Les rentiers vieillissent mais ne grandissent jamais

Par Mohamed Benallal – L'homme de bien chérit la vertu, le rentier vénère les biens matériels. L'homme de bien porte en lui le sens de la loi, le rentier ne pense qu'aux privilèges. On se rappelle la fameuse blague ou galéjade de feu l’ex-ministre Kaïd Ahmed et SG du FLN, qui, lors d’un meeting populaire durant les années de la fin de la décennie 60, avait dit devant une assistance populaire nombreuse que «l’Algérie était devant un grand gouffre, mais elle a fait un bond en avant» ; les choses se passent aujourd’hui conformément à sa vaticination. L’Algérie en tant que peuple, nation, état, gouvernement, pouvoir, régime, institutions, géographie, conscience… est un pays menacé, beaucoup de facteurs et vecteurs endogènes et exogènes pèsent sur son sort déjà déprimé. Le principal paramètre valeur nationale est celui de «l'argent sale» issu d’un système de non-droit, illégitime, partial et léonin. Cet «argent sale» marmite fort dans les milieux politiques et pseudo-économiques, notamment son origine est bien connue, à savoir la drogue, la contrebande, la corruption, la fraude fiscale, les détournements de deniers publics, l’informel, le proxénétisme, la prostitution, et tous les maux et bien d’autres. Nous les nommons ainsi la «corruption morale», c'est-à-dire là où les droits et la justice sont impuissants sinon désarmés. Les règles républicaines, les valeurs universelles et la morale publique ne signifient pas grand-chose, de même que la production de biens et services n’est représentée ni par un concept, ni par un modèle, ni par un système, ni par une culture, ni par un esprit de création de valeurs ajoutées. Quand, au lieu de compter l’argent billet par billet et pièce par pièce, ces gens-là, Monsieur, pèsent les liasses de billets ! Pour ôter sa valeur que la facilité procure. La grande partie de la «corruption morale» dans le pays provient en partie de l'introduction de «l'argent sale», le politique fait de cet argent son cheval de bataille. L’argent sale est une expression de «chez nous», utilisée dans le langage courant algérien pour signifier l’impétration de la masse d’argent obtenue avec une facilité inouïe, illégalement, illicitement et informellement. Ne dit-on pas à tous ceux dont on suspecte la provenance de leur richesse de «khanez be drahem», une expression qui veut tout dire, c'est-à-dire que cet argent est gagné de manière malhonnête, et par conséquent, son origine étant issu du pillage, de trafics, de drogue, de l’escroquerie, de la fraude fiscale, de l’extorsion, de la corruption, de l’import-import, de la surfacturation, des activités mafieuses… Cet argent dont l’origine est dissimulée est d’usage courant grâce à ce que l’on qualifie plus prosaïquement de «blanchiment d’argent». Le blanchiment d’argent est une infraction vis-à-vis de la loi. Cette infraction dans les pays dits respectueux, on la nomme de «criminalité financière». C’est une phase cruciale, car sans ce blanchiment d’argent à grande échelle, les «criminels financiers» ne pourront certainement pas constituer ces rentes irrégulières sans être détectés par l’autorité si autorité existe ? Par conséquent, toutes les activités informelles, illicites et illégales génératrices de revenus, rentes, gains et bénéfices sont considérées comme étant de «l’argent sale». L’opération inverse du blanchiment existe aussi avec de l’argent propre, certains le salissent, on dit alors «noircissement de l’argent». Cet argent sale a bousculé le sacro-saint moral et cassé les valeurs universelles, tout en détruisant les normes de mesure de qualité et autres comme le temps, la force, l’espace et la masse… Cet argent sale est entré en force en qualité de maître incontestable à l’intérieur même de la sphère politique, économique, sociale et culturelle. Par exemple, sur un simple constat, un candidat aux élections locales, régionales, nationales ou sénatoriales suite au déterminisme façonné par la sournoiserie électorale, ne nécessite pas une mince probabilité pour avoir le poste puisque les dés sont pipés par de l’argent sale. Ce poste d’élu est devenu un passe-droit à l’intérieur même des institutions étatiques pour toute activité génératrice de rente «machkouka» douteuse. La politique actuelle est la conduite des affaires publiques pour le profit des rentiers. On note la structuration d’une nouvelle ploutocratie pseudo-maffieuse, dont les fonctionnaires sont complices par le silence de leurs privilèges cyniques, le pouvoir extrême attaque par la «hogra» le citoyen sous tous les angles fondamentaux, dont l’angle de la manipulation de l’information qui sait bien faire le jeu de la démocratie en flirtant avec la dictature. Les professionnels de la «boulitique» animés de fausses pensées et souvent d'alliances avec l’ordonnateur de la machine financière, aux professionnels de l'information, du spectacle aux «chebs», lynchent l'esprit modeste de la démocratie dans un océan de mensonges pour abreuver «el-ghachi» et assoiffent le citoyen par une goutte de vérité. Nos médias ne font parler que de crises, de détournements, d’évasion fiscale, de surfacturation, de trafic de drogue, de corruption, de terrorisme, de noircissement et blanchiment d’argent et d’impunité, de saleté physique, environnementale, administrative, morale et spirituelle ; dans le lexique de l’Etat, le droit est devenu une «marque non déposée». L’information étant ainsi faite, selon une hiérarchisation donnée ou dictée, mais sans suite ; des problèmes pas toujours pertinents avec toujours la même rengaine sans aucune suite devant un pouvoir local sourd, régional indifférent et national autiste. Pourtant, on ne voit jamais percer une réflexion globale sur le fait que tous ces sujets malfamés sont si liés entre eux qu’ils ne conduisent en réalité qu’à un seul et même sujet qui est la clochardisation totale de la société, la «bazardisation» générale de l’économie et la «bidonvilisation» entière du patrimoine, entraînant le pays vers la déliquescence et la dévastation générale. L’Algérie est devenue ces temps-ci la principale voie de transit et de commerce d'une très grande quantité de la drogue produite au Maroc, de l’autre côté, une grande passoire pour évasion de nos ressources en devises vers l’extérieur. Selon les chiffres publiés dans les quotidiens nationaux, la police a saisi pour l’année 2014 plus de 195 tonnes de drogues ! Sans jamais savoir combien elle a démantelé de bandes de trafiquants de stupéfiants au cours des onze derniers mois et pourquoi ce laxisme au niveau du contrôle. La lutte contre la corruption devrait en principe être une de ses priorités pour relancer l'économie et le social qui sont en crise, alors que plusieurs scandales touchant ceux des hautes fonctions de l’Etat et «shab drahem» qui ont récemment secoué fortement ce pauvre riche pays. Quand on sait le nombre des «khanzines be drahem» influents dans la vie sociale, politique, économique et sportive qui se trouvent mêlés de près et de loin dans des affaires d’argent sale et le montant colossal des sommes détournées de leur destination, on imagine aisément que cette situation ne peut que provoquer la déchéance du système déjà en ruine. On ne peut que constater que les dettes via les crédits (Ansej-agriculture-industrie-pêche…) sont en réalité le résultat d’un vol massif, organisé par une petite minorité d’individus sur lesquels l’Etat ferme les yeux pour que le pouvoir se pérennise via l’achat de la paix sociale et préparer l’amnistie pour un blanchiment général. Qui sont ces «individus» qui n’aiment pas que leurs noms soient cités dans les médias ? Des hommes politiques, des élus, des fausses stars, des chefs d’entreprises d’import, des administrateurs, des gens du système… Avec l’internet, les informations sont essaimées massivement en temps réel, tandis que le nombre «d’affaires» portant sur les choses funestes (la fraude et la corruption) ne fait qu’accroître le préjudice subi par le peuple et infligé par des «khanzine be drahem» degré par degré. On parle déjà en un petit laps de temps de ces nouveaux milliers de milliardaires à l’échelle du pays ; les statistiques ne sont pas encore disponibles pour inventorier ces millionnaires que la rente alimente grâce à l’impunité. Par conséquent, le chômage augmente, la richesse périclite, nous consommons déjà notre capital existant, même la production du gaz et du pétrole ne vont plus suffire pour la consommation interne, la génération qui vient n’aurait plus de moyens. Le «Clearstream algérien», une machine compensatoire de non-droit, ne sert qu’à blanchir l’argent sale : il sert aussi à noircir l’argent propre (contexte social-économique et politique favorable). Aujourd’hui, le prix pétrole baisse, la rente diminue, l’austérité est destinée pour la plèbe seulement «cheh fi koum», les produits «made in» vont se faire rares dans les magasins ou bien l’inflation se chargera de vous en priver. La corruption institutionnalisée est le fléau qui fait le plus de mal et de peur. On nous avance quelques personnalités qui sont jetées en pâture dans les médias, qui ne sont pourtant que des poissons sans intérêt pour la pêche. Nous nous focalisons toujours sur les corrompus, sans guère nous soucier des corrupteurs (car il faut bien qu’il y en ait) : qui sont-ils, les «khanzines be drahem», les carriéristes sans principes, et que cherchent-ils au fait ? Mais une fois un certain seuil de puissance économique atteint, la plupart des «khanzines be drahem» se rendent compte de l’inutilité, de la futilité de cette gigantesque fortune amassée, leur unique charge étant le gaspillage par des dépenses ostentatoires où l’investissement ne représente aucune notion tant que le «tbizniss» (spéculation à outrance via l’import) est roi par la faiblesse de la loi et la force du non-droit. La nouvelle passion des «khanzines be drahem» se trouve être le pouvoir. Ils épousent une nouvelle idéologie rentière, et mettent leur fortune au service de cette idéologie, il s’agit simplement d’un nouveau rapport de forces où la rente fait communier le corrompu et le corrupteur. Alors, voilà, aujourd’hui, petit à petit, des alliances contre nature se forment et les masques tombent. La dictature est dans l’antichambre du pouvoir présent, mais le système rentier va bientôt imploser. Les érudits ont prévenu, le citoyen a pris contact du savoir, le peuple cherche le ciment pour mettre en action le détonateur, la plèbe croit plus au ballon rond par «one- two- three viva le ballon». Il est trop gonflé, il va péter ! L’islam est mis en jeu par les islamistes, la violence, cette «ghoula» qui nous fait peur, est partout et le visa pour «el-harba tssalek» est fortement demandé. Il n’y a qu’une seule solution pour s’en sortir, par une nouvelle vraie révolution pacifique : c’est la refondation de nos institutions ou le savoir primera sur l’avoir sale. Par de véritables institutions qui empêcheraient la corruption, le trabendo, le terrorisme, l’évasion fiscale et tout ce qui a été dit avant… Il faut emprunter ce chemin légaliste, formel, licite pour remettre à plat le fonctionnement de nos gouvernements. La loi, le droit, l’équité et la justice chasseront pour de bon l’ignorance, la pauvreté et l’injustice. Cela devient urgent. Si vraiment on aime ce pays de 1 500 000 chahids, Allah yarhamhoum, goulou amine.
A force de persévérance et de courage, la petite fourmi finit par arriver au sommet de la montagne.
M. B.

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