quo et de la crise multidimensionnelle.
En résumé, remercions vivement l’équipe nationale pour ce renouveau d’espoir qu’elle a suscité au profit exclusif de l’Algérie et espérons qu’elle sera victorieuse face à la Russie. Mais quel que soit le résultat des matches prochains, je souhaite qu’ils se déroulent dans la sérénité, sans chauvinisme et avec l’esprit sportif qui a toujours animé notre équipe nationale.
Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités
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