Le Saloon du livre 2015 ou règlement de «conte» à O. K. Corral

Par Abderrahmane Zakad – Pour ceux qui n’ont pas été au Saloon du livre, commençons par la fin. Le prix du livre «Assia Djebar» a été attribué à trois jeunes auteurs à qui nous disons bienvenue dans le champ des espérances. Environ 500 personnes assistaient dans une atmosphère méphitique à cette fiesta sous le blanc chapiteau au pied du Niagara : l’hôtel Hilton. Après les longueurs introductives des uns et des autres, vient Merzague Bagtache qui dans une logorrhée arabica a engueulé tout le monde, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas du théâtre ou du cinéma. Pour dire «il pleut», le bulletin météo tout complet ne lui suffirait pas. On devrait lui payer des frais de salive pour lui stimuler l’intellect, car peu de mot sur les conditions d’attribution du prix. C’est le sirocco, la sécheresse, mystère et boule de gomme. Maâliche, on fouillera, car quelqu’un, quelque part, s’est fait estourbir son prix, n’est-ce pas Mme Najet. Mais où sont les neiges d’antan, comme dit le poète ? C’est au président du jury d’annoncer les résultats et non pas à cézigue l’Enagueur chargé de la cambuse du prix. Nous parlerons de ce prix plus tard, car il y a anguille sous «cloche» et ce n’est pas bon pour notre littérature.
Amis lecteurs, le voyage au bout de ces lignes vous revigorera peut-être un chouia les pénates. Les embruns actiniques* vespéraux vous lesteront d’un viatique – le livre – en achetant n’importe quel bouquin, de n’importe quel auteur. Le mieux, ensuite, serait d’acheter un livre dans une librairie et de le lire pour ne pas mourir idiot. Un homme qui n’a pas lu est un homme qui n’a pas vécu. Veni, vidi, vici, vite dit. Ouallah ! Oua baâdh, de quoi vais-je parler ? Ah ! Du Saloon ! Je vous recommande «Les abysses de la passion maudite», le roman réaliste de Badr’Eddine Mili qui clôt sa trilogie sur Constantine avec «La Brèche et le rempart» et «Le Miroir aux alouettes». Je les ai lus, rapidos puis dougadouga, on ne sigoure pas, on s’y retrouve. Dans cette trilogie, on découvrira que l’Algérie est une bibliothèque où les grand-mères de Souika, les vieux fellahs d’Aouienet El-Foul et les citadins du Polygone ont disparu ou disparaissent incognito. Mili nous dévoile la Constantine du vécu alors que quelques escogriffes voudraient la garder comme patrimoine pour eux seuls comme leur brosse à dents. Lisez Milli-Minuit, c’est un voyage dans le temps à reculons, du lointain jusqu’aujourd’hui, et après la lecture, on est libéré de sa culpabilité pour certains, coupables pour d’autres zigues devinés.
Mayssa Bey nous offre Hyzia. Ah ! Hyzia ! âzouni ya nass / ki rayess léblèd chantait Ababsa… Un livre à lire. Le pitch zakadien : s’agissant de filles universitaires au chômage qui ne trouvent du travail que derrière les guichets des PTT – encore faut-il qu’elles soient belles et tais-toi – voilà une qui de son salon de coiffure se bat contre tout et tous. Ne sont-elles pas toutes des Hyzia, nos filles, graines de combat et graines d’amour. Car «lorsqu’on chante l’amour, il faut mettre la main à la pâte», a dit Khaled dans une interview du 10-11-2.000. Et pour faire lever la pâte il faut de la levure : la révolution. Ce que dit ce livre de «Maïssa-Belle» qui-ne-se-tait-pas. Et quand Maïssa veille, tout le monde dort !
Je quitte le stand Barzakh pour filer droit sur «Dalimène» en susurrant sur un air de chaâbi : Ya Dali, ya Dali / Dis-moi ou cela me mène : chez Dalimène ! Quatre femmes sont là en enfilade, coinçant Attar et Maschino. J’enlève mon galurin – mes hommages, mesdames – alors qu’ibn Tarik Maschino me zyeute acuitiquement comme s’il ouvrait une boîte de conserve. Adriana Lassel est assise aux côtés de Nadia Agsous qui signe Des Hommes et leurs Mondes. Pourquoi au pluriel ? On est donc obligé d’acheter le livre pour savoir ce que pense de nous cette meuf. Plus loin, Fadila Mrabet est dans «La Piscine». Je défroque chacune d’un livre que je casque à la caisse, tandis qu’avec Maschino, d’homme à homme, nous nous sommes dit ce qu’il y avait à dire, car c’est dans la différence qu’on crée de la richesse. Comme il ne jacte pas beaucoup, j’ai jacté bezef à sa place. Connais-toi toi-même ! (Quelqu’un du périclèsien.) Arezki Metref me bute avec son «Le jour où Mme Carmel sortit son revolver». J’aime ce qu’écrit Arezki, mais trèfle de bavardage, avançons. Trois plombes. Un lecteur vicieux qui arrive, en loucedé – en douce. Une liquette jaune bariolée, un nase bulbeux, des tifs en java, graisseux, l’air vicieux. Il tripote un livre comme si c’était un soutien-gorge et demande «de quoi ça parle». Je lui réponds que ça parle de lui ! Il ne comprend pas la parabole des prophètes. Il ne sait pas, le gonze, que tous les hommes sont itou et quand tu parles d’un, tu as parlé de tous les autres. Alors, il me jette méchamment : «La vie est brève, il faut agir». Il agit et il estourbit un livre puis s’en va sans casquer, le voleur. Bof ! Un livre de perdu, dix de retrouvés, comme disait ma nourrice.
Un autre qui arrive, ondule et stop. Il semble être optimiste ; un optimiste c’est celui qui projette d’écrire plus tard un livre. Le meilleur roman, c’est dans sa tête. Adoncques mon optimiste achète deux livres qu’il lira plus tard. C'est-à-dire jamais. Il me quitte en chantant avec la bilabiale (ve) : «efkagh azouh el ouaâda, a vava inouva». La ouaâda pour lui c’est un livre gratis. Il le prend et il se débine. Le salaud ! Et je me suis dit : «Signe, souffre et tais-toi». Fatigué d’être assis, je me lève pour faire un tour et je tombe sur un écrivain que j’appelle «L’homme utile» : Rachid Oulebsir. Un auteur que je vous conseille. Cet homme silencieux et retiré sillonne la Kabylie pour sauver ce qui reste encore à sauver des traditions kabyles autrement vues que par les auteurs coloniaux qui nous ont laissés des écrits (merci à eux). Je conseille donc «Les derniers kabyles», «Le printemps reporté» et «Le rêve des momies». Vous comprendrez sûrement ce qu’écrire veut dire. Mon stand, ton stand, cent stands de solitude ca n’Ibriz aucune vitre. Au stand El-Ibriz, rien n’est brisé. Samira Bendris, dans sa position d’arrière central, veille à la circulation du ballon. Pas de dribbles avec elle, un livre est un livre. Sur le point de penalty, des joueuses conseillent des lecteurs sur la qualité de leurs produits, soudain : «Goooool», deux livres sont acquis par des tifosi : «edioua, ioua, ioua ! Mouloudia, Mouloudia». Quelle ambiance ! Que c’est beau le Saloon aurait dit Kateb Yassine à Dean Martin s’il y avait du gasoil pour s’envoyer quelques gorgeons. Gageons que nous irons chez Sauveur pour ibrizer quelques vers de Grindel**.
Une odeur d’huile kabyle arrive jusqu’à mon nase. Je m’oriente selon l’azimut et tombe pile sur les éditions Inas. Je découvre MLML, c'est-à-dire, Ma-Lika-Ma-Libraire armée d’un livre bleu de Mohand Akli Haddadou, intitulé «Défense et illustration de la langue berbère» avec une riche bibliographie. Je vous jure, sur la tête d’Amine Zaoui du stand El-Ikhtilef, que si vous n’avez rien pigé sur la kabylité c’est là-dedans que vous y trouverez votre comptant. A mon avis, c’est un tube qui fera du barouf. Me voilà de retour aux éditions Baghdadi où je signe mes bouquins. Parlons de MOA. Cette année, ibn Sila – le lecteur global – va tomber raide comme un bouquin, en apprenant que le sieur Zakad a encore tiré deux cartouches dans le bar O. K. Corral qu’il fréquente. Les deux cartouches sont mes deux nouveaux livres : «L’Orphelin», un récit qui isplic les conditions dans lesquelles sont pris en charge les enfants abandonnés ou les orphelins dans les institutions et par la société. L’autre, «L’innocent», histoire d’un journaliste brimé par son rédacteur en chef, c'est-à-dire soumis au bishil (hogra en chinois). Dans ses reportages, il rappelle des souvenirs, depuis «j’ai parlé avec l’avion» jusque «je vous voyais grands de loin, devant moi vous êtes des nains». Tout, quoi ! Le lecteur partagera les amours de Réda le journaliste : amour pour sa fiancée Lylia, amour pour son métier, amour pour son pays. Voilà pour ce qui me concerne. Qu’on me lise ou pas, je m’en fous, puisque je me considère comme le premier et seul lecteur de mes livres. Comme je n’aspire à aucun prix ni visa ni prise en charge en Gaule, je peux dire ce que je veux dans cette situation apolaire où plus personne ne commande, car plus personne ne lit. Lire intelligemment s’entend. Comme l’écume des choses ne vous intéresse pas et que c’est le fond de l’océan qui importe, ne parlons plus de mézigue, mais je ne m’effacerai pas sans dire que j’ai raté Maougal au café littéraire de Béjaïa qui isplic «la mort absurde des Aztèques» dans une conférence sur les œuvres de Mouloud Mammeri. Je me morfonds.
A force de devenir vieux, les yeux de l’âme commencent à voir clair. La rumeur de milliers de chaussures frotte la moquette au stand Casbah. Toujours calme et paisible, Djoher Amhis-Ouksel tartine les dédicaces à la vitesse pondérée d’un Dalaï-Lama. Je m’enfonce dans la terre nourrissante de ses idées, m’abreuve de ses connaissances infinies et les raisonnantes vertus intellectuelles. Je jouis, je jubile et m’offre «Le prix de l’honneur» de ses mains dédicacé. Avec Djo, pas de verrou pas de cadenas, il y a toujours à entendre sur tout et surtout sur les auteurs de la deuxième génération (Mimouni, Djaout). Et selon les lois mystérieuses de l’activité onirique, je la quitte avec quelques phrases émollientes.
Dans ce saloon, une chose me chagrine, c’est l’absence de Grine. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Lui qui aime les dédicaces, le voilà envahi par les parapheurs du courrier ministériel. Il fait tout pour les journalistes, on le lui rend mal. Qu’est-ce que fait Hamid «vicieux» qu’il est, eh bien ! il envoie son fils Walid avec son livre de nouvelles intitulé«Autres», chez Alpha où la belle Malika vous sourit en tendant la main pour vous barguigner 500 DA le bouquin. Soumis à la fouille en Francie, Grine n’a pas eu la trouille. Bravo pour Hamid et tfouh aux perfides ! Je quitte fafa pour emprunter «Les traverses d’Alger» édité par Chihab, livre ethnico-urbanistique mémoriel écrit par B.B.B, le Beau, Brave et Bosseur Améziane Ferhani. Ca pète des flammes dès «l’incipitre». Celui qui ne lira pas ce livre est un traître révolutionnaire. Je vérifierai. Un mec arrive comme sur la transsaharienne. Il tangue et semble avoir soif… de lecture. Au premier mot, je pige que c’est un pessimiste. Il a le moral dans les chaussettes, la haine dans les poches. S’il était armé d’une mitraillette, il tuerait douze salonards avec de la conviction, sans se presser et sans stress. Comme je sais que le sourire est plus agréable qu’une grimace, je lui souris. Il me sourit par réflexe pavlovien. Il semble être venu du lointain passé de nos ancêtres. Au néolithique, lorsque les hommes ne vivaient que de la chasse, ils étaient heureux à leur mesure. Ils ne connaissaient pas le stress. C’est quand ils avaient organisé un salon du livre rupestre que leur mode de vie a changé. Chacun voulait que son dessin rupestre soit le meilleur et c’est depuis que furent inventé les prix Nobel, le prix Qu’on cours, et autres galéjades pour faire tourner les imprimeries, consommer du papier, couper les arbres, polluer les oueds par les rejets de Baba Ali et acheter les bennes à ordures que nous vend la France à coups de pied. Pauvres c… que nous sommes, tous les livres se valent, ya nass.
Ainsi, un chercheur assidu, assis dur sur une pierre de l’ère bovidienne (10 000 ans + ou -), a dévoilé dans ce saloon 2015 que le premier salon rupestre, le Silex, s’était tenu à Tamanrasset lors de la fête des bovidés en 4 261 av C. M. (cheb Mami). Les trois principaux prix ont été remis à Bim pour ses frasques rupestres, à Bam pour ses fraises rupestres et à Boum pour ses frusques rupestres. Bim, Bam, Boum se sont fait huer par les tribus ébahies dont le logiciel de pensée était inadapté à leur mode de vie. Depuis ce Silex de Tamanrasset on adapta le Sila d’Alger. Ainsi, de nos frères bovidiens d’aujourd’hui ; tout est haram pour nous et haram pour eux. Lors de ces rencontres tassiliennes, des maniocs et des bananes ont été jetés à la face des trois lauréats, Bim, Bam et Boum. Quelques noyaux de dattes ont été trouvés enfouis sous le tarmac de la manifestation, mais rien ne prouve qu’ils sont de Tolga (les noyaux). Concomitamment, à quelques pas, se déroulait le concours de vitesse des vétérans rupestres. Le premiers concours a été le brossage des éléphants au moyen d’une brosse à dents (concours remporté par Chitta), le second concours concerne le débitage d’une bûche de Naouel ***en ébène au moyen d’un silex d’onyx (concours remporté par Si Lexsar, nom donné plus tard à El-Kseur – Béjaïa). Le troisième concours remporté par Boum a été l’élévation d’une stèle à l’effigie de Boumediene, stèle qui a été enveloppée de béton en 2014 où de nouveaux bovidiens de l’ère moderne l’ont jugée non conforme. Tout cela reste à confirmer, ce que va entreprendre le CNPRH. Ce n’est donc pas pour demain. Quand au concours du Sila, mystère et boule de Dog. On sait qu’il y aura un prix, mais on ne sait pas quel prix. Celui du Sila, celui d’Assia Djebar, celui du Président ou celui du Silex ? Une sous- commission de la grande commission a été installée pour les batraciens que nous sommes !
Contactés pour les découvertes tassiliennes ainsi que pour la batraciens du Sila, Frank Fenner et d'autres scientifiques reconnus comme Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, il ressort que la Terre est entrée dans une nouvelle époque géologique, l'Anthropocène depuis 1800 avec la révolution industrielle et l'exploitation massive des combustibles fossiles vus à travers les faux cils de Biyouna dont les larmes de jais pendent à ses oreilles. Cette nouvelle époque géologique succéderait à l'Holocène débuté il y a dix mille ans. Bien que non officielle sur l'échelle des temps géologiques, l'Anthropocène a été admis dans la terminologie scientifique et correspond au moment où les Hommes ont pu rivaliser avec les forces de la nature dans la capacité à modifier l'écosystème de la Terre. Ce que nous faisons dans notre pays où le système a mi l’éco-boys aux manettes, l’éco-nomie sans dessus-dessous et notre éco-graphie très floue. Ce qui veut dire en clair : Nous sommes foutus. C’est ce que j’ai raconté à mon lecteur pessimiste en lui criant : arfaâ rassek, ya ba !
A. Z.
* voir Larousse 1968, page 12.
** Grindel, vrai nom de Paul Eluard.
***Le w de Nawel n’existait pas alors. Il a été inventé par une femme potière kabyle. C’est une double labiale v et v comme dans avava. Elle a eu le génie de lier les deux labiales qui deviendront par suite le signe du chameau W. Ces deux labiales ont même servi pour la chanson : va va ma petite Jeannette, va va le soleil reviendraaaa.(Fortissimo). Et seul Allah sait !

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