Laisser-aller, fébrilité et double discours : quand le pouvoir fait le lit de l’islam radical

Un certain nombre d’événements vécus ces derniers mois, et particulièrement ces dernières semaines, renseigne sur le degré de fébrilité du pouvoir face à la remontée, en puissance, de l’islam radical. Une série de faits qui met à nu le manque de cohésion au sein du gouvernement dirigé par Abdelmalek Sellal et surtout l’absence d’une vision politique claire vis-à-vis de l’islamisme politique. D’un côté, le pouvoir affiche de grandes ambitions en matière de lutte contre le terrorisme islamiste, en tentant, même, de jouer un rôle capital au plan régional, voire au niveau international. De l’autre côté, il excelle dans les reculades face à l’offensive des salafistes radicaux et des islamo-conservateurs les plus zélés. Le cas le plus illustratif de cette offensive est celui de la ministre de l’Education, Nouria Benghebrit, qui a réveillé les vieux démons qui habitent l’école en s’attelant méthodiquement et de manière professionnelle à réformer le système éducatif défaillant depuis de longues années. Ces fervents défenseurs de l’arabo-islamisme se lancent depuis plusieurs semaines dans une campagne «odieuse» contre la ministre, qu’ils attaquent non pas sur le terrain strictement pédagogique, mais sur l’aspect strictement personnel. Car ils n’ont concrètement aucun argument à faire valoir ni de solution à suggérer pour faire sortir l’école algérienne de sa médiocrité. Une médiocrité qu’ils ont installée par leur pensée extrémiste, arriérée et obscurantiste. Mais le plus ahurissant dans cette affaire, c’est le silence assourdissant du Premier ministre qui n’a, à aucun moment, exprimé sa pleine confiance et sa solidarité avec la ministre ni affirmé qu’il s’agit d’une démarche réformatrice du gouvernement. Ce silence du Premier ministre n’est d’ailleurs pas passé inaperçu. Lors de la dernière session ordinaire de son bureau politique, le Parti des travailleurs a dénoncé «le silence du gouvernement» face à ce qu’il a qualifié de «cabale misogyne et calomnieuse». Ce silence galvanise davantage les radicaux qui vont déjà sur deux victoires. La première est la remise au placard d’un texte de loi punissant les actes de violences subies par les femmes. Adopté par l’Assemblée populaire nationale en mars dernier, ce texte de loi a été bloqué au Sénat, à la demande du Premier ministre pour visiblement contenter le courant islamiste. La seconde est l’annulation d’une instruction du désormais ex-ministre du Commerce, Amara Benyounès, sur la vente libre des boissons alcoolisées, qui mettait fin à une situation contraire au code du Commerce. Certains considèrent que les attaques virulentes contre Amara Benyounès, venues notamment des parlementaires islamistes et des conservateurs du FLN, auraient été à l’origine de son éviction du gouvernement, lui qui fait partie des soutiens les plus zélés du président Bouteflika. Ainsi, au fil du temps et des événements, le courant islamiste et sa frange la plus radicale marquent des points et gagnent du terrain aussi bien sur le plan médiatique qu’au sein de la société. Les radicaux sont stimulés et excités par ces reculades multiples du gouvernement et par son attitude défensive vis-à-vis de leurs attaques sur tous les fronts pour faire de la société algérienne de ce qu’ils ont toujours rêvé de faire : une société arriérée, moyenâgeuse, détournée du progrès, de la modernité et de la civilisation en général. Ils s’affichent ainsi publiquement et intimident les Algériens et plus particulièrement les femmes qui refusent de se soumettre à leur diktat au nom d’une certaine façon d’interpréter l’islam. Ils envahissent l’espace public, mènent agressivement des campagnes contre l’habillement moderne, l’art et la culture et déclarent ouvertement la guerre aux intellectuels. Le cas de l’imam autoproclamé Hamadache qui a appelé à l’ouverture d’une ambassade de l’organisation terroriste transnationale Daech sur le sol algérien et à tuer l’écrivain-journaliste Kamel Daoud, sans qu’il soit inquiété par la justice. L’extrémisme religieux reprend donc du poil de la bête, profitant d’un côté du laisser-aller du pouvoir et de son double discours pour des considérations purement politiciennes. Après un long combat contre le terrorisme, qui n’est que la déclinaison armée de l’extrémisme religieux, l’Algérie retombe dans les bras des forces obscurantistes qui risquent de la précipiter de nouveau dans l’abîme.
Rafik Meddour
 

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