Roland Dumas : «Ceux qui commandent aujourd’hui sont les Etats-Unis et Israël»

Roland Dumas, l'ancien ministre français des Affaires étrangères sous Mitterrand, n’est visiblement pas un homme à avoir la langue dans la poche. Dans un entretien accordé au magazine Le Point, l’ancien président du Conseil constitutionnel français de 1995 à 2000 ne mâche pas ses mots à l’égard de ce qui est advenu de la politique étrangère de la France, réduite à un rôle de suiviste de la ligne tracée par les Américains et les Israéliens. «Aujourd'hui, ceux qui commandent sont les Etats-Unis et Israël. Aujourd'hui, nous sommes dans une alliance où la France n'a plus rien à dire. Nous n'avons plus de politique étrangère indépendante», répond-il à une question sur la diplomatie française. «Sarkozy a annoncé que la France réintégrait le commandement intégré de l'Otan. Avec l'arrivée de François Hollande au pouvoir, la politique étrangère a entériné ce changement de cap avec peu de débats internes et pas de débat public en réintégrant définitivement le commandement intégré de l'Otan, et cela, sans vraie contrepartie », argumente-t-il, à ce sujet. Roland Dumas va jusqu’à asséner de manière tranchante: «Nous n'avons plus de politique étrangère.» Il en veut pour preuve ce qui se passe avec la cause palestinienne. «Les jeux sont faits de telle façon que ça ne bouge pas, on voit bien que, dès qu'il y a une décision de prise qui condamne Israël, il y a le veto américain ou un autre veto. Les grandes puissances ne veulent pas que ça avance», affirme-t-il, relevant, au passage, qu’«aujourd'hui, la Russie est quand même un peu affaiblie et n'a pas le pouvoir qu'elle pouvait avoir autrefois pour peser dans le conflit israélo-palestinien». M. Dumas s’est montré, dans cet entretien, sans concession avec la politique étrangère de la France, que ce soit sous le règne de la droite ou de la gauche, n’hésitant pas à plaider ouvertement pour un rapprochement stratégique de son pays avec la Russie. «Je serais déjà toujours resté fidèle à la pensée socialiste. J'aurais rétabli une vraie politique française avec la Russie ! La France doit rétablir une relation privilégiée avec la Russie. Nous traitons mal les Russes, contrairement à ce qui peut se dire dans le monde ! Nous ne tenons compte d'aucun des engagements qui ont été pris, notamment avec Gorbatchev concernant la conférence de Moscou. L'alliance outre-Atlantique n'a pas tenu ses engagements envers Moscou. Je suis contre l'injustice même en politique internationale», assure l’ancien chef de la diplomatie française, proche parmi les proches de François Mitterrand. Dans son réquisitoire contre la politique étrangère de la France, M. Dumas n’a même pas ménagé l’actuel locataire du Quai d'Orsay, Laurent Fabius, qui avait été, par le passé, son Premier ministre. «Il a été un très bon Premier ministre, mais il est un moins bon ministre des Affaires étrangères, car il ne pousse pas les idées que je viens de vous exposer qui sont les idées traditionnelles de la France. La France a perdu son indépendance en matière de politique étrangère !» finit-il par lâcher. Interrogé sur le règne de François Mitterrand, Roland Dumas préfère évoquer, en des termes quelque peu nostalgiques, mais empreints d’une certaine franchise, le règne de De Gaulle, estimant, à ce propos, que «le plus à gauche de tous les hommes politiques qui ont gouverné est le général de Gaulle». «Sur le plan de la politique étrangère, il a créé avec la Russie l'escadrille de chasse Normandie-Niemen, il fallait du culot tout de même de sa part !» rappelle-t-il, insistant sur le fait que «c'est quand même lui qui a fait la paix pour la guerre d'Algérie». «On peut raconter ce que l'on veut, mais à l'époque, c'est lui qui a fait la paix et les socialistes qui ont fait la guerre. Il y a des moments où je me sens mal à l'aise !» confie-t-il. Et lorsqu’il est interrogé sur la montée des courants d’extrême droite en France, Roland Dumas préfère relativiser. «Les hommes politiques ont moins d'influence que l'on croit sur la politique, mais ils incarnent à un moment une situation. Le Front national surfe sur la crise économique concernant la politique intérieure et surfe sur la politique étrangère en prenant le relais du nationalisme», estime-t-il.
Amine Sadek
 

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