Binationale, résidante à l’étranger… et future citoyenne de seconde zone

Par Baya Si Hassen-Benhassine – Le projet de Constitution propose de faire de moi et de millions d’autres des «presque citoyens» algériens qui ne pourront pas accéder aux hautes responsabilités de l’Etat et aux fonctions politiques (art. 51), ni être candidats à la présidence de la République (art. 73). Il est vrai que je cumule plusieurs des «tares» inscrites dans ce projet. Pour les auteurs de ces amendements, je représente un triple danger : je suis binationale (sans trop savoir si j’ai acquis cette deuxième nationalité au sens ambigu de l’article 51) ; mon mari est lui aussi binational ; et, pis, nous vivons à l’étranger et sommes donc «loin des réalités du pays». Le fait que je sois née en Algérie, que j’y ai grandi, que j’y ai exercé mon métier après y avoir été formée (gratuitement) n’y changera rien. Mon patriotisme est tout simplement mis en doute. Même l’article 29 – qui dit pourtant que «les citoyens sont égaux devant la loi, sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d’opinion ou de tout autre condition ou circonstance personnelle ou sociale» ne me sera d’aucune aide le jour où je serais tentée de briguer un mandat présidentiel ou de servir la haute fonction publique de mon pays. Je vous rassure, je n’ai heureusement aucune ambition présidentielle et je ne prétends nullement accéder à la moindre haute fonction de l’Etat. Je ne prétends pas non plus que ces amendements soient le sujet le plus important dans ce projet de Constitution. Mais leur symbolique d’exclusion d’une partie de la communauté nationale est immense et, à ce titre, ils doivent être rejetés. Nous le devons aussi à notre histoire qui nous a montré maintes fois que parmi ces millions de talents expatriés existent des pépites d’expertise, de patriotisme, d’intégrité et de leadership qui sont une chance pour notre pays et qui pourraient un jour, comme par le passé, lui être d’un apport considérable. Comme tant de diasporas dans le monde le sont pour leurs pays. Notre diaspora est «l’autre pétrole» de l’Algérie, inépuisable celui-ci et à la valeur sûre.
L’Algérie se priverait de talents d’exception… sauf pour les Verts
Heureusement, je ne me sens pas trop seule dans ce club de futurs presque citoyens dont ce projet de Constitution voudrait protéger la nation. Nous serions quelque sept millions à «être loin de la réalité du pays» et à représenter un «danger potentiel» pour l’Etat. Je m’y sens même en très bonne compagnie. Pour ne citer que quelques figures exemplaires parmi tant d’autres, «grâce» à ces amendements, un Kamel Youssef-Toumi, professeur au MIT, ne pourrait pas être ministre de l’Enseignement supérieur, Liès Zerhouni ne pourrait pas venir «menacer» notre pays en tant que ministre de la Recherche scientifique ou directeur d’un futur grand institut de recherche médicale, Taïeb Hafsi, professeur à l’université de Montréal, ne pourrait jamais être ministre de l’Economie, Dde même, ni Yacine Aït-Sahalia ni Nour Meddahi, respectivement professeur d’économie à Princeton et à Toulouse, ne seraient jamais gouverneurs de la Banque d’Algérie, ni économistes en chef d’un futur conseil économique présidentiel… Ils ne suivraient pas, hélas !, les pas de cet économiste camerounais qui a occupé le poste stratégique d’économiste en chef du fonds souverain malaisien Khazanah, sans même être de nationalité malaisienne. M. Mahatir n’avait pas été averti à temps par nos constitutionnalistes de l’ombre ! Enfin, un Lakhdar Brahimi ou d’autres de sa trempe ne pourraient plus mettre leur expérience au service de l’Etat ni être candidats à la présidence de la République. Autant de «dangers potentiels» bientôt tenus à distance des commandes de l’Etat. Il est, par contre, inquiétant de réaliser que ceux qui ont pensé à ces amendements aient attendu 2016 pour nous «protéger» de concitoyens qu’ils soupçonnent manifestement de patriotisme suspect. Toutes ces années en risquant d’avoir un Hocine Aït Ahmed ou un Abdelhamid Mehri à la tête de l’Etat, ou une Assia Djebar comme ministre de la Culture (Allah yarham’houm). Que dire d’un Mohamed Boudiaf (Allah yarahmou), chef de l’Etat après avait été loin du pays depuis si longtemps. Et tous ces héros qui ont écrit, depuis l’étranger, les premières pages du nationalisme algérien et de l’unité maghrébine dans le combat anticolonial. Même notre président actuel n’aurait pas pu se porter candidat en 1999. Peut-être même que Liamine Zeroual n’aurait pas non plus pu se présenter en 1995, vu qu’il avait été brièvement ambassadeur à l’étranger au cours des dix années qui précédaient l’élection et que l’article 73 est ambigu sur ce cas de figure. «Prix de consolation» pour ce futur club de millions de citoyens de seconde zone et pour leurs enfants : l’article 24 bis nous garantit que «l’Etat œuvre à la protection des droits et des intérêts des citoyens à l’étranger…» et qu’il «veille […] au renforcement de leurs liens avec la nation, ainsi qu’à la mobilisation de leur contribution au développement de leur pays d’origine». Mais, prudence, les articles 51 et 73 ont été prévus pour veiller aussi à ce que ces contributions ne se fassent quand même pas à un poste trop élevé de l’Etat… Autre consolation : ces articles ne concernent heureusement pas les hautes fonctions sportives. Les Verts, eux, pourront continuer à bénéficier de l’apport de notre diaspora. Les Brahimi, Feghouli, Mahrez et autres binationaux pourront continuer à nous faire rêver. Pas de soucis pour cette diaspora-là, bien loin des commandes de l’Etat…
Non à la méfiance envers une partie de la communauté nationale !
Je n’arrive pas à m’expliquer cette méfiance envers les quelque vingt pour cent de notre population qui est expatriée, binationale ou dont les destins individuels font qu’ils ont un parent ou un conjoint étranger ou binational. J’ai eu beau lire et relire les articles de 194 Constitutions de par le monde : nulle part ailleurs ai-je trouvé autant de garde-fous contre l’accès aux responsabilités d’une partie d’une nation. Ces amendements représenteraient effectivement une sérieuse régression en termes d’égalité entre les citoyens, ainsi qu’une contradiction flagrante avec l’article 29 censé affirmer ce principe de non-discrimination. Mais je garde espoir qu’ils seront abandonnés ou modifiés. Je ne veux pas imaginer que mon pays se dote d’un texte fondamental qui instaure deux classes de citoyens algériens. Cette lettre et ce modeste travail de recherche se veulent être une petite contribution documentée, un cri d’indignation, qui se joint aux nombreuses voix qui s’opposent à ces amendements indignes de notre héritage historique et de l’attachement à leur patrie de tous les Algériens, où qu’ils se trouvent.
A ceux qui sont appelés à décider du devenir de ce projet de Constitution, j’ai espoir que vous ne fermiez pas la porte des responsabilités à cette partie de l’intelligence nationale et que vous ne soyez pas complices d’une déchéance de droits à une partie de vos concitoyens.
Aux auteurs de ces amendements, qui croient nous protéger de «dangers extérieurs» en divisant la communauté nationale, certains diront, hélas !, tab djnenkoum.Je préfère vous inviter humblement à enfin entrer dans le XXIe siècle et à rêver comme moi d’une Algérie inclusive, ouverte sur le monde, qui invite les meilleurs de ses enfants à contribuer à l’essor de leur pays, quels que soient leurs lieux de résidence et leurs destins individuels et familiaux.
B. S.-B.
Résidante aux Etats-Unis

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