Chute du cours des hydrocarbures : incidences sur l’économie algérienne

Selon le Centre national de l’informatique et des statistiques des Douanes (Cnis), données de septembre 2014, nous assistons à une baisse vertigineuse de l’excédent commercial dû essentiellement à la hausse de la dépense publique, via la hausse des importations, et à la baisse des recettes des hydrocarbures. Ce déficit risque de s’accentuer du fait que le cours du Brent a été coté les 3/4 octobre à 92,14 dollars pour le Brent et pour la première fois depuis plusieurs années, le Wit est en dessous de la barre de 90 dollars, exactement 89,75 dollars avec une cotation du dollar en baisse de 1,2511 et une baisse de la valeur de nos réserves d'or (173 tonnes) où l'once a été cotée à 1 190 dollars. L’on doit replacer cette tendance dans le cadre des nouvelles mutations géostratégiques et énergétiques mondiales(1). Se pose cette question : quel impact sur l’économie algérienne, 97/98% d’exportations représentées par les hydrocarbures et le pouvoir d’achat des Algériens corrélé à 70% de cette rente éphémère, objet de cette contribution
1- La durée des réserves d’hydrocarbures est fonction du couple coût-prix international, pouvant découvrir des milliers de puits, mais non rentables financièrement. Les déterminants de l’évolution du cours du pétrole sont de plusieurs ordres interdépendants : l’évolution de la croissance de l’économie mondiale, les tensions géostratégiques, les fluctuations de la parité dollar/euro, les mutations énergétiques dues aux énergies substituables et le modèle de consommation énergétique, non uniforme selon les pays. Pour le cas algérien, du fait des crises des raffineries utilisant le pétrole léger, le cours depuis une année a perdu 3 à 4 dollars. Notons qu’il y a une différence entre la cotation du pétrole qui est un marché mondial répondant à l’offre et la demande, et le prix de cession du gaz. Ce dernier est un marché segmenté (prépondérance des canalisations à 70%) ne pouvant pas répondre au marché boursier qui suppose une généralisation des GNL et donc des tankers. Le cours du pétrole a perdu 6/7 dollars durant ces derniers mois. L’Opep a décidé de maintenir son plafond à 30 millions de barils/jour jusqu’à la fin du premier semestre 2015 à moins d’un grand événement majeur. Imaginons une résolution des tensions, où le cours approcherait de 80 dollars le baril de Brent et 75 dollars de Wit. En effet, la Libye qui a une capacité de production de 1,6 million de barils/ jour peut aisément passer à 2 millions, produisant entre 200 000 et 300 000 barils actuellement, encore que certaines sources avancent 800 000 barils/jour, un pétrole léger concurrent de celui de l’Algérie, sans compter ses réserves de gaz à peine exploitées de 1 500 milliards de mètres cubes ; l’Iran produit seulement 2,7 millions de barils/jour à cause de l’embargo alors qu’il a une capacité dépassant 5 millions de barils/jour ; l’Irak produit 3,6/3,7 millions de barils/jour alors qu’il a les capacités avec un coût inférieur de 20% par rapport à l’Arabie Saoudite, sans compter le Nigeria qui pourrait doubler sa capacité. L’économie algérienne est une économie rentière fluctuant entre 96/98% des recettes en devises provenant des hydrocarbures (plus de 700 milliards de dollars de recettes Sonatrach entre 2000/2013 ), avec l’importation de 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%. Les importations en devises entre 2000 et 2013 ont été d’environ 500 milliards de dollars. Le secteur industriel représente moins de 5% du produit intérieur brut et sur ces 5% plus de 95% sont des PMI peu initiées au management stratégique. La superficie économique globale étant représentée par 83% de petits commerces et services, et la sphère informelle contrôle 65% des segments des produits de première nécessité et plus de 40% de la masse monétaire en circulation, limitant la politique financière de l’Etat. La productivité globale est faible avec la dominance des emplois rentes. L’Algérie, selon un rapport de l’OCDE, dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins de résultats par rapport à des pays similaires de la région MENA. Avec des réserves de pétrole estimées à 12 milliards de barils, une consommation intérieure en 2013 d’environ 400 000 barils/jour allant vers 600 000, des exportations extrapolées à 1,6 million de barils/jour fluctuant actuellement à 1,2 à 1,4 millions de barils/jour, l’épuisement des réserves, en cas de non-découvertes substantielles est à moins de 15 ans, assistant depuis 2007/2008 à un déclin en volume qu’atténue la hausse des prix. Quant au gaz conventionnel, les données de 4 500 milliards de mètres cubes sont des données de BP de 1999 non réactualisées. Selon les experts, les réserves actuelles approcheraient 3 000 milliards de mètres cubes, tenant compte des nouvelles découvertes souvent marginales. Dans ce cadre, les exportations ont fortement chuté n’ayant jamais dépassé entre 2011 et 2013 environ 55 milliards de mètres cubes, alors qu’il était prévu 85 milliards de mètres cubes entre 2012 et 2013. Tenant compte de la forte consommation intérieure, l’Algérie étant un des pays qui subventionne le plus les carburants (ayant importé 3,5 milliards de dollars de carburant en 2013 au prix international et cédé à des prix administrés) qui devrait dépasser entre 2025 et 2030 les exportations actuelles, l’on s’orienterait vers l’épuisement du gaz traditionnel à l’horizon 2030 au moment où la population avoisinera 50 millions d’habitants.
2- Sonatrach est de plus en plus concurrencée, avec les nouveaux arrivants sur le marché mondial, par de nouvelles découvertes, dont celle de 20 000 milliards de mètres cubes gazeux en Méditerranée orientale, expliquant les tensions au Moyen-Orient (1). Mais le concurrent le plus sérieux est le géant russe Gazprom, la Russie possédant 25 à 27% des réserves mondiales de gaz traditionnel, l’Iran 15 à 17% et le Qatar 10 à 12%. La part de marché de Gazprom en Europe est passée de 20% vers 2006 à 30% fin 2013, et pouvant dépasser ce ratio avec le North Stream (55 milliards de mètres cubes) déjà opérationnel et surtout le South Stream (65 milliards de mètres cubes) opérationnel fin 2015, début 2016, approvisionnant l’Italie. Cela explique le gel du gazoduc algéro-italien Galsi (8 milliards de mètres cubes) dont le coût est passé de 2,5 milliards de dollars à plus de 4 milliards de dollars et la léthargie du Nigal (Nigeria-Algérie Europe) dont le coût est passé de 7 milliards de dollars à plus de 15 milliards de dollars, irréalisable à court terme en raison du bas prix du gaz, de l’endettement des pays européens qui devaient financer une partie et les tensions au Sahel. Mais n’oublions pas le Qatar qui n’avait que 2% du marché européen en 2002 contre 8% en 2012 et selon certains experts approvisionnerait l’Europe à 12% en 2014/2015. Pour l’Algérie, son taux est passé de 13% en 2007/2008 à 9% fin 2013. Cela liera d’ailleurs de plus en plus l’Algérie à l’avenir au marché européen en raison de la révolution des gaz et pétrole de schiste aux Etats-Unis. La balance commerciale entre l’Algérie et les Etats-Unis est passée de 11 milliards de dollars en 2010 à 5 milliards de dollars fin 2013, achetant moins d’hydrocarbures, ce montant devant continuer à diminuer, les Etats-Unis possédant le savoir-faire, devenant à terme un concurrent de Sonatrach vers 2016/2017. Cette tendance fait qu’existe une déconnexion du prix du gaz avec celui du pétrole avec le développement du marché libre et aussitôt arrivés les contrats à terme à expiration, la majorité des clients de Sonatrach (la demande a été faite par les Européens) demanderont une révision à la baisse des prix de cession du gaz qui représente plus d’un tiers des recettes de Sonatrach. Or, le seuil de rentabilité pour le gaz par canalisation pour Sonatrach doit être au moins de 11/12 dollars le MBTU et 15/16 dollars pour le GNL du fait de la lourdeur des coûts renvoyant à l’urgence d’un nouveau management stratégique de Sonatrach. Evitons l’illusion du gaz de schiste où malgré la nouvelle loi des hydrocarbures, le dernier avis d’appel d’offres sur 33 n’ayant pas attiré les firmes internationales, moins de cinq, la majorité retenue préférant le traditionnel, en plus des contraintes du savoir-faire, du coût des canalisations, de la durée de vie faible des puits, des risques de détérioration de l’environnement et de la forte consommation d’eau douce.
3- Or, les différents programmes de relance économique avec la dominance des infrastructures, moyen et non comme fin à tout processus de développement, 200 milliards de dollars entre 2004/2009, 286 milliards de dollars programmés entre 2010/2014, mais dont 43% de restes à réaliser du programme précédent, 262 milliards de dollars programmés entre 2014/2019, mais dont 30/35% de restes à réaliser du programme précédent, le budget algérien fonctionnement et équipement entre 2013/2015 se fonde sur un cours de 115/120 dollars le baril. La règle des 49/51% n’a pas permis de faire baisser les importations qui en 2013 ont été de 55 milliards de dollars de biens, 12 milliards de dollars de services contre 1,5 milliard en 2000, appel intensif à l’assistance étrangère et ne pouvant créer un tissu productif durable sans Engineering national, sans compter les transferts légaux de capitaux entre 5 et 7 milliards de dollars, soit une sortie en devises de plus de 72 milliards de dollars. Pour la loi de finances 2015, les tendances vont vers 80 milliards de dollars de sorties de devises y compris les transferts légaux de capitaux. Or, les recettes de Sonatrach sont passées de 73 milliards de dollars entre 2010 et 2011 à 63 milliards de dollars fin 2013. Le dernier rapport du ministère de l’Energie en date du 4 septembre 2014 confirme cette tendance à la baisse en volume, atténuée par la hausse des prix en 2013, soit une baisse annuelle de 10 milliards de dollars. La chute récente du cours des hydrocarbures, si elle devait se prolonger dans le temps, aurait des incidences négatives sur le budget de l’Etat. Evitons donc l’illusion que les exportations d’hydrocarbures algériens suppléeront à la crise ukrainienne, une entente entre Gazprom et l’Europe pour la livraison du gaz étant en cours afin d’éviter toute rupture d’approvisionnement. La crise mondiale – ne s’étant pas attaqué aux fondamentaux de la crise, la suprématie de la sphère financière sur la sphère réelle, le divorce entre la dynamique économique et la dynamique sociale – sera de longue durée. La baisse de croissance des pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine, Argentine) détruit le mythe de la relance économique par ces pays. L’Europe (500 millions d’habitants) et les Etats-Unis (360 millions d’habitants) totalisent sur un PIB mondial dépassant les 73 000 milliards de dollars et plus de 7 milliards d’habitants, 40% du PIB mondial et paradoxalement autant pour l’endettement mondial. A court terme, toute dépression de ces économies a un impact en ondes de choc, étant en interdépendance, sur toute l’économie mondiale. Cela a un impact sur l’économie algérienne totalement extériorisée via les hydrocarbures. L’Algérie peut-elle continuer à cette cadence de la dépense publique à éviter l’illusion de verser des traitements sans contreparties productives, reportant dans le temps les tensions sociales qui deviendraient inévitables, sans songer à relever le défi d’une stratégie de développement hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales ? Le risque n’est-il pas dans trois à quatre années dans l’épuisement de ses réserves de change estimées en mars 2014 à 195 milliards de dollars sans les 173 tonnes d’or (86% étant placées à l’étranger à plus de 90% en bons de Trésor américain et en obligations européennes à un taux fixe à moyen terme de 3%) ? Egalement l’épuisement du fonds de régulation des recettes qui a chuté sensiblement entre 2013 et 2014, étant passé de 4 842 milliards de dinars en 2012, 5 381 en 2013 étant prévu selon la loi de finances prévisionnelle de 2014 qu’il passe à 7 226 fin 2014, alors que selon le rapport de la Banque d’Algérie, il a accusé une baisse passant de 5 238 milliards de dinars fin 2013 à 4 773 fin mars 2014 ? Or, le déficit budgétaire retenu dans la loi de finances 2015 dépasse 52 milliards de dollars. Un sursaut national s’impose, car une chute de longue durée menacerait la sécurité nationale.
4- Tant qu’il y a la rente, la facilité est la distribution de revenus sans contrepartie productive, sacrifiant le développement du pays et les générations futures, rentrant dans le cadre d’une stabilité statique suicidaire. Qu’en sera-t-il des incidences en cas d’une baisse de longue durée du cours des hydrocarbures, de l’impact de l’article 87 bis du code de travail, dû à plusieurs facteurs sur l’économie algérienne ? L’Algérie pourra-t-elle supporter avec les ondes de choc une masse salariale additionnelle entre 2016/2020 de 9/11 milliards de dollars annuellement ? Le nombre de salariés est évalué fin 2013 par l’ONS à 7 393.000 dont 3 508.000 non permanents et 3 785.000 permanents, et la masse salariale, avec la dominance de la fonction publique, est de 54,98 milliards de dollars. Ce qui donne un ratio masse salariale sur le PIB de 30,93% en 2013 contre 20% en 2000 en référence aux sources de l’ONS qui corrige le PIB à prix constant pour 2013. Selon le secrétaire général de l’UGTA, environ quatre millions de travailleurs du secteur public et privé, des basses catégories, verront leurs salaires augmenter dès le 1er janvier 2015, suite à l’abrogation de l’article 87-bis. Pour éviter un nivellement par le bas, il annonce officiellement une augmentation progressive pour toutes les autres catégories. Si l’on suppose une augmentation raisonnable d’environ 7 000 dinars en suivant le Premier ministre plus prudent (le SG de l’UGTA parle de doublement), la masse salariale additionnelle serait de 336 milliards de dinars, soit au cours actuel de 79 dinars un dollar de 4,25 milliards de dollars, augmentation applicable au 1er janvier 2015. Et comme il est prévu un relèvement des autres catégories dès 2016, suite aux ondes de choc, allant vers 8 millions de salariés, le point indiciaire pour ces catégories entre 20 000 et 100 000 dinars étant plus élevés, l’on peut prendre une moyenne d’augmentation minimale entre 10 000 et 15 000 dinars, soit 12 500 dinars pour les 4 millions des autres salariés, supposant la stabilisation des bas salaires et une maîtrise de l’inflation pour éviter de nouvelles revendications. L’impact financier sur le Trésor public pour les autres catégories serait de 7,60 milliards de dollars. Cumulé avec les augmentations des bas salaires, le total serait de 11,85 milliards de dollars entre 2016 et 2017. Ce sont les données que j’ai annoncées officiellement en 2012 reprises par la presse nationale et internationale (voir www.google.com). Avec l’abrogation de l’article 87 bis, le risque est que ce ratio dépasse les 40% du PIB déjà gonflé par la valeur des hydrocarbures, ainsi qu’une valeur ajoutée du BTPH elle-même due à la dépense publique via les hydrocarbures. Ce taux ne serait pas inquiétant si la tertiairisation de l’économie avec une très faible productivité, et l’administration n’était pas dominante (emplois rentes) et si existait une très forte productivité du travail, ce qui n’est pas le cas pour l’Algérie.
5- En résumé, l’Algérie avec des réserves de change et ses entrées annuelles peut tenir quatre années au rythme actuel de ses dépenses. Mais le danger est le moyen terme horizon 2020 avec des tensions budgétaires intenables. En effet, la part insignifiante du tissu productif, les importations massives de produits agricoles comme en témoigne la chute de 30% de la production de blé en 2014 par rapport à 2013, mais plus de 100% par rapport aux années 2008/2009, la production étant estimée en 2014 à 32 millions de quintaux contre plus de 62 entre 2008/2010, montrent clairement que l'économie algérienne dépend des aléas climatiques et des fluctuations du cours des hydrocarbures qui échappent à la décision intérieure et donc la faiblesse du management stratégique de la majorité des secteurs. Le pouvoir algérien, mais aussi la majorité de la population dont le revenu est fonction à plus de 70% de la rente des hydrocarbures, doivent savoir qu'une nation ne peut distribuer que ce qu'elle a préalablement produit, que l’avenir de l’emploi et du pouvoir d’achat n’est plus dans l’administration et les emplois rentes qui voilent le taux réel du chômage, mais dans les segments productifs. Les subventions à répétition mal ciblées et mal gérées (25 milliards de dollars et avec les transferts sociaux plus de 60 milliards de dollars, environ 28% du PIB) gonflent artificiellement le revenu familial et compressent le taux d’inflation. L’Algérie qui, sans chauvinisme, a les moyens de dépasser cette situation, face une concurrence internationale de plus en plus acerbe, doit réaliser impérativement à la fois sa transition économique et sa transition énergétique entre 2015 et 2020.C’est le défi majeur pour éviter à l’avenir d’inévitables tensions à la fois économiques, sociales et politiques.
Dr Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités, expert international
[email protected]
(1) Professeur Abderrahmane Mebtoul, directeur d’études au ministère de l’Energie, Sonatrach :1974/1979-1990/1995-2000/2006- Voir sa contribution parue dans la revue HEC Montréal ( novembre 2011-Canada) :« Face aux mutations mondiales, pour un nouveau management de Sonatrach »- Conférence à l’Assemblée nationale française décembre 2013 : «Les mutations énergétiques mondiales, l’approvisionnement de l’Europe et le défi de Sonatrach»
 

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