Le dialogue de paix interyéménite en Suisse : entre incertitudes et espoir

Par Houria Aït Kaci – Assiste-t-on aux dernières cartouches tirées par la coalition saoudienne au Yémen, en ces jours de trêve décrétée simultanément aux négociations de paix qui ont débuté le 15 décembre à Genève, en Suisse, sous l’égide des Nations unies entre les différents belligérants ? Les armes seront-elles rangées pour laisser place à l’option d’une solution politique négociée ? Difficile d’y croire au vu des violations du cessez-le-feu, à peine instauré. Mais l’espoir existe aussi que Genève 2 ne soit pas qu’une étape de plus dans la recherche d’une solution définitive à un conflit qui a fait plus de 6 000 victimes, surtout des civils. Le cessez-le-feu, une des premières conditions pour la tenue et la poursuite des négociations, une des mesures de confiance pour mener à bon terme les négociations, a malheureusement été violé à plusieurs reprises depuis son entrée en vigueur le 15 décembre, ce qui a bloqué l’avance des travaux, selon les informations qui parviennent de la rencontre à huis clos, en Suisse, jetant le froid sur les discussions à peine entamées pourtant dans un «climat positif». Les délégations ont toutefois pu créer deux groupes de travail qui planchent sur les questions militaires (notamment les modalités de l’application de la résolution 2216 de l’ONU) et la situation humanitaire et le blocus. Les représentants, 18 membres pour chacune des parties (gouvernement Abd Rabbo Mansour Hadi soutenu par Riyad) et Ansar Allah (Houthis) et leurs alliés du parti du Congrès populaire général de l’ancien président Ali Abdallah Salah, ont entamé, des négociations face à face, sur fond d’une trêve fragile, qui peut être rompue à tout moment et rendre caducs les efforts de longs mois de préparation à Mascate (Oman), par l’intermédiaire d'Ismail Ould Cheikh, le chargé de mission de l’ONU pour le Yémen, pour arriver à un cessez-le-feu et à un retour au dialogue politique. Selon des informations obtenues par l’agence de presse yéménite Khabar News (privée), les représentants du gouvernement Hadi, soutenu par la coalition saoudienne, mettent des obstacles à ces pourparlers de paix, en tentant notamment de faire passer dans l’ordre du jour des discussions, les questions de la résolution 2216 et celle de la libération des prisonniers (dont Nasser, le frère du président Hadi) avant celle du cessez-le-feu et de l’arrêt des combats. Ansar Allah s’est dit prêt à les libérer, mais une fois qu'un cessez-le-feu permanent aura été négocié et dûment vérifié. Le fait d’insister sur la libération des prisonniers, avant même le cessez-le-feu, dénote que «la coalition n’est pas sincère et ne veut pas réellement l’arrêt de la guerre, ce qui se vérifie sur le terrain, avec la poursuite des raids et des attaques terrestres des groupes liés à Riyad dans les régions de Maarib et Taez». La délégation de Riyad, souligne Khabar, utilise l’application de la résolution onusienne 2216 comme un moyen de pression sur l’autre camp et «le groupe Hadi et, derrière lui, l’Arabie Saoudite tentent la carte du chantage sur le congrès général et Ansar Allah pour arracher par les négociations ce qu’ils ont échoué à réaliser sur le terrain». Il ressort aussi des informations en provenance de Suisse que les représentants de la coalition refusent d’inscrire la question de la lutte antiterroriste à l’ordre du jour des pourparlers de Genève, comme demandé par Ansar Allah, alors qu’une bonne partie du sud du Yémen est occupé par Al-Qaïda et Daech, alors que la lutte contre ces groupes terroristes mobilise toute la planète et que l’Arabie Saoudite elle-même a annoncé la création d’une coalition islamique pour combattre Daech. Pour sa part, le porte-parole officiel des forces armées yéménites, le général Charaf Luqman, a mis en garde le 17 décembre contre «la gravité de ce que les forces de la coalition et leurs mercenaires font sur le terrain, en violation flagrante du cessez-le-feu demandé par l'ONU», dans une déclaration à Saba. Il fait état d'une «grave escalade sur terre, sur mer et dans les airs» dans diverses régions, notamment dans le secteur de Hodeïda et de Taez. Ajoutant : «Nous ne resterons pas les mains liées, mais nous répondrons aux violations qui ont lieu par l'alliance et ses mercenaires.» Il convient de remarquer que c’est à Maarib et à Taez que les forces de la coalition ont subi de grandes défaites à quelques heures de la tenue de la rencontre de Genève 2, notamment lors de l’attaque au missile Tochka, à Bab El-Mandeb sur la mer Rouge, le 13 décembre au soir. Selon Luqman, «cette opération est le fruit d’une collecte de renseignements délicate» et elle a fait 190 tués parmi les mercenaires et les soldats de la coalition ( 23 Saoudiens, 9 Emiratis, 7 officiers marocains et 42 mercenaires employés par la société américaine, Black Water, dont leur chef colombien Carles». Le missile Tochka, qui a ciblé le campement des forces de la coalition, a également détruit trois avions de type Apache, 40 véhicules militaires et 12 blindés appartenant à Black Water. La coalition saoudienne a confirmé, dans un communiqué, que le colonel saoudien Abdallah al-Sahiane, commandant des opérations des forces spéciales saoudiennes à Aden, et l'officier émirati Sultan ben Howaydan ont trouvé la mort «dans l'exercice de leurs fonctions en supervisant les opérations pour la libération de Taez». Aux frontières sud avec l’Arabie Saoudite, les forces yéménites, à la veille des négociations également, ont lancé un missile, Qaher-1, sur une base militaire aérienne saoudienne du roi Khaled située à Khamis Machit, à Assir, et un autre, de type Sarkha-3, sur la base saoudienne d’Aïn al-Harat, à Jizan, où l’Arabie a dépêché 1 200 miliciens issus des tribus yéménites de Maarib (centre) pour épauler l’armée saoudienne, recrutés grâce au parti yéménite Al-Islah des Frères musulmans, pro-saoudien. Le 18 décembre, le cessez-le-feu a été de nouveau violé par les troupes terrestres de la coalition soutenues par l’aviation, qui ont lancé «une grande attaque contre les sites des comités populaires et de l'armée dans le district d'Al-Mas et d'Al-Makhdrah, à Al-Jouda'an» et qui a été repoussée, selon l’agence Saba (officielle). «L’Arabie Saoudite, qui a été obligée de retourner à la solution politique, ne cherche-t-elle pas à tirer profit de la trêve pour revoir ses cartes, se redéployer sur le terrain militaire, pour restructurer ses troupes, mais aussi au plan politique, avec la création de la nouvelle coalition islamique, avec la participation de 34 pays contre Daech, qui sera probablement dirigée contre Ansar Allah, que Riyad considère comme des terroristes ?» s’interroge le politologue yéménite Ali Al-Khowlani. La tenue de ce congrès intervient après les critiques dont elle a fait l’objet dans le camp de ses alliés occidentaux, y compris américains, excédés par le peu de résultats de ce bourbier yéménite dans lequel le royaume des Al-Saoud s’est enfoncé. Pour le politologue yéménite, «l’Arabie Saoudite veut sortir du bourbier yéménite, mais ne sait pas comment arrêter la guerre. Elle veut en sortir de façon honorable, victorieuse, avec des victoires fictives !» Pour lui, ces violations du cessez-le-feu montrent l’absence de disponibilité de Riyad pour la recherche de solution à la crise au Yémen à travers un dialogue entre les parties yéménites elles-mêmes, et veut s’arroger coûte que coûte une victoire pour prolonger la guerre, malgré ses échecs sur le terrain, même auprès de certaines tribus qui étaient parmi ses alliées, en dépit de tous les moyens et tous les mercenaires ramenés des quatre coins du monde pour combattre les Yéménites, un peuple pacifique qui n’a jamais attaqué personne. Pour faire cesser les hostilités et mettre fin aux souffrances du peuple yéménite, il faudrait sans doute que Moscou et Washington et d’autres capitales européennes, qui ont demandé l’arrêt de la guerre et le retour aux négociations politiques, exercent plus de pression sur le royaume des Al-Saoud, miné par des conflits internes et des difficultés économiques avec le coût de la guerre au Yémen depuis le 26 mars et la chute des recettes pétrolières. Dans ces cas, Genève 2 pourrait être la dernière étape dans la solution politique au conflit yéménite ? Selon certaines indiscrétions, des échanges vifs ont eu lieu entre les membres des deux délégations, dénotant que les dures et difficiles négociations qui se déroulent en Suisse reflètent des enjeux, élevés, qui ne sont autres que l’indépendance du Yémen vis-à-vis de son puissant voisin saoudien et d’autres monarchies du Golfe qui convoitent ses ressources et son territoire. Un vent d’espoir, fragile, souffle toutefois sur Genève, où selon les toutes dernières informations, on a enregistré «un certain progrès positif, dans les négociations en cours, vu la possibilité, obtenue, de l’ouverture de voies sûres, pour acheminer des aides aux villes yéménites, notamment, Taez » a déclaré, vendredi dernier, le représentant du Yémen à l’ONU, Khaled al-Yamani.
H. A.-K.
Journaliste

Ndlr : Les idées et opinions exprimées dans cet espace n’engagent que leurs auteurs et n’expriment pas forcément la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
 

Pas de commentaires! Soyez le premier.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.