Le ministère de la Culture finance des films à gros budget alors que les cinémas sont fermés(*)

Après les louanges à Dieu, Madame la ministre de la Culture, Nadia Labidi, fait les éloges aux journalistes et souhaite une rencontre «hamimiya» avec eux. Une fois le débat sur le sujet, programmé le lundi 30 mars 2015 par le forum de Liberté : «Constantine, capitale de la culture arabe 2015» épuisé, le divers a été ouvert sur la grève des étudiants des Beaux-Arts. J'ai profité des dernières minutes du Forum pour m'adresser à Mme Labidi en ces termes : «L'ancienne ministre a exigé de moi un distributeur, votre ministère a accordé un visa restrictif à mon DVD.» Il faut reconnaître que ses réponses en général ne font pas dans la langue de bois. Elle innove en restant maîtresse de l'imprécision ; cette imprécision qui prouve, paradoxalement, une maîtrise classique du champ dont elle a la charge. Sa réponse à ma question en est un exemple. Quand je lui demande de lever la restriction sur le visa du film Warda fi sahet ettarikh, elle répond qu'elle a vu le film et le qualifie de documentaire d'archive ! Le temps imparti ne me permettait pas de poser la question : qu'est-ce qu'un film d'archive au temps du Net ? Mettre en-ligne un film qui n'a pas bénéficié d'une subvention, c'est dire adieu à l'argent investi. A moins que le ministère veuille l'acheter pour ses filmathèques où le visa, dans ce cas, n'est plus de mise, surtout qu'elle achevait sa réponse par : «C'est fini avec le visa», sans que je sache si elle mettait fin à sa réponse ou si c’est une tentative de mettre fin à la question ! De nos jours, quand dans n'importe quel hôtel, restaurant ou autre lieu public, n'importe qui peut voir n'importe quel film, le ministère de la Culture exige du gérant de salle de cinéma une demande de visa pour une projection. Le ministère ne s'inquiète pas du fait qu'un gérant de salle de cinéma a moins de liberté qu'un cafetier, un hôtelier, etc. et le plus aberrant, c’est quand la salle est gérée par un cinéaste ! Il me semble nécessaire de souligner que la projection en salle de cinéma et la diffusion à la télé d'un DVD restent des actes promotionnels. Une étude qui remonte à l'année 2000 révèle qu'«à peu près 26% des revenus des studios américains proviennent de la vente de tickets en salles, 28% des diffusions à la télévision et 46% de la vente des formats domestiques (cassettes DVD, Blu-Ray…)». On retient que presque la moitié des recettes provient de la vente de ces formats domestiques. Sur quoi compte le cinéaste algérien pour récupérer ses dépenses quand on sait qu'il n'existe pas de salle de cinéma dans 99% des quartiers alors qu'il existe des cybercafés, des lecteurs DVD et des micro-ordinateurs dans beaucoup de foyers ? Il faut aussi rappeler que le cinéma est à la fois une industrie et un commerce aux mains des majors pour dire que dans leurs propres pays la fréquentation des salles est passée de plus de 40 films en moyenne par an et par individu à moins de 2 par an aujourd'hui. Le magnétoscope et la montée de l'individualisme sont à l'origine de cette désertion des salles entamée dans les années 1990. Il est utopique de chercher à renverser la tendance et de continuer à ignorer l'alternative au cinéma du bromure d'argent, qui est dans le numérique et son support principal : le DVD. Les produits étrangers sont piratés et distribués sur le marché informel, appuyé par la publicité des grands médias aux mains des majors et autres multinationales. Nos produits nationaux, eux, sont bloqués par des commissions au service de la culture ! Faut-il rappeler que le numérique existe depuis vingt ans et que le ministère de la Culture continue d'ignorer le DVD ? Que ce même ministère sponsorise des films à grand budget alors que les salles de cinéma sont fermées ou en perpétuelles remises en état. A l'allure d'une gestion qui met plusieurs années à répondre à une demande de visa, c'est rêver que de croire qu'un jour nos enfants puissent accéder à des jeux vidéo «made in Algeria». Sans l'implication de l'Etat qui doit, à mon avis, se soucier de l'accès des enfants, des adolescents aux produits, films, jeux vidéo, demain, si ce n'est déjà trop tard, leur mémoire sera prise en charge par une image virtuelle étrangère à leur culture. La solution ne peut être dans la subvention de l'Etat à un film, mais dans l'actualisation des lois et l'encouragement des pôles de production, de la distribution, de la formation des divers métiers du film numérique jusqu'à la sensibilisation des autorités et du citoyen à l'acte de photographier, de filmer, etc. Combien d'Algériens regrettent de ne pas pouvoir acheter un DVD national, particulièrement le succulent Carnaval fi dachra du talentueux Athmane Ariouat ? Malheureusement, à l'instar de presque toutes les productions nationales, il n'est toujours pas disponible en DVD, comme le souligne Madame la ministre, et on ne peut le mettre dans le couffin de ce cher Mehdi.
Saâdeddine Kouidri
(*) Le titre est de la rédaction
 

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