Interview – Denis Véricel explique pourquoi la France prolonge le statu quo au Sahara Occidental

Algeriepatriotique : Vous avez réalisé, en 2011, le film De l’autre côté du mur : les indignés du Sahara Occidental. Pensez-vous que les choses ont évolué depuis pour les Sahraouis ?

Algeriepatriotique : Vous avez réalisé, en 2011, le film De l’autre côté du mur : les indignés du Sahara Occidental. Pensez-vous que les choses ont évolué depuis pour les Sahraouis ?
Denis Véricel :
Il est très difficile dans une situation qui s’éternise maintenant depuis 40 ans de parler d’évolution. Depuis la sortie du film, il y a bien entendu plusieurs événements importants qui sont venus marquer notre attention : les lourdes condamnations des Sahraouis arrêtés à Gdeym Izik et leur procès devant un tribunal militaire, les rebondissements autour de l’accord de pêche entre le Maroc et l’Union européenne, sans compter un «printemps arabe» qui conserve un arrière-goût amer d’inachèvement dans cette partie du Maghreb. Pourtant, les propositions de sortie de cette crise, qu’elles proviennent des Nations unies ou bien des Etats impliqués, ne laissent entrevoir que peu d’espoir. Pour répondre à votre question, pour les Sahraouis, les choses n’ont pas du tout évolué !
Votre film qui a porté à l’écran la situation dramatique que vit le peuple du Sahara Occidental a-t-il eu l’écho escompté ?
Nous pouvons dire de façon générale que le problème du Sahara Occidental reste à ce jour complètement inconnu de la majeure partie de l’opinion publique occidentale. Tel était le but du film : parler de la crise que subit la population sahraouie, prisonnière entre exil et occupation alors que le droit international lui donne raison. L’objectif du film était d’amener l’histoire de ce peuple vers des spectateurs qui ignorent tout de ce drame humanitaire. La production a été difficile et c’est donc Apso, les Amis du peuple du Sahara Occidental, qui a produit le film et qui travaille à sa diffusion. La production n’a bénéficié d’aucune aide ou de soutien financier et sa distribution se déroule uniquement au travers de festivals et de projections débats organisées par Apso ou par des réseaux militants soucieux d’aborder cette question. Là encore, la diffusion est très difficile, notamment en France. Trouver les espaces de dialogue pour aborder cette thématique sans attirer des réactions parfois violentes de personnes qui ne reconnaissent pas la crise que vivent les Sahraouis est parfois délicat. Toutefois, un grand nombre de projections ont été organisées depuis 2011 et chacune a été l’occasion de présenter le Sahara Occidental à un public attentif et étonné de ne pas être informé sur ce «petit pays oublié».
Qu’est-ce qui explique le manque de couverture par les médias occidentaux des violations des droits des Sahraouis par les autorités d’occupation marocaines ?
Je ne parlerai que de la situation en France. Le silence est autant politique que médiatique, et donc plus difficile encore à briser. Si presque aucun média ne parle du Sahara Occidental, il faut dire qu’il n’y a pas plus de prise de position de la part de la classe politique. De droite comme de gauche, elle se cache derrière les déclarations officielles et nie littéralement le drame que vit le peuple sahraoui. Entendre parler de la question dans les médias est vraiment exceptionnel. Imaginez que même le film de Javier Bardem, Les Enfants des Nuages, n’a eu qu’une diffusion très limitée. Il est aujourd’hui très difficile de créer des espaces de dialogue sur la question, de pouvoir débattre pour faire avancer le problème. Nous allons publier le 15 avril en France Lutter au Sahara, un ouvrage collectif qui réunit une quinzaine d’auteurs, diplomates, journalistes, juristes, anthropologues, défenseurs des droits de l’Homme, autour de la question du Sahara Occidental. Ce livre est une première, car des auteurs du monde entier abordent la question à travers de nombreux biais et apportent une image unique du Sahara Occidental de 2015, 40 ans tout juste après le départ de l’Espagne et le début de l’occupation marocaine. Un ouvrage unique une nouvelle fois autopublié par Apso… faute d’avoir trouvé un éditeur.
Le Maroc continue de violer le droit international, à réprimer violemment le peuple sahraoui et à exploiter ses richesses alors que la décolonisation du Sahara Occidental est inscrite depuis 1963 dans le calendrier des Nations unies. A part le Maroc, qui a intérêt à ce que cette situation perdure et pourquoi ?
Nous nous rendons compte aujourd’hui combien les raisons économiques sont au centre du problème. Non, le Sahara Occidental n’est pas seulement le garant de l’intégrité du Maroc, c’est avant tout un moyen pour certains de faire beaucoup d’argent. Le pillage des ressources naturelles, en violation encore une fois avec le droit international comme Hans Corell l’a à nouveau souligné, est considérable. Le phosphate et le poisson sont les principales ressources pillées. Il faut aussi ajouter le sable et l’exploitation intensive agricole qui vide les réserves d’eau du pays, et à présent la menace de Total et Kosmos à l’affût du pétrole. Ces ressources représentent des sources considérables de revenus pour des entreprises de nombreux pays. Saluons le travail exemplaire de Western Sahara Resource Watch sur cette question-là et les incroyables rapports que l’ONG sort régulièrement sur le pillage des ressources (www.wsrw.org).
La France est l’Espagne sont pointées du doigt par la République sahraouie pour être les principales causes du drame que vit le peuple sahraoui et accusées d’avoir financé et alimenté une guerre génocidaire contre ce dernier. Peut-on connaître votre avis là-dessus ?
Je ne peux pas me prononcer sur le terme génocide qui est un terme juridique plus complexe qu’il n’en a l’air ni sur le fait que l’Espagne et la France soient la cause «principale» du drame. Ce qui est par contre évident, c’est qu’aucun des deux pays, mais je parlerai surtout de la France, n’a adopté ces 40 dernières années la moindre volonté de résoudre le problème. Et le problème est bien là. Alors que la France serait en mesure d’apporter des réponses et des solutions, elle ne fait que prolonger le statu quo en protégeant son allié marocain quoi que ce dernier fasse. La France devra reconnaître son devoir moral envers le peuple sahraoui, sa politique et son image ressortent considérablement salies par les jeux d’allégeance qui sont en train de se jouer avec le Maroc. Les déclarations du ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, annonçant la future décoration d’Abdellatif Hammouchi, inculpé dans une enquête de torture et complicité de torture, sont totalement accablantes pour la France et son gouvernement.
Dans une interview accordée à notre journal, le président sahraoui Mohamed Abdelaziz n’a pas écarté l’éventualité d’un retour à la lutte armée, vu que le Maroc rejette toute décision des Nations unies visant à organiser un référendum. Cette option est-elle possible selon vous ? Avez-vous ressenti chez les Sahraouis que vous avez rencontrés une volonté de reprendre la lutte armée ?
La lutte armée est très certainement la dernière voie à prendre pour le peuple sahraoui. Il a fallu des années pour sortir de la guerre et la construction de la paix est plus longue encore. Mais reprendre les combats serait à nouveau une perte de temps considérable, et un échec humain pire encore. Saluons les Sahraouis qui luttent pacifiquement malgré la répression dans les territoires occupés. Saluons les Sahraouis qui résistent dans les camps des réfugiés, loin de tout. Saluons les Sahraouis qui refusent toute tentation extrémiste. Saluons enfin, à l’occasion du 8 Mars, les femmes sahraouies qui gardent la tête haute dans leur combat quotidien.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
 

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