Pour une école et une université algériennes de qualité

En ce mois de septembre 2014, 8 600 000 élèves, tous paliers confondus, ont rejoint les bancs de l'école pour la rentrée scolaire. Bientôt, 1,3 million d’étudiants rejoindront l’université et les grandes écoles. Il ne faut pas avoir une vision de sinistrose. Car combien avions-nous de professeurs d’université, de médecins, d’ingénieurs, d’économistes, de sociologues, de juristes, etc. en 1963 ? Mais évitons également toute autosatisfaction source de névrose collective, devant impérativement privilégier la qualité et non la quantité.
1- Certains, versant dans la démagogie et la fuite en avant, veulent occulter les vrais problèmes qui sont le niveau alarmant de l’école algérienne avec des surcharges qui rendent impossible un suivi sérieux. Etant professeur à l’université depuis 1974, à l'âge de 26 ans, dans les sciences de gestion (soit déjà 40 ans ; nous étions à cette époque à la faculté d’économie d’Oran seulement trois Algériens, moins de 1% des effectifs, et l’université d’Alger classée la troisième de France), j’ai pu constater, au fil des années, l’effritement du niveau de mes étudiants de fin de licence et parfois en magister qui, d’ailleurs, ne maîtrisent ni l’arabe ni le français, encore moins l’anglais, excepté pour environ 20%. Les infrastructures que l’on brandit souvent pour faire le bilan et leur nombre n’ont jamais été à l’origine des meilleures compétences. Et se pose cette question : gravite-t-on en Algérie dans la hiérarchie pour les postes de responsabilité en fonction des compétences ? Le manque de considération pour l’élite (mentalité de la rente) n’explique-t-il pas l’exode de cerveaux ? Ce n’est pas la faute seulement à l’enseignement supérieur. Si l’on fait passer des élèves au lycée avec un bas niveau, l’on aura au niveau de nos facultés un niveau déplorable. Et ce sont parfois des personnes de bas niveau qui enseignent tant au niveau du secondaire qu’au supérieur, misant actuellement sur la quantité et non sur la qualité. D’où l’important d’avoir un grand ministère de l’Education nationale avec des secrétariats d’Etat techniques afin d’assurer la cohérence et une stratégie d’ensemble qui colle aux réalités locales et mondiales.
2- Concernant l’option des filières, il faut avoir une approche du juste milieu. Le poète, le philosophe, l’écrivain et le journaliste, dans leur diversité, favorisant la tolérance et la lutte contre toute forme de xénophobie ; ils sont le miroir de la société, reflet du niveau du développement. Ils permettent d’ailleurs de dynamiser certaines filières productives au XXIe siècle comme les maisons d’édition, les médias, le cinéma, la musique, etc. Les plus grands savants, d’ailleurs devenus à la fin de leur vie des philosophes, se demandant si leurs inventions ont contribué à faire avancer dans le bon sens l’humanité. Il s’agit de réaliser la symbiose entre les sciences exactes et les sciences humaines, car tout processus de développement a pour but une finalité humaine. Avec la dérive mécanique, le risque est de fabriquer des robots pouvant conduire à des comportements extrémistes dangereux. D’ailleurs, ceux qui sortent de polytechnique en France ou des grandes écoles spécialisées d’ingénieurs aux USA, en Europe ou en Chine, sont contraints d’avoir une formation solide dans les sciences de gestion, notamment en matière d’informatique, de management stratégique, et ont une large culture générale. C’est qu’en ce XXIe siècle, nous ne sommes plus à l’ère de l’accumulation mécanique des années 1960/1970, mais à l’ère du primat de la connaissance, devant, donc, revoir notre système de formation, car les nouvelles technologies préfigurent un nouveau modèle de développement complexe, impliquant la pluridisciplinarité.
3- C’est dans ce cadre, sans occulter l’importance des sciences exactes, que les sciences humaines ont une importance capitale, sans compter l’éveil de l’esprit critique du devenir de la société. On ne plaque pas sur une société des schémas élaborés sous d’autres cieux sans connaître la morphologie sociale, dont l’anthropologie culturelle, d’où l’importance des différentes branches de la sociologie et de la psychologie (branche essentielle pour les études de marché et l’analyse des comportements). Dans toute étude de rentabilité de projet et d’analyse stratégique de prospective, tant micro que macro d’ailleurs solidaires, l’analyse de l’environnement est déterminante afin d’organiser et formaliser l'activité de veille. Il existe un théorème en sciences politiques : 80% d’actions mal ciblées et désordonnées que l’on voile par de l’activisme ont un impact de 20% sur les objectifs, et 20% d’actions bien ciblées ont un impact sur 80%. Aussi, aujourd’hui, l'enjeu d’une nation et sa survie impliquent de mettre en place des instruments opérationnels capables d’identification, et d’anticiper les modifications de comportement des acteurs économiques, politiques, sociaux et miliaires. Il s’agira donc de définir l'environnement pertinent, identifier les sources, détecter, analyser, diffuser l'information recueillie, se fondant sur la collecte d'information fragmentaire et qu'il est donc important de bien analyser. C’est dans ce contexte que les plus grandes armées sont organisées en réseaux et non plus en structures hiérarchiques, dont le noyau du commandement avec un rôle déterminant pour les services de renseignement (la maîtrise de l’information au temps réel étant primordiale) regroupe des équipes pluridisciplinaires complexes où cohabitent ingénieurs, économistes, psychologues, politologues, experts de l’information, et sociologues de différentes spécialités. Vient seulement ensuite l’opérationnel, certes animé par des techniciens. Il en est de même pour toute action stratégique au niveau de présidences des grands pays.
4- Mais que l’on s’entende bien, afin d’éviter d’avoir des diplômés chômeurs ou contribuer à travers l’exode de cerveaux à former pour l’extérieur, la relance économique portant sur des segments à valeur ajoutée s’insérant dans le cadre des valeurs internationales est indispensable. Comment ne pas signaler les nombreuses déperditions scolaires entre le cycle moyen et l’université, et les nombreux universitaires en chômage. Que deviendront les 1,5 million d’étudiants qui sortiront des universités horizon 2017/2018, une véritable bombe à retardement ? Le statu quo, le manque de vision stratégique de la transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures, les distributions de revenus sans contrepartie productive, pour calmer le front social, sont suicidaires pour l’avenir du pays, les réserves de change étant une richesse artificielle ne provenant pas du travail. Aussi, évitons les fausses polémiques, toute analyse unilatérale et attachons-nous à l’essentiel, à savoir un large débat national tant sur la gouvernance que sur l’école, les deux piliers des réformes qui détermineront la future trajectoire du développement économique, social et politique de l’Algérie an sein d’un monde en plein bouleversement, notre adaptation étant une question de survie. Or, le rapport du forum mondial de Davos du 3 septembre 2014, du point de vue de l’efficacité des institutions (Etat de droit, justice, libertés économiques et sociales déterminants pour une visibilité dans le monde des affaires), indique que l’Algérie arrive à la 97e place et pour l’innovation 128e sur 144 pays. Le mal est avant tout en nous et évitons de voir toujours la main de l’extérieur qui nous aurait mal classés. Comme l’a démontré brillamment un grand économiste indien, prix Nobel d’économie en 1998, Amartya Sen, sur le long terme, existe un lien dialectique entre développement et démocratie.
Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités, expert international en management stratégique
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