Accord d’association Algérie-Europe : M. le ministre du Commerce, ne vous contredisez pas !

Amara Benyounès, ministre du Commerce, au moment où la diplomatie algérienne fait des progrès, vient d’aiguiser les tensions avec l’Union Européenne. Il affirme violemment, dans un entretien accordé à The Parliament Magazine et relayé par l’APS, que l’accord d’association signé par l’Algérie en toute souveraineté le 1er septembre 2005 n’a pas eu le résultat attendu qui est de promouvoir les exportations hors hydrocarbures et d’attirer des investissements directs de l’étranger (IDE) en Algérie et que dans le le même temps, l’Union a profité de cet accord en consolidant sa part de marché représentant plus de la moitié des importations algériennes. L’actuel ministre du Commerce n’est pas à une contradiction près : un jour, il affirme que l’accord d’association et l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sont de bonnes actions et quelques jours après, il affirme le contraire, discréditant par des discours contradictoires devant les étrangers l’image de l’Algérie au niveau international.
1- Monsieur le ministre, les réformes donnant des avantages comparatifs à l’Algérie relèvent de la volonté politique des Algériens et non de l’extérieur. Je vous rappelle les principaux axes de l’accord d’association qui reprend à 70% ceux des accords avec l’Europe, devant profiter des accords de Doha qui stipulent une période de transition pour les pays en voie de développent, devant également profiter également des expériences de l’Arabie Saoudite et la Russie, admis récemment à l’OMC qui représentant 85% de la population et 97% des échanges mondiaux. Nous avons l'interdiction du recours à la «dualité des prix» pour les ressources naturelles, en particulier le pétrole (prix internes plus bas que ceux à l'exportation pour les unités qui exportent) ; l'élimination générale des restrictions quantitatives au commerce (à l'import et à l'export) ; et l’obligation de mettre en place les normes de qualité pour protéger la santé tant des hommes que des animaux (règles sanitaires et phytosanitaires). Il y a lieu résoudre le problème des subventions, les règles de protection de l'environnement, la liberté d’investir, l’encouragement de l’investissement privé en favorisant le milieu des affaires dont la lutte contre la bureaucratie paralysante, la refonte du système financier, l’épineux problème du foncier avec toutes les utilités, une formation de qualité par la libre circulation des capitaux, la protection de la propriété intellectuelle – les pays membres s'engageant à combattre le piratage donc la sphère informelle –, et enfin les relations de partenariat entre les deux parties basées sur l'initiative privée. Pour le volet commercial, les importations en provenance de l’Union européenne sont passées de 8,2 milliards de dollars en moyenne annuelle avant la mise en œuvre de l’accord d’association (2002 à 2004) à 24,21 milliards de dollars en 2011, à 26,33 milliards de dollars en 2012 (52,27%) et à 28,582 milliards de dollars en 2013 (52,11%), selon les statistiques des Douanes. Les exportations vers l’Union européenne sont passées, en moyenne annuelle, de 15 milliards de dollars, entre 2002 et 2004, à 36,3 milliards de dollars en 2011– essentiellement du pétrole et du gaz –, 39,797 milliards de dollars en 2012 (55,38%) et 42,773 milliards de dollars en 2013 (64,89+%) du fait de la baisse des importations provenant des Etats-Unis (révolution du gaz de schiste) qui risque de s’accélérer entre 2015 et 2020. Les exportations hors hydrocarbures ont été en moyenne en 2012 et 2013 de 2 milliards de dollars. Mais plus de 70% des recettes ont été réalisées par 400 exportateurs, qui proviennent de la commercialisation de dérivés du pétrole, du gaz, ainsi que de produits miniers comme le phosphate. Les exportations algériennes hors hydrocarbures vers l’Union européenne sont dominées par des dérivés d’hydrocarbures avec un taux de 93%, selon l’Agence algérienne de promotion du commerce extérieur (Algex), n’ayant rien à exporter en dehors des hydrocarbures, expliquant que la balance commerciale hors hydrocarbures reste déséquilibrée. En principe, toute dévaluation devrait dynamiser les exportations pour sa monnaie et freiner les importations et c’est une loi économique (voir l’exemple chinois). C’est l’effet inverse en Algérie. Selon les données de la Banque mondiale correspondant à celles de la Banque d’Algérie pour la période 2000-2013, l’Algérie a exporté pour 707,250 milliards de dollars et importé pour 491,200 milliards. La différence est de 216 milliards et si on enlève le remboursement anticipé de la dette, on retombe sur le chiffre des réserves actuelles fin 2013. Uniquement pour l’année 2013, les importations de biens avoisinent 55 milliards de dollars plus 12 milliards de dollars d’importations de services, soit 67 milliards de dollars, auxquels il faut ajouter entre 5 et 7 milliards de dollars de transferts légaux de capitaux des compagnies étrangères, ce qui nous donne entre 72 et 74 milliards de dollars de sorties de devises.
2- Monsieur le ministre du Commerce, le dérapage du dinar qui constitue un dumping n’a pas permis de dynamiser les exportations hors hydrocarbures, montrant que le blocage est d’ordre systémique. Evitez donc des déclarations hâtives n’ayant aucun sens, ni économique ni politique. Créé en 1964, le dinar algérien était coté, jusqu’en 1973, 1 dinar pour 1 franc, et par rapport au dollar, 1 dinar pour 5 dollars. Depuis 1974, la valeur du dinar a été fixée, suivant l’évolution d’un panier de 14 monnaies, avec une dépréciation entre 1986 et 1990, de 4,82 à 12,191 (cours dollar/dinar : 150%), suivie d’une seconde dépréciation de l’ordre de 22%, en 1991. Avec la cessation de paiement en 1994, et suite au rééchelonnement et aux conditionnalités imposées par le FMI, il y a eu une nouvelle dévaluation de plus de 40% par rapport au dollar américain, suivie, dès 1995/1996, d’une convertibilité commerciale du dinar. Pourquoi la valeur du dinar est-elle si insignifiante pour un dollar ? Selon le cours du Forex1, en date du 23 novembre 2014, 85,70 dinars pour un dollar et 106,06 dinars pour un euro. Sur le marché parallèle, contrairement aux pays voisins où l’écart est faible, en Algérie, l’écart est passé de 140 DA un euro fin 2013, à 160 DA un euro entre juin et novembre 2014, les devises se vendant et s’achetant sur la place publique sans aucune intervention bancaire. La valeur des importations en provenance de l’Europe est taxée par les Douanes algériennes en fonction de la cotation du taux de change dinar-euro auquel s’applique le calcul fiscal des taxes douanières qui s’accroissent avec la dévaluation du dinar. Le dérapage du dinar entre 2005 et 2014, outre qu’il augmente artificiellement la fiscalité pétrolière et le fonds de régulation des recettes calculées en dinars algériens en référence aux exportations d’hydrocarbures dont la valeur dollar est reconvertie en dinar au niveau de la Banque d’Algérie, gonfle également les taxes douanières où le calcul s’applique aux importations de marchandises en provenance de l’Europe, dont la valeur en euros est reconvertie en dinars au port où s’appliquent les taxes douanières. Le taux de change entre 2005 et 2014 a subi un glissement fluctuant avec un dérapage de 20% à 22%. Cette dévaluation permet de gonfler les recettes fiscales, les pertes fiscales – en calcul statique – dues à l’accord appliquées aux produits concernés seraient d’environ 2,5 à 3 milliards de dollars entre 2005 et 2013. Ces pertes sont faibles par rapport aux gains importants si l’Algérie avait accéléré les réformes structurelles. Si on avait réalisé les reformes structurelles, micro-économiques et institutionnelles, le gain net de l’accord pour l’Algérie se chiffrerait à plusieurs dizaines de milliards de dollars avec des entreprises compétitives et des emplois durables productifs. Donc, appliquer un taux uniforme pour évaluer les pertes sur tous les produits importés d’Europe est un non-sens, nous devons tenir compte du montant des importations provenant de l’Europe entre 2006 et 2014, de la progressivité du démantèlement tarifaire qui ne touche que certains produits et du montant qui n’est pas le même. En finalité, et contredisant toutes les lois économiques pour qui une dévaluation a un impact positif sur les exportations hors hydrocarbures (voyez le cas de la Chine et ses conflits avec l’Europe et les Etats-Unis pour la cotation de sa monnaie), en Algérie, c’est l’effet inverse par le gonflement des importations montrant que le blocage est d’ordre systémique.
3- Monsieur le ministre, après plus de 50 années d’indépendance politique, l’Algérie est toujours une économie rentière. Il y a urgence d’engager de profondes réformes structurelles afin de réaliser la transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures dans le cadre des nouvelles mutations mondiales, en réhabilitant l’entreprise créatrice de richesses, publique, privée, locale et internationale, et l’économie de la connaissance. Qu’avons-nous à exporter en dehors des hydrocarbures en termes de coût et de qualité actuellement ? Car, malheureusement, le tissu industriel représente en 2014 moins de 5% du produit intérieur brut, et sur ces 5%, plus de 95% sont des PMI-PME peu initiées au management stratégique, qui poussent au protectionnisme avec des transferts de rente, la surface économique est représentée par 83% de petits commerces, avec une sphère informelle à dominance marchande de 50% de la superficie économique, autant la masse monétaire en circulation et autant d’emplois (tertiarisation de l’économie), traduisant la faiblesse des réformes. L’Algérie est le seul pays maghrébin, et méditerranéen à avoir demandé une révision du calendrier du démantèlement tarifaire avec l’UE. C’est en 2010 que l’Algérie avait demandé de décaler de trois années le calendrier de démantèlement tarifaire des produits importés de la communauté, motivant sa requête par le besoin d’accorder une période supplémentaire aux entreprises algériennes afin de se préparer à la concurrence accrue qui sera imposée avec la création de la zone de libre-échange algéro-européenne. L’accord d’association accorde en parallèle aux deux parties la possibilité de geler pendant trois années l’application de ce démantèlement si les échanges commerciaux sont déséquilibrés et profitent seulement à une seule partie. Les deux parties sont parvenues après plusieurs rounds à aplanir les différends sur les volets agricole et industriel avec en toile de fond la protection des produits de sidérurgie, de textile, de l’électronique, ainsi que ceux relatifs à l’industrie de l’automobile. Ainsi, le démantèlement tarifaire, prévu en 2017 entre l'Algérie et l'UE dans le cadre de l'accord d'association, a été reporté à 2020. Dans son volet agricole, l'accord stipule également «un réaménagement de certains contingents préférentiels de l'UE pour les produits agricoles et produits agricoles transformés», selon la même source. Il s'agit de 36 contingents agricoles à l'importation en Algérie qui bénéficient de franchise de douane, qui seront désormais supprimés ou réaménagés. D'autre part, ce décalage de la date butoir devrait permettre à l'Algérie d'éviter une perte de 8,5 milliards de dollars de recettes de Trésor d'ici à 2017, si elle avait maintenu en vigueur le démantèlement tarifaire des produits importés de l'UE, selon des estimations officielles basées sur une simulation avec une facture constante des importations en provenance de l'UE sur la période allant de 2010, date du gel par l'Algérie du processus de démantèlement, à 2017. Cela est d’autant plus important que des tensions budgétaires entre 2015 et 2020 soient à prévoir, dues à la chute des recettes d’hydrocarbures, à la forte dépense publique sur la base d’un cours de baril de 115/120 dollars. Il s’agit de mettre fin aux versements de traitements sans contrepartie productive, des subventions et transferts sociaux généralisés (60 milliards de dollars, soit 27%/28%) sans ciblage qui ne s’adressent pas aux plus démunis, à la mise en chantier de projets sans les mûrir, avec des surcoûts exorbitants (souvent de 20% à 30%) et d’en mesurer les impacts. Cette situation est intenable dans le temps, avec le risque de l’épuisement du fonds de régulation des recettes et des réserves de change. Mais évitons la sinistrose : pour peu qu’une gouvernance rénovée soit mise en place, le redressement est possible. Les réformes structurelles permettant de dynamiser la production et les exportations hors hydrocarbures relèvent de décisions internes conditionnées par de profondes réformes structurelles tant micro-économiques qu’institutionnelles. Il n’appartient pas à l’extérieur de faire des réformes à notre place, devant aller vers une économie de marché concurrentielle maîtrisée à l’instar de la Chine et dans le cadre des valeurs internationales. Les bulles immobilières à l’origine de la crise mondiale et la faillite récente du Venezuela pourtant grand pays pétrolier doivent être longuement méditée.
Monsieur le Ministre, un homme politique, dont le discours engage l’avenir d’un pays, doit être objectif, mesuré, et tout en défendant les intérêts supérieurs d’un grand pays qui est l’Algérie, doit éviter les discours contradictoires. Pour paraphraser le langage militaire, vous devez inscrire vos tactiques dans le cadre d'objectifs stratégiques précis et datés.
Dr Abderrahmane Mebtoul
 

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