Déchéance de la nationalité en France et exclusion en Algérie : les Algériens pris en tenaille

Les Algériens vivant en France sont entre deux feux. D’abord, le gouvernement français est en train de mettre un dispositif de déchéance de la nationalité française qui les concerne en ce sens que beaucoup parmi eux sont aussi binationaux. Ensuite, l’avant-projet de révision de la Constitution en Algérie prévoit une disposition qui exclut des hautes fonctions ceux qui ont une deuxième nationalité. Cette disposition contenue dans l’article 51 de cette future Constitution est ainsi considérée par les ressortissants algériens à l’étranger comme une sanction privative de leur droit à la participation à la vie politique. Aussi la déchéance de la nationalité qui cible les binationaux est-elle qualifiée comme une discrimination. De nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer cette politique d’exclusion et de stigmatisation des binationaux aussi bien en Algérie qu’en France. La députée de l’immigration, Chafia Mentalecheta, est vite montée au créneau pour dénoncer «l’indigénat constitutionnalisé entre les deux rives». Dans une contribution publiée il y a quelques jours par Algeriepatriotique, cette députée exprime sa colère contre les deux Etats, algérien et français, qui font des binationaux des «indignes» de la citoyenneté. «Terroristes potentiels pour l’un et subversifs républicains pour l’autre, antidémocrates pour l’un et trop démocrates pour l’autre, immigrés pour l’un et émigrés pour l’autre, nationalité à dégrader pour l’un et nationalité à dénaturer pour l’autre, enfin cinquième colonne pour l’un et aussi cinquième colonne pour l’autre. Finalement, jamais ces deux pays n’auront formé un couple aussi parfait», écrit-elle. Dans un communiqué publié aujourd’hui, elle doute même de l’élargissement de l’article 51 du projet de révision de la Constitution, annoncé lundi soir par une source «officielle». «Je tiens à préciser qu’à cette heure aucun communiqué officiel émanant de la Présidence de la République ne confirme ni ne valide cet ordre présidentiel d’élargir cet article», précise Chafia Mentalecheta qui rappelle que «le seul communiqué officiel est celui du Conseil des ministres qui ne fait pas état de cette nouvelle approche». Aussi, estime-t-elle, «face à l’emballement général et dans l’attente d’un communiqué officiel, j’appelle la partie du peuple algérien – qui va se voir amputée de ses droits à la citoyenneté et de ses devoirs de participer à la construction d’une Algérie forte, juste et égalitaire – à continuer à se mobiliser pour dénoncer la constitutionnalisation d’une véritable discrimination». Elle appelle ainsi à rester mobilisés. Aussi l’association Diaspora des algériens résidant à l’étranger (Dare) et le Parti multiculturaliste réagissent-ils à cette double peine que subissent les binationaux. «Entre, d’une part, la France qui entend inscrire dans la Constitution la déchéance de la nationalité pour les Français binationaux exclusivement et, d’autre part, l’Algérie qui entend inscrire dans la Constitution la déchéance aux hautes fonctions publiques et politiques de l’Etat aux algériens binationaux exclusivement, le Parti multiculturaliste et l’association Dare «dénoncent cette violence d’Etat exprimée dans ces deux projets de lois apartheid qui violent l’intégrité des binationaux dans leurs identités, leurs droits, leurs égalités». Ils dénoncent ainsi une «réécriture de la Constitution pour créer un troisième peuple, ni français, ni algérien, des sous-citoyens, des semi-apatrides». «Toute une frange de la population française, plus de 6 millions de Franco-algériens, que l’on stigmatise par la loi à cause de cette double culture, cette double appartenance», préviennent-ils, en refusant que leur algérianité soit remise en cause. Ils refusent aussi que leur francité soit remise en cause.
L’Anaaf dénonce l’article 51 de la révision constitutionnelle
«Outre la haïssable idée, qui sous-tend les dispositions de cet article qu’il y aurait des Algériens moins bons que d’autres, au prétexte qu’ils vivent ou sont nés à l’étranger, pour diverses raisons, l’idée poursuivie est de les priver, un jour plus ou moins éloigné, de l’exercice de leur droit de vote», a regretté cette association dans une déclaration intitulée «De la déchéance à l’exclusion». L’Anaaf considère que les membres de la diaspora algérienne ont des raisons objectives d’être très inquiets mais aussi blessés dans leur amour propre parce que les exigences de résidence avancées dans l’article 51 affectent, par définition, ceux qui, très minoritaires, choisissent volontairement de ne pas se sentir concernés par la vie politique algérienne mais également les citoyens qui, bien qu’ils vivent de manière permanente à l’étranger, s’intéressent aux décisions politiques prises dans leur pays, de naissance ou de leurs ancêtres, dont ils conservent jalousement la nationalité et en sont affectés, par exemple «parce qu’ils y ont des liens familiaux, des biens ou parce qu’ils envisagent d’y retourner à une date ultérieure». Pour cette association, les dispositions de cet article 51 affaiblissent gravement le lien, souvent jugé indéfectible, entre les expatriés algériens, ou leurs descendants nés à l’étranger, et leur pays d’origine. «Les droits fondamentaux inhérents à leur nationalité algérienne sont aujourd’hui mis entre parenthèses par les rédacteurs de l’article 51. Seules les obligations qui en découlent sont épargnées», poursuit l’Anaaf. «Les membres de la diaspora algérienne résidant de longue durée à l’étranger ont l’impression de devenir des «pestiférés», avec l’unique droit dont ils doivent se sentir honorés : pouvoir visiter leur pays d’origine durant la période de leurs congés annuels, alors même qu’ils n’ont jamais cessé de s’informer sur la politique menée dans leur pays par des moyens de communication numériques, souligne encore cette association. C’est ainsi donc que les Algériens vivant à l’étranger voient cette réforme constitutionnelle. Une réforme qui consacre leur exclusion.
Sonia Baker
 

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