L’avant-projet du Code du travail : ce qui changera en matière de droits individuels (II)

Pour les partisans de la nouvelle réforme, la législation du travail de 1990-1994 n’offre plus un cadre adapté aux relations professionnelles pour la nouvelle étape caractérisée, selon eux, par le recul du salariat, l’ampleur du chômage des jeunes, la tendance sensible à la précarisation des conditions d’emploi, l’expansion du secteur informel et une absence de maturation de la négociation collective. Pour eux, le salariat issu des systèmes de production à grande échelle est en voie de disparition et la nouvelle réalité économique et sociale nous met en présence d’une économie dominée par la petite et moyenne entreprise (en réalité la très petite entreprise), par un important secteur informel et un niveau de chômage important. Aussi il s’agit, selon eux d’établir une nouvelle codification des rapports professionnelle caractérisée par une flexibilité de l’emploi qui tient compte du déplacement du centre de gravité de la sphère économique vers la petite entreprise privée et le secteur informel afin de permettre le développement du secteur privé et de capter une partie des travailleurs qui opèrent dans le secteur de l’informel. Pour ces derniers «le débat sur la flexibilité doit porter sur la question des «protections minimales à assurer au salarié. Où situer ces minima tout en permettant à chaque investisseur de fructifier légitimement son capital ?» Autrement dit on passera du droit du travail protecteur des salariés au droit du travail protecteur du capital. Le nouvel avant-projet s'il venait à être adopté en l’état inaugurera une ère de régression sociale certaine qui nous mènera à moyen et long terme vers la fracture sociale. Si on devait résumer les changements contenus dans ce code qui justifient cette appréhension, on aura une norme du travail caractérisée par une généralisation des contrats de travail précaires, une facilité des licenciements sans obstacle et au moindre coût. Le nouveau projet est caractérisé par un recul flagrant en matière de protection et de sécurité des travailleurs et de médecine du travail. Une réduction du pouvoir de contrôle de l’inspection du travail et des sanctions prévues en cas d’infractions aux dispositions légales par l’employeur. Enfin une justice du travail qui ne sera plus au côté de la partie faible du contrat.
1- Une généralisation de la précarité de l’emploi
En matière d’emploi on retrouve cette flexibilité à travers la multiplication et la diversification des formes juridiques du contrat de travail précaire et la généralisation du contrat à durée déterminée (CDD).
a)- Le contrat à durée déterminée (CDD)
Economiquement parlant le CDD a pour but, selon les libéraux eux-mêmes, de permettre à l’entreprise d’ajuster sa politique d’emploi à ses besoins. Les emplois permanents doivent donner lieu à des CDI et les emplois temporaires à des CDD dont la durée doit être en adéquation avec la durée des activités correspondantes. Les lois de 1990-1994 permettent cette flexibilité à l’embauche. Or, l’avant-projet du Code du travail élargit la possibilité du recours au CDD pour de nouveaux cas tels le «démarrage d’activités nouvelles de production de biens ou de service» ou pour l’»accomplissement de travaux afin prévenir des risques potentiels dans l’entreprise». Selon le nouveau texte, un CDD ne peut pas faire l’objet de plus de trois (03) renouvellements successifs soit quatre contrats successifs dont la durée cumulée n’est pas limitée. De plus la notion de renouvellements successifs n’est pas précisée (Deux CDD séparés de quelques jours ne sont pas considérés comme successifs par la pratique actuelle). Ainsi l’élargissement des cas de recours aux CDD avec une formulation générique et la non-limitation de leurs durées cumulées font que les CDD seront dorénavant la règle et les contrats à durée indéterminée (CDI) l’exception. Il faut souligner que les pays Européens ou de la région la durée cumulée des CDD est limitée par la loi qui prévoit de plus leur prise en charge dans le cadre des conventions collectives. A titre d’exemple cette durée est de 24 mois (Maroc), 18 mois (France), 44 mois (Italie), 12 à 36 mois(Espagne), 01 année (Corée du sud), etc. La période d’essai maximale est fixée à 06 mois (12 mois pour les postes à haute qualification y compris pour les CDD) (article 32). Durant cette période d’essai, la relation de travail peut être résiliée à tout moment sans indemnité ni préavis. Le Code du travail marocain, par exemple, prévoit une période d’essai d’un mois pour les ouvriers et 06 mois pour les postes qualifiés dans le cas d’un CDI. Dans le cas d’un CDD cette période est d’un mois, quelle que soit la qualification avec en sus un droit de préavis de 08 jours en cas de résiliation. L’avant-projet introduit une nouvelle disposition qui stipule que la «demande de requalification d’un CDD en CDI doit être introduite en cours d’exécution de la relation de travail (art.23). Cette condition introduite par une jurisprudence controversée en 2009 est un déni de droit au travailleur, partie faible du contrat, qui ne pourra faire ce pas (aller en justice) sans rétorsion de l’employeur. D’ailleurs même dans le cas où il franchit ce pas et même si le juge, saisi, ordonne le maintien du travailleur à son poste avec un CDI l’employeur peut refuser de le reclasser, et pourra mettre fin à son contrat contre le paiement d’une indemnité.
b) Le travail intérimaire
Le texte introduit le travail intérimaire qui est l’une des formes les plus précaires de l’emploi, exposant son titulaire à une vulnérabilité plus grande que dans le cas d’un CDD. Contrairement aux normes du travail des pays qui ont codifié ce type d’emploi, l’avant-projet ne contient pas de dispositions de protection aussi bien des travailleurs intérimaires que ceux de la société utilisatrice (statut et droits des travailleurs intérimaires, non-affectation à des travaux dangereux, non-remplacement d’un salarié licencié pour motif économique, des travailleurs grévistes ou d’un médecin du travail absent, etc.). En France par exemple «Le recours au travail temporaire ne peut avoir, ni pour objet ni pour effet, de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, quel que soit son motif».
c) La sous-traitance
L’avant-projet introduit la notion de contrat de sous-traitance (art 110 à 115) d’une précarité semblable à celle qui caractérise le travail intérimaire. Comme pour ce dernier l’avant-projet ne contient pas de dispositions qui garantissent le droit des salariés des entreprises sous-traitantes et utilisatrices. Que la sous-traitance ne peut se faire que si elle est en faveur de l’entreprise et ne porte aucun préjudice aux intérêts des travailleurs et ne doit pas viser à pourvoir des postes permanents ni à remplacer des salariés licenciés pour motif économique, ou grévistes ou encore affectés à des travaux dangereux. Par ailleurs, de plus le droit au bénéfice des indemnités de licenciement, en cas d’insolvabilité du sous-traitant, n’est pas garanti.
Par ailleurs une activité de sous-traitante qui s’exécute sur le site du sous-traitant avec ses moyens propres (y compris personnels) et sous ses ordres relève du domaine commercial et les relations professionnelles des travailleurs avec le sous-traitant doivent obéir aux dispositions générales de la législation du travail et non à ce statut. ;
d) Travail à temps partiel
En cas d’un contrat CDI à temps partiel, le texte prévoit un plancher pour le volume horaire moyen (50% de la durée légale), mais aucun plafond. Ce qui pourra constituer un artifice pour diminuer les salaires ou contourner le SNMG. Ailleurs le plafond est de 70% de la durée légale. Par contre pour un CDD à temps partiel aucun plancher n’est fixé pour le volume horaire minimal. Ce qui veut dire qu’on pourra avoir des CDD d’un mois prévoyant une heure de travail par jour en contrepartie d’un salaire mensuel de 3000 DA (1/6eme du SNMG)…que l’ONS comptabilisera comme un emploi de l’année.
e) Les apprentis
L’avant-projet du Code du travail assimile un apprenti à un travailleur et le soumet aux mêmes obligations. Contrairement à ce qui est stipulé par la loi en vigueur, il est dorénavant permis de recruter un mineur dont l’âge est inférieur à seize (16) ans (sans autre précision sur l’âge minimal) et même de le faire travailler de nuit. Ceci en violation des conventions internationales C138, C006 et C089). L’âge maximal pour le recrutement d’un apprenti n’est pas fixé non plus, ce qui peut donner lieu à des abus. Par ailleurs l’article 48 stipule que «les travailleurs et les apprentis âgés de moins de 18 ans ne peuvent être employés à des travaux susceptibles de porter atteinte à leur intégrité physique et mentale». Or la notion «d’intégrité mentale» n’existe pas dans les normes y afférentes qui font référence à «la santé, la sécurité et la moralité» des mineurs. Ce qui est très différent de «l’intégrité physique» qui peut même concerner un cadavre. Les droits de l’apprenti ne sont pas précisés et aucune disposition n'oblige l'employeur à recruter à la fin de la formation un pourcentage des apprentis (ailleurs ce taux se situe entre 20% et 30%). Il faut rappeler qu’un apprenti est un travailleur à productivité parfois réduite en contrepartie d'un salaire insignifiant.
f) Le marchandage
La définition donnée par l’article 140 au marchandage exclut de fait «le prêt de main-d’œuvre» comme fait constitutif du délit de marchandage.
g) La modification du contrat de travail
L’art.88 stipule que les clauses et la nature du contrat de travail peuvent être modifiées par»la volonté des parties au contrat» alors que la législation actuelle (L.90-11.art.63) stipule que ces clauses et la nature du contrat de travail ne peuvent être modifiées que par «la volonté commune du travailleur et de l'employeur». Ce changement permet de supposer qu’il pourra y avoir une tierce partie au contrat ou que cette volonté peut s’exprimer unilatéralement c'est-à-dire contre la volonté du travailleur pour tous les types de contrat. En conclusion, il est aisé d’affirmer que cette diversification des formes de contrats de travail, l’assouplissement des critères permettant d’y avoir recours, la non-limitation de leurs durées cumulées et l’absence de dispositions légales encadrant ces nouvelles formes d’emploi dans le but d’assurer les droits fondamentaux des travailleurs associés à la souplesse qui est introduite en matière de contrôle et de sanctions des infractions vont aboutir à une concurrence effrénée entre ces différentes formes d’emploi. Les formes les plus précaires et les moins protectrices vont finir par se substituer aux autres formes comme durant ces 25 dernières années les CDD se sont substitués aux CDI. Ces nouveaux changements auront pour conséquence d’aggraver la précarité qui caractérise déjà l’emploi des travailleurs salariés en Algérie Il n’est pas vrai de dire que cette flexibilité va «capter l’informel», car c’est ce dernier qui va se substituer au salariat avec une loi qui va «tolérer» les infractions. Sinon comment expliquer que le secteur privé emploie au moins 3 millions de travailleurs salariés hors secteur informel (l’ONS-2013) alors qu’il n’y a que 1,5 million de cotisants du secteur privé à la sécurité sociale (CNAS 2013-2014).
Dans aucun pays au monde la part des CDD dans la structure totale de l’emploi n’égale celle de l’Algérie (> 40 %). En France par exemple «environ 3 salariés sur 10 en CDD ou en intérim une année donnée accèdent à un CDI l’année suivante ; 62 % des personnes en CDD une année donnée obtiennent un CDI au cours des trois années suivantes. C’est ce qui explique que les CDD représentent aujourd’hui à peine un dixième des emplois même si les embauches se font majoritairement en CDD» (Centre d’analyse stratégique : le travail et l’emploi dans 20 ans». En Algérie ce taux dépasse les 40 % et il n’est pas rare de trouver des travailleurs en CDD durant dix (10) voire quinze (15 ans). Et avec ça on veut plus de précarité et moins de réglementation.
h) Des conditions du travail plus précaires
– En matière de diminution ou d’augmentation de la durée hebdomadaire du travail pour certains postes de travail présentant une pénibilité ou des périodes d’inactivité, L’avant-projet donne le pouvoir à l’employeur de fixer unilatéralement «la liste des postes concernés et de préciser pour chacun d'entre eux, le niveau de réduction ou d'augmentation de la durée du travail effectif» alors que la négociation collective ne déterminera que la liste des travaux concernés. Selon la législation en vigueur toutes ces mesures sont tributaires d’accords collectifs.
– L’avant-projet a ajouté les «exigences de l’organisation» comme motif donnant à l’employeur le droit de différer le jour du repos hebdomadaire et de le fixer par roulement. C’est une atteinte au droit au repos du travailleur garanti par la constitution.
– Le principe de l’association des travailleurs à la détermination de «l'aménagement et de la répartition des horaires de travail à l'intérieur de la semaine» qui sont déterminés par «les conventions ou accords collectifs» selon la législation actuelle (L.90-11 art.22) est lui aussi remis en cause puisque l’avant-projet prévoit cette détermination «dans le cadre de l’organisation du travail de l’organisme employeur» autrement dit par l’employeur.
L’article 202 relatif au contenu des conventions collectives a bien maintenu «normes de travail, y compris les horaires de travail et leur répartition» comme élément éligible à la négociation, mais cet article constitue une obligation facultative et non une obligation légale du moment qu’il est stipulé que les éléments cités «peuvent notamment traiter…».
– Le droit des travailleurs d’être consultés et le droit d’alerte en matière d’emploi, consacrés par la loi actuelle (90-11 art 94.2 et 94.4) ont été supprimés dans cet avant-projet. Le hic est que «surveiller l’application des dispositions réglementaires en matière d'emploi» a été remplacé par «surveiller l’application des dispositions réglementaires en matière d'emploi des handicapés» (art 166).
– La définition du travail de nuit a été reformulée puisque ne pourra être considérée comme travail de nuit que «toute période de travail exécutée entre 21 heures et 06 heures incluant un intervalle de temps de travail de 07 heures consécutives avec une pause de 01 heure (art.43)». Autrement dit un travail effectué entre 18 heures et 00 heure ne sera pas considéré comme travail de nuit. A noter que l’actuelle loi considère comme travail de nuit «tout travail exécuté entre 21 heures et 5 heures» (L.90-11 art.27).
– L’emploi des mineurs est légalisé et leur travail de nuit n’est plus interdit comme sera d’ailleurs toléré le fait de leur confier des travaux qui exigent un effort excédant leur force puisque les sanctions en cas d’infractions ont été considérablement réduites.
– Les femmes seront autrement plus pénalisées. En plus de la levée de l’interdiction de leur travail de nuit et de l’insignifiance des sanctions en cas de violation de l’interdiction de leur confier des travaux qui exigent un effort excédant leur force elles doivent faire face à une discrimination salariale qui va s’accentuer avec cette flexibilité qui les rendra plus vulnérables. Aucune disposition particulière pour protéger les femmes contre toute discrimination ne figure dans l’avant-projet.
3- Le harcèlement sexuel (articles 56 à 59)
Cet avant-projet n’apporte aucun élément supplémentaire par rapport au Code pénal (2004) pour faire reculer ce fléau dans le monde du travail. En effet l’avant-projet a introduit le cas du harcèlement sexuel juste pour stipuler qu’une victime d’un harcèlement sexuel ne peut faire l’objet de licenciement sauf si la faute grave de dénonciation calomnieuse est retenue contre elle. L’auteur d’un faux témoignage est lui aussi passible de licenciement tandis que l’auteur du harcèlement lui-même ne risque aucune sanction (autres que celle découlant d’une poursuite en pénale) puisque le texte renvoie au règlement intérieur …qui ne s’applique pas à l’employeur, ce dernier ne peut pas se licencier lui-même. La même remarque s’applique aux fautes (l’incitation à la débauche, insulte grave, violence et agression) lorsqu’elles sont commises, à l’encontre des travailleurs, par l’employeur ou un de ses représentants) ou aucun dédommagement n’est prévu pour les victimes.
Dans les pays de l’OCDE et même au Maroc, ces faits constituent des «fautes graves commises par l'employeur, le chef d'entreprise ou de l'établissement à l'encontre du salarié» qui a droit à des réparations au tribunal social nonobstant toute poursuite pénale.
4- Une banalisation des licenciements pour ajuster l’emploi
La législation actuelle n’autorise que deux types de licenciements : le licenciement pour raison disciplinaire ou la compression d’effectif pour raison économique. L’actuel avant-projet introduit plusieurs autres motifs tels la rupture anticipée du CDD, le licenciement d’un CDI pour incapacité totale du travail, la fermeture de l’entreprise. Par ailleurs le pouvoir de l’employeur en matière de licenciement disciplinaire a été considérablement renforcé au moment où la sanction des employeurs pour licenciements irréguliers a été assouplie. Enfin les indemnités de licenciement et les réparations en cas de licenciements abusifs prévus par l’avant-projet sont inférieures à celles en vigueur dans les pays de la région.
4.1- Le licenciement disciplinaire
Dans tous les pays du monde, l'employeur est investi, au sein de l’entreprise, d'un ensemble de pouvoirs et de facultés afin de garantir l'exécution et la discipline du travail. Mais la doctrine moderne insiste que ces pouvoirs ne peuvent être exercés que dans l’intérêt du bon fonctionnement de l’entreprise et ne peuvent, par conséquent être détournés, par l’employeur selon son bon vouloir. La formulation trop générale des fautes graves (l’article 96), la possibilité donnée à l’employeur d’ajouter d’autres fautes graves dans le règlement intérieur, la simplification de la procédure disciplinaire ouvrent la voie à des sanctions abusives, disproportionnées et discriminatoires et le juge ne sera plus admis à se substituer à l'employeur dans l'appréciation de la faute disciplinaire. La seule possibilité pour le juge resterait de prononcer l’irrégularité ou la nullité de la sanction. En effet seule la charge de la preuve du respect des procédures incombera à l'employeur (art.100) et non la charge de la preuve de l’existence de la faute elle-même. Autrement dit il n’incombera plus à l'employeur de prouver l'existence des faits reprochés au salarié au contraire de la loi actuelle qui stipule que «Tout licenciement individuel intervenu en violation des dispositions de la présente loi est présumé abusif, à charge pour l'employeur d'apporter la preuve du contraire» (L90-11-art.73). Un travailleur ayant fait l’objet d’une condamnation définitive privative de liberté pour un délit non commis à l'occasion du travail est licencié (à titre d’exemple une condamnation pour non-paiement de pension alimentaire ou pour omission d’effectuer le contrôle technique de sa voiture, etc.) (art 91 alinéa 3). Même dans le cas où le juge décide qu’un licenciement est abusif le travailleur ne pourra prétendre à la réintégration si l’employeur s’y oppose, en contrepartie d’une compensation financière fixée à un niveau qui est loin d’égaler ce qui se pratique dans les pays de la région (plafonnée en fonction de l’ancienneté à 24 mois de salaire en Algérie pour 36 mois de salaire au Maroc et en Tunisie). En cas de licenciement abusif (irrégulier) d’un travailleur qui a commis une faute grave, le plancher de 06 mois de salaire mensuel a été supprimé et l’indemnité sera fixée par le juge (article 102). L’on se dirige vers un ou deux mois de salaire comme il se pratique en Europe (à la différence qu’en Europe le travailleur bénéficiera d’une allocation de chômage contrairement). Au Maroc par contre un travailleur licencié abusivement (même en présence d’une faute grave) ouvre droit à un dédommagement qui pourra atteindre jusqu’à 70 mois de salaire en fonction de son ancienneté (cumul de l’indemnité générale, dommages et intérêts et indemnité pour perte d’emploi). Si le licenciement abusif (même sans raison) concerne un travailleur titulaire d’un CDD, celui-ci n’aura droit qu’à une compensation qui équivaut aux salaires de la période restante de son CDD. Il va de soi qu’il ne pourra revendiquer ni le renouvellement ou le reclassement en CDI de son contrat même si ceux-ci étaient prévus dans le contrat initial ni le dédommagement pour licenciement abusif. L’avant-projet du Code du travail ne prévoit pas les fautes graves qui peuvent être commises par l’employeur à l’encontre du travailleur justifiant la rupture du contrat de travail à l’initiative du travailleur et aux dépens de l’employeur (non-respect des clauses contractuelles fondamentales, insulte, agression, incitation à la débauche, harcèlement sexuel, etc.). La lecture combinée des articles 90 et 91 et 109 permet de conclure qu’un titulaire d’un CDD dont le contrat arrive à terme durant le déroulement d’un des événements suivants verra sa relation de travail prendre fin (licenciement) :
– s’il est en congé de maladie (même résultant d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle) ;
– appelé à accomplir ses obligations du service national et des périodes de maintien ou d'entretien dans le cadre de la réserve ;
– l’article 93.5 stipule que «la rupture unilatérale du contrat de travail du fait du travailleur» est un des motifs de cessation de la relation de travail, mais ne précise pas que dans ce cas la rupture du contrat est prononcée au tort de l'employeur si elle intervient en cas de faute grave de ce dernier vis-à-vis de l’employé ou d'inexécution par l'employeur d'une ou de plusieurs obligations de ce contrat». Ce qui veut dire que le travailleur aura le droit aux indemnités dues à un licenciement abusif.
4.2- la compression d’effectif : un licenciement au moindre coût
Actuellement la compression d’effectif n’est prévue que pour des raisons économiques (dissolution d’entreprises, réajustements des niveaux de l'emploi pour raison économique). La loi en vigueur (L90-11.art 69) stipule qu’«il est interdit à tout employeur qui a procédé à une compression d'effectif de recourir sur les mêmes lieux de travail à de nouveaux recrutements dans les catégories professionnelles des travailleurs concernés par la compression d'effectifs». Cette interdiction a été supprimée dans l’avant-projet. Les travailleurs concernés par une compression d’effectif n’auront pas le droit de priorité au reclassement et à la réembauche. Avant de procéder à une compression d’effectif, il ne sera pas fait obligation à l’employeur d’obtenir une autorisation de l'administration publique ou d'un organe judiciaire contrairement à ce qui se pratique dans les pays voisins (Maroc, Tunisie, Egypte). L’indemnité de licenciement pour compression d’effectif est de 03 mois de salaire. A titre de comparaison, au Maroc elle est de 6.5 mois de salaire pour 10 ans d’ancienneté et 24 mois de salaire pour 25 ans d’ancienneté. Les travailleurs qui seront admis à la retraite ou retraite anticipée suite à une compression d’effectif n’auront le droit à aucune indemnisation autre celle qui leur est due au titre du congé payé. Cela élimine de facto le bénéfice des primes de départ à la retraite contenues dans la majorité des conventions collectives des entreprises publiques et qui concernent des centaines de milliers de travailleurs du secteur public (à croire que les auteurs de l’avant-projet n’ont regardé que du côté de l’entreprise privée). Le versement par l'employeur des charges de sécurité sociale afférentes à l’indemnité de licenciement a été supprimé dans l’avant-projet (art 475). Dans ce chapitre les sanctions ne sont prévues contre l’employeur que dans le cas de défaut de déclaration des compressions d’effectifs ou de de non-versement des cotisations, mais pas dans le cas où l’employeur procédé à des compressions en violation des dispositions légales.
4.3- Le licenciement pour incapacité totale de travail
L’article 93 stipule que «l'incapacité totale de travail telle que définie par la législation de sécurité sociale» a pour effet la cessation de la relation de travail, autrement dit le licenciement sans indemnités. D’abord, c’est une aberration, car la notion d’»incapacité totale de travail» n’existe pas dans la législation de sécurité sociale et ne doit pas être confondue avec «incapacité permanente de travail» ou «incapacité temporaire de travail» qui ont été introduites par la législation de la sécurité sociale pour justifier le paiement d’une rente. «L’incapacité totale de travail», elle, est prévue par le Code pénal, elle n’est pas forcement permanente et peut même correspondre à 01 jour. En outre à supposer que les auteurs voulussent dire «incapacité permanente de travail» il faut savoir que dans la majorité des pays ou le travailleur est respecté, le licenciement pour incapacité suite à un accident de travail ou à une maladie professionnelle donne droit à une indemnité de licencient égale au double de l’indemnité légale.
4.4- La rupture conventionnelle : un licenciement à l’amiable
L’avant-projet prévoit d’institutionnaliser un autre type de rupture de contrat appelé «rupture conventionnelle», qui n'est rien d'autre qu'un «licenciement à l'amiable» sans négociation collective ni intervention des syndicats. Combien de fois n'a-t-on vu pas des travailleurs «accepter» de partir volontairement contre une compensation financière à la suite d'un blocage du salaire accompagné de menaces de licenciement sans aucune indemnité s'ils refusent ce licenciement à l'amiable appelé abusivement «départ volontaire». Dans les pays développés, la rupture conventionnelle est entourée d’un certain nombre de garanties pour le salarié relatives aussi bien à l'existence réelle de la «liberté de consentement» qu'à l'ouverture de droits en particulier au bénéfice de l’allocation d’assurance chômage jusqu'à l'obtention d'un nouvel emploi. En France par exemple la jurisprudence a arrêté que la liberté de consentement n’est notamment pas garantie si la signature de la rupture intervient dans une situation de harcèlement moral». Dans ce cas, la rupture conventionnelle risque d’être annulée par le juge et de produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, conduisant au versement d’indemnités pour le salarié (arrêt de la Cour de cassation du 30 janvier 2013). En matière d’indemnité compensatrice la rupture conventionnelle en Tunisie et au Maroc donnent droit aux travailleurs à une indemnité qui peut égaler 36 mois de salaire mensuel contre 15 mois de salaire prévus par l’avant-projet. Ce type de licenciement contribuera lui aussi à la précarité générale qui s'annonce.
4.5- La rupture anticipée et sans raison du CDD par l’employeur sans raison légalisée
L’employeur peut à tout moment et sans aucune justification, décider de rompre un CDD qui ne donne à son titulaire que le droit au paiement d’une compensation pécuniaire équivalente au salaire correspondant à la Période de travail allant de la date de la rupture au terme du contrat.
4.6- La fermeture de l’entreprise
En Tunisie la fermeture provisoire de l’entreprise lorsqu’elle découle d’une sanction administrative donne droit aux travailleurs à un maintien de salaire à concurrence de trois mois. En Algérie la relation de travail est suspendue le premier jour. Au Maroc, la fermeture définitive de l’entreprise peut être assimilée à un licenciement collectif et ouvre droit aux travailleurs au bénéfice des indemnités de licenciement correspondantes. Ce qui n’est pas le cas en Algérie où aucune indemnité n’est prévue ni en cas de fermeture provisoire ni en cas de fermeture définitive.
5- Un assouplissement des sanctions pénales en cas de non-respect de la loi
L'actuelle législation stipule que tout contrevenant aux dispositions de la loi, relatives à la durée légale hebdomadaire de travail, à l'amplitude journalière de travail, aux heures supplémentaires, au travail de nuit, aux repos légaux, au congé annuel et aux conditions d'emploi des jeunes travailleurs et des femmes est puni d'une amende (…) appliquée pour chacune des infractions constatées et autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés. Dans l'avant-projet ces sanctions ont été considérablement assouplies puisque l'amende (minimale de 10 000 DA) ne sera appliquée qu'une seule fois, quel que soit le nombre de travailleurs concernés (autrement dit la contravention sera divisée par 1000 s'il y a autant de travailleurs concernés). Les infractions relatives à l'obligation de versement à terme échu de la rémunération due aux travailleurs ou à la discrimination entre les travailleurs en matière d'emploi, de rémunération ou de conditions de travail constituent dans la législation actuelle un délit passible de prison. Dans l'avant-projet, ils ne constituent que des contraventions. Cela est un mauvais signal adressé aux employeurs pour ne pas respecter la législation. Pourtant, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, parlant du nouvel avant-projet du Code du travail, avait plaidé pour «le durcissement de la loi relative aux règles et à la procédure de recrutement qui est loin d’être dissuasive pour nombre d’employeurs…» (Le quotidien d'Oran 02 février 2014). Les fraudes en matière sociale (art 138 et 139) telles que l’emploi des travailleurs non affiliés à la sécurité sociale ou leur non-déclaration, les fausses déclarations, l’emploi d’un travailleur étranger ou son marchandage ne seront pas sanctionnés selon l’avant-projet. Alors que la lutte contre l’informel est l’un des buts assignés à cet avant-projet selon ses promoteurs.
6- Moins de protection en matière d’hygiène, sécurité et médecine du travail
Rappelons que la législation en matière d’hygiène, de sécurité et de médecine du travail en vigueur (L.88-07) stipule que «la protection de la santé des travailleurs par la médecine du travail est partie intégrante de la politique nationale de santé.» et que la «la médecine du travail a pour but :
– de promouvoir et maintenir le plus haut degré de bien-être physique et mental des travailleurs dans toutes les professions et en vue d'élever le niveau des capacités de travail et de création ;
– de prévenir et protéger les travailleurs des risques pouvant engendrer des accidents ou des maladies professionnelles et de tout dommage causé à leur santé ;
– d'identifier et de surveiller, en vue de réduire ou d'éliminer tous les facteurs qui, sur les lieux de travail, peuvent affecter la santé du travailleur. Par ailleurs les conventions internationales, ratifiées par l’Algérie, définissent les risques professionnels comme étant des «atteintes à la santé du travailleur qui résultent du travail, sont liées au travail ou surviennent au cours du travail». Or selon l’avant-projet l’employeur n’endosse l'entière responsabilité des mesures de prévention à mettre en place et en assume les conséquences en cas de préjudice causé ou de défaillance ayant entamé un accident du travail grave ou une maladie professionnelle» (art 568). Ce qui exclut de facto tous les dommages causés à la suite d’accidents du travail «non graves», des maladies «à caractère professionnel», mais non classées par la législation de la sécurité sociale comme»maladies professionnelles». Quelle est cette logique, et que vaut la santé ou même la vie d’un travailleur quand il est stipulé que ce dernier peut être licencié pour «faute grave» s’il porte atteinte aux biens de l’employeur, mais que ce dernier ne sera tenu pour responsable que des accidents de travail graves et des maladies professionnelles. Cette précarité de la santé et même de la vie des travailleurs se retrouve aussi dans les changements introduits dans les obligations faites à l’employeur en matière de sécurité et de santé et surtout dans l’assouplissement des sanctions en cas d’infractions. Citons à titre d’exemple les sanctions prévues par la législation en vigueur, qui allaient de l’amende à une peine d’emprisonnement en cas de récidive, en cas de manquement par l’employeur aux obligations suivantes :
– s’assurer que les travaux confiés aux femmes, aux travailleurs mineurs et travailleurs handicapés n'exigent pas un effort excédant leur force» ;
– assurer aux apprentis une surveillance médicale particulière ;
– d’intégrer la sécurité des travailleurs dans le choix des techniques et technologies et dans l'organisation du travail ;
– mettre en place, à sa charge, la médecine du travail s'exerce sur les lieux mêmes du travail ;
– de soumettre tout travailleur ou apprenti aux examens d'embauche, périodiques, spéciaux et spontanés à sa demande ;
– instituer des commissions paritaires d'hygiène et de sécurité (s’il occupe plus de neuf (9) travailleurs en CDI). Ont vu l’amende prévue réduite et la peine d’emprisonnement, en cas de récidive, supprimée. Même la disposition qui stipule que «le tribunal peut décider la fermeture totale ou partielle de l'établissement, jusqu'à l'exécution des travaux prescrits par la législation en vigueur, en vue d'assurer l'hygiène et la sécurité des travailleurs» a été supprimée. A titre d’exemple la sanction pénale prévue en cas de non mise en place de la médecine du travail est une amende allant de 10 000 DA à 100 000 DA (soit le 1/100e du coût salarial d’un médecin du travail pour ne parler que de ce coût) et aucune sanction n’est dorénavant prévue en cas de non mise en place de la commission d’hygiène et de sécurité. En cas de négligences graves ayant entraîné des accidents graves (comprendre y compris la mort) la sanction varie entre 01 à 03 années de prison. La disposition stipulant que «les apprentis doivent faire l'objet d'une surveillance médicale particulière «a été carrément supprimée dans l’avant-projet. Les prescriptions particulières d'hygiène et de sécurité applicables aux secteurs du bâtiment, des travaux publics et de l'hydraulique prévues par l'actuelle législation notamment la mise en place d’une structure et d’une commission d’hygiène et de sécurité, quel que soit le nombre des travailleurs ont disparu dans le nouveau projet. Pourtant, le secteur du BTPH est le secteur où l’on observe le plus d’accidents de travail dus non seulement aux risques professionnels avec des causes d’accidents nombreuses liées à la nature de ces activités, mais aussi au bas niveau de formation des travailleurs. Alors qu’un chapitre a été consacré, par l’avant-projet, à l’interdiction de fumer, qui est déjà codifiée par le droit commun. Il ne sera plus fait obligation à l’employeur d'instituer des commissions d’hygiène et de sécurité au sein des unités d'un organisme lorsque son organisation comprend plusieurs unités ou de lieux de travail distincts (art 604 à 606) alors «les collaborateurs de l'employeur chargés par ce dernier dans le cas où existe plusieurs entreprises ou lieux de travail distincts seront personnellement et pénalement responsables de toute infraction en matière de sécurité et de santé au travail. La législation en vigueur (L.88-07-art.32) prévoit que la commission d'hygiène et de sécurité, le préposé à l'hygiène et à la sécurité, ainsi que le médecin du travail peuvent saisir, à tout moment, l'inspecteur du travail, «en cas de constat d'une négligence flagrante ou d'un risque pour lequel des mesures appropriées n’ont pas été prises». Cet article est prévu d’être remplacé par l’article 614 de l’avant-projet qui ne prévoit cette saisine que dans le cas de «situations ou risques professionnels graves» sans définir ce qui sera considéré comme grave. Tous les articles relatifs à la prévention, au contrôle et aux sanctions de l’employeur ont été remplacés dans le même sens pour définir le danger ou le risque c’est-à-dire en leur ajoutant l’adjectif «grave». Les membres des commissions d'hygiène et de sécurité ne sont pas protégés contre les sanctions disciplinaires.
7- Le pouvoir de poursuite de l’inspecteur du travail remis en cause
Parmi les principales missions de l’inspecteur du travail, la surveillance et le contrôle de l’application de la législation du travail en vigueur viennent en tête. Pour cela il dispose de pouvoirs d’injonction et de poursuite (judiciaire). L’actuel projet reconduit, en apparence seulement, les mêmes missions et d'attributions dévolues à l'inspecteur du travail par l'actuelle législation et prévoient les mêmes actes par lesquels l'IT peut procéder lorsqu'il constate un manquement ou une violation de la loi (observations écrites, mise en demeure, procès-verbal d'infraction en sus des PV de conciliations et de non-conciliation). Dans la législation en vigueur (L.90-03-art.12), il est précisé que : «Lorsque l'inspecteur du travail constate la violation flagrante de dispositions impératives des lois et règlements il fait obligation à l'employeur d'avoir à s'y conformer, dans un délai qui ne peut excéder huit jours. A défaut, par l'employeur d'avoir exécuté ladite obligation dans le délai prescrit, l'inspecteur du travail dresse un procès-verbal et en saisit la juridiction compétente qui statue à sa première audience par une décision exécutoire nonobstant opposition ou appel». L’avant-projet a supprimé cette disposition pour la remplacer par un article (art. 641) qui semble entretenir une confusion entre la mise en demeure qui doit être adressée à l’employeur pour mise en conformité avec la loi et le procès-verbal d’infraction qui est un constat d’infraction, établi après le délai fixé par la mise en demeure et qui doit être adressé à une instance judiciaire. Cet art 641 stipule en effet». Lorsque les travailleurs sont exposés à des risques graves résultant d'emplacements ou de procédés de travail particulièrement insalubres ou dangereux, l'inspecteur du travail dresse immédiatement un procès-verbal d'infraction et met en demeure l'employeur de prendre des mesures de prévention adaptées aux risques à prévenir. Cette mise en demeure est consignée sur le registre des mises en demeure.» Cet article ne précise pas à qui doit être adressé le PV d’infraction et les suites qui lui seront réservées. L’article 612 relatif au contrôle de l'application de la législation en matière de sécurité et santé au travail précise que «Lorsque des infractions à cette législation sont constatées (ici le mot grave n’est pas utilisé) l'inspecteur du travail met le responsable de l'organisme employeur en demeure pour mettre fin aux dites infractions». Mais il n’est pas précisé s’il doit établir un procès-verbal d’infraction en cas de refus de l’employeur de s’y conformer (à quoi servirait la mise en demeure dans ce cas ?). Autrement dit l’inspecteur du travail n’usera de son pouvoir de poursuite qu’en cas de violations flagrantes des dispositions légales et d’atteinte grave à la santé des travailleurs. Pour le reste la flexibilité dicte la tolérance.
8- Une justice du travail qui ne sera plus du côté du faible
Tous les changements apportés par l'avant-projet du Code du travail vont à l'encontre des intérêts des travailleurs et de certains de leurs droits acquis. La justice du travail ne sera plus du côté de la partie faible du contrat et dans certains cas servira de chambre d'enregistrement de la volonté des employeurs.
1) Le premier changement important est introduit par l'article 287 qui ne considère plus comme exécutoires les jugements des sections sociales rendus en matière de réintégration, d'annulation des sanctions, de délivrance de certificats de travail ou de bulletins de paie ou ordonnant l'application d'un accord de conciliation. Tous ces jugements étaient rendus en premier et dernier ressort par le tribunal de première instance. Les travailleurs seront moins protégés contre abus non seulement à cause de la procédure judiciaire supplémentaire longue et coûteuse qui leur sera imposée (l’appel), mais aussi, et surtout par le fait que, contrairement aux juridictions d'appel, le tribunal social de première instance est composé outre d’un magistrat président, de deux assesseurs représentant les travailleurs et de deux assesseurs représentant les employeurs avec, il est important de le souligner, voix délibérative depuis les lois de 1990. Ainsi les partenaires sociaux sont associés sur un pied d'égalité et la présence de ces assesseurs apporte à l’instance judiciaire un plus sur la réalité et le vécu du monde du travail. Même le nombre des assesseurs lui-même est réduit par l’avant-projet de quatre à deux (un représentant les employeurs et un représentant les travailleurs) renforçant le risque de dysfonctionnement du tribunal social en cas d’absence d’un assesseur. Curieusement l’avant-projet a maintenu les alinéas de l’actuelle loi codifiée sur la base de quatre 04 assesseurs et non deux (02) à savoir : «La section sociale peut valablement siéger en la présence d'au moins un (1) assesseur travailleur et un (1) assesseur employeur ?» et «En cas de défaillance des assesseurs travailleurs ou des assesseurs employeurs …». Ceci constitue une contradiction de taille.
Gageons qu’à cause de ce seul changement le nombre de litiges qui ne seront plus résolus en faveur des travailleurs connaîtra une augmentation exponentielle.
2) De plus les jugements de réintégration même ayant acquis la force de la chose jugée (après appel) ne pourront plus donner lieu à un jugement sous astreinte journalière pour obliger l'employeur de les appliquer.
3) L'article 288 stipule que l'exécution provisoire est de plein droit pour les décisions judiciaires relatives à l'annulation des décisions de licenciement prononcées à l'encontre des délégués syndicaux et des délégués du personnel. Par quel moyen les concernés peuvent-ils faire valoir cette exécution provisoire en cas de refus de l’employeur ? Le hic c'est que même lorsque cette décision sera définitive (jugement après appel) le travailleur ne pourra pas la faire appliquer non plus puisque les jugements ordonnant la réintégration ne peuvent donner lieu à un jugement sous astreinte (art.306).
4) Le même article 288 stipule que l'exécution provisoire est de plein droit pour les décisions judiciaires relatives au paiement des salaires et indemnités de plus de six mois avec caution (notons que selon la législation actuelle cette exécution est sans caution). Ce changement aura pour conséquence de soumettre le travailleur qui en est muni, aux difficultés de trouver une caution le plaçant hors d’état de la donner (surtout s'il est sans salaire). Ceci constituera un déni de droit.
5) La durée de la période de conciliation est prolongée de 07 jours au détriment du travailleur dans l'avant-projet qui a aussi supprimé l’obligation faite à l’inspecteur du travail de «remettre, séance tenante, au demandeur un exemplaire du procès-verbal de non-conciliation» en cas d’absence de l'employeur aux 02 séances de conciliation sans qu’aucun délai ne soit fixé.
6) «L’assistance judiciaire de plein droit à tout travailleur ou apprenti dont le salaire est inférieur au double du salaire mensuel minimum garanti» prévue par la législation actuelle est supprimée dans l’avant-projet puisque l’art.292 renvoie ce bénéfice «à la législation en vigueur». Or cette dernière n’accorde cette assistance de plein droit pour les travailleurs que lorsque le litige porte sur un accident du travail ou une maladie professionnelle (art28.6 du Code civil).
7) Le taux de l'astreinte journalière a été réduit de 25 % du Salaire mensuel minimum garanti à 15%. Il faut souligner qu'en termes de valeur réelle, le SNMG de 1990 (année de la loi en vigueur) est supérieur au SNMG 2014 (année de l'avant-projet). Cela veut dire que cette réduction en défaveur du travailleur n’est pas justifiée économiquement.
8) Enfin, soulignons que l'avant-projet n’inclut pas dans les compétences des sections sociales, les litiges relatifs à l'élection et au fonctionnement du comité de participation (à ne pas confondre avec «les délégués du personnel» qui sont une institution distincte») ainsi que ceux relatifs à la gestion des œuvres sociales. Une omission ?
Bouderba Nouredine, ancien membre du bureau de la FNTPGC-UGTA
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A suivre : «Ce qui changera en matière de droits collectifs des travailleurs»
 

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