Contribution du Dr Arab Kennouche – L’Occident peut-il rallumer la mèche du terrorisme en Algérie ?

Il est constant de remarquer que pour déstabiliser une nation, il importe de créer deux camps idéologiques complètement antagonistes dont l’existence de l’un dépendrait de l’anéantissement de l’autre. Les exemples sont nombreux dans l’histoire politique où un camp s’opposait à un autre dans une guerre sans merci, civile ou internationale, et même civile devenant internationale. Communistes contre fascistes dans l’Allemagne des années 30, républicains contre communistes en Espagne, monarchistes contre républicains en France sur les décombres de la révolution, les prétextes idéologiques sont toujours bons pour la destruction de l’autre en vue d’une prise de pouvoir définitive, sans partage, contre les principes démocratiques. Dans les pays arabes, islamistes et démocrates fourbissent leurs armes, mais n’en pensent pas moins. En Algérie, la foison de partis politiques extrémistes sans ancrage social, le clanisme exacerbé dans l’exercice du pouvoir, la cécité intellectuelle et morale des pseudo-élites politiques ont fini par offrir sur un plateau d’argent tous les outils et ingrédients nécessaires à une déstabilisation de l’Algérie aux puissances occidentales passées maîtresses dans l’art de la fomentation du désordre civil. La nouvelle politique arabe de la France née de sa réintégration à l’Otan sous Sarkozy semble offrir le cadre stratégique idéal d’une transformation du monde arabe qui, sous l’euphémisme d’une nécessaire démocratisation, occulte le jeu d’une déstabilisation forcée de ces nations, synonyme d’affaiblissement et de neutralisation à long terme. Il existerait plusieurs modèles de déstabilisation d’un Etat dont ceux, historiques, basés sur un schisme profond dans la société que des partis antagonistes viendraient coiffer pour une confrontation armée. C’est sur ce modèle que s’opposèrent, par exemple, nationalistes et communistes dans la Chine des années 30. C’est aussi vers ce modèle que faillit glisser la confrontation entre islamistes et républicains démocrates en Algérie, dans les années 90 avant que n’intervienne salutairement l’Armée. Il semble, cependant, que le danger ne soit pas définitivement écarté et que les maîtres fomenteurs de conflits civils redoublent d’ardeur pour allumer le feu en Algérie. Mais selon quelles modalités ?
La matrice tunisienne
La révolte en Tunisie est un cas d’école d’un conflit dont l’étincelle fut sociale et économique, et que les islamistes manipulés ont voulu propager à travers le pays, mais sans que cela ne tourne au vinaigre par le biais d’une guerre civile, grâce à la bienveillance de l’Oncle Sam. L’art de la manipulation des flammes de l’islamisme radical connut son apogée lorsque celles-ci furent redirigées de Tunisie vers la Libye voisine, puis dans un second temps vers la lointaine Syrie. Deux pays amis des Occidentaux furent épargnés par les flammes de la guerre civile, la Tunisie et l’Egypte, deux autres furent soufflés par une violente déflagration faisant apparaître un ébranlement profond de l’Etat : la Syrie et la Libye. L’essaim d’islamistes radicaux créé en Tunisie envoya donc ses meilleurs éléments dans deux pays jadis appartenant au Front du refus pour les anéantir autant que possible, attendant sans doute de s’occuper du cas algérien quand la bonne heure sera venue. Comme l’avoua finalement Bernard-Henri Levy, célèbre acteur de la nouvelle droite française sur un plateau de télévision, dans une formulation pour décrire l’alliance objective entre islamisme et sionisme : «C’est bon pour Israël». Effectivement, Israël n’en demandait pas tant. Il faut reconnaître à l’Occident tout cet art de la manipulation physique des troupes djihadistes, tels des moutons de Panurge, et, en même temps, s’étonner de la soi-disant naïveté ou impéritie de la jeune République tunisienne soudainement confrontée à un phénomène inconnu, et ne pouvant donc empêcher le départ de ses fous de Dieu vers la Syrie ou la Libye. En évitant soigneusement une guerre civile dans ce pays allié qu’est la Tunisie, les Occidentaux ont pris la peine d’y établir le quartier général des radicaux djihadistes qui ont toute latitude pour démontrer leurs prouesses guerrières entre Damas et Tripoli. Comment donc un Ghannouchi soucieux d’alternance démocratique «pour le bien» de son pays, ne fut-il pas sensible à la cause syrienne en allant tenter de convaincre les fous islamistes de l’opposition d’entendre raison et d’appliquer la recette tunisienne ? Notre émir Ghannouchi, pétri de culture anglo-saxonne et de renaissance islamique en Ifriqiya réussit la performance de déstabiliser par procuration la Syrie et la Libye avant d’éteindre le début d’incendie chez lui, comme on lui avait indiqué de le faire afin que les tisons portent fort là où le bât blesse : Damas et Tripoli. Et Alger ? Le savoir-faire des tisonniers tunisiens devait sans aucun doute s’exprimer en direction de l’Algérie voisine, mais envoyer directement de la chair à canon eût été improductif pour les fins-connaisseurs de la scène algérienne : ouvrir un front sur la longue frontière algéro-tunisienne aurait été suicidaire ; il faut donc repasser par la Libye et atteindre le cœur économique de l’Algérie, là où gisent gaz et pétrole. La partition tunisienne remarquablement jouée porte désormais ses fruits avec ces islamistes tunisiens aguerris en Syrie, aidés de leurs comparses de Benghazi et d’une bonne poignée de Marocains, que des terroristes algériens résiduels viendront guider au temps opportun. Mais l’Occident peut-il raisonnablement rallumer la mèche en Algérie alors que le premier départ de feu fut un échec ou un demi-succès par l’intermédiaire du FIS ?
La carte Bouteflika/anti-Bouteflika
Afin de couper court à toute accusation de complotisme, il faut tourner le regard vers la politique malienne et libyenne de la France, Etats profondément sous influence et soumis à un chaos politique permanent contre les efforts diplomatiques d’Alger. Disons-le ouvertement, si la France désirait réellement stabiliser politiquement ces pays, en évitant le recours à la force armée, les Libyens tout comme les Syriens et les Maliens n’auraient pas les moyens de résister à la conduite diplomatique des Français. Ce qui est bon pour Israël, l’est aussi pour la France, c’est-à-dire le chaos permanent, n’en déplaise aux ambassadeurs de bons sentiments et autres chevènementistes rassurants qui viennent passer du baume au cœur des Algériens révulsés par cette ultime perfidie française. Généralement, les bons sentiments français rappelant la politique arabe d’un De Gaulle et la «longue amitié franco-arabe» interviennent en prémices d’un conflit latent qui peine à éclater. On se souvient encore des tentes de Kadhafi plantées dans les jardins des Invalides, avant que ces mêmes pieux ne lui soient plantés dans le dos et dans celui de la nation libyenne. La France sait y faire pour ménager la chèvre et le chou et verser les larmes de l’amitié afin que la dague transperce plus profondément le corps investi de ses désirs. Que l’on ait trouvé en Bouteflika un point d’appui solide pour continuer l’ascension vers Alger, n’est guère étonnant. Le personnage s’est retrouvé pris à son propre piège d’un amour éperdu pour la France et d’une détestation de tout ce qui s’oppose à lui. Le pays ainsi scindé en deux, représente une aubaine pour les fomenteurs de conflits civils, entre Algériens de l’allégeance et ceux de la dissidence, le Makhzen façon Bouteflika et le Bled Sibaâ de la dissidence. Les manipulateurs parisiens de tisonniers profiteront de la brèche pour s’introduire dans la maison Algérie et tenter toute forme de combustion entre républicains nationalistes anti-bouteflikiens, et bouteflikiens pro-islamistes. La manipulation de Bouteflika par les officines occidentales ressemblerait presque à celle de Ghannouchi : on fait semblant de ne pas comprendre sa propre instrumentalisation en feignant de croire que l’islam politique ou le bouteflikisme aura raison de la puissance militaire et économique de l’Occident. Les tisons ardents de l’islamisme radical donneraient ainsi toute leur puissance à ce nouveau schisme s’il venait à gagner toute la société algérienne. Que le pouvoir actuel continue de s’imposer par la ruse et la force, et la scission en sera plus béante, plus funeste, plus morbide pour la société algérienne, une opportunité pour les grands tisonniers qui ne demanderaient pas mieux pour attiser de nouvelles braises. Car la France, les Etats-Unis, l’Europe ne seraient pas prêts d’accommoder les Algériens pro- et anti-Bouteflika, surtout si ceux-ci étaient prêts à user de tous les moyens pour obtenir une victoire finale. Que les tisonniers tunisiens, libyens, marocains s’engouffrent dans la brèche en exportant leurs islamistes au plus offrant et le tour est joué, à la grande joie de leurs maîtres, tireurs de ficelles. Quel meilleur spectacle que celui où deux camps s’aligneraient le fusil armé, l’un nationaliste, civil, militaire, démocrate ou islamiste pro-Bouteflika, l’autre tout autant nationaliste, civil, militaire, démocrate ou islamiste, mais anti-Bouteflika ? Quel feu d’artifice en apothéose si Bouteflika venait à définir la pierre angulaire d’un achoppement entre deux camps viscéralement opposés et prêts à faire feu de tout bois, même de celui des islamistes de Daech, pour en venir à bout de l’adversaire !
Oui, M. Bernard-Henri Levy, ce serait bon pour Israël, on vous le concède, bon pour la France, certainement également. Et bon pour Bouteflika ? Le président de la République semble bien armé au moins pour tenter de convaincre le peuple qu’il ne comprenait pas le jeu des puissances occidentales. Il semble certain qu’au-delà de ses bonnes intentions, faites de démocratie et de gouvernance affichée, point à l’horizon une division profonde au sein de la société qui lui échappera totalement un jour ou l’autre. La situation algérienne nous rappelle aisément la Tunisie d’un Ben Ali euphorique qui affichait le premier indice de développement humain d’Afrique (très certainement sur le littoral), mais que l’arrière-pays contredisait jusqu’à virer vers la contestation et la révolution. Les Tunisiens avaient refusé le despotisme même s’il offrait un certain niveau de vie. Ben Ali ne semblait pas soucieux du manque de libertés en Tunisie, et dans son for intérieur, il croyait vraiment bien faire en donnant à son peuple l’un des meilleurs niveaux de vie. C’est peut-être ce rôle que Bouteflika est appelé à jouer ; un catalyseur des forces antidémocratiques, antilibérales, avant que ne vienne se greffer sur le vent de la liberté réprimée le deuxième mélange, celui de l’islamisme djihadiste antilibéral qui attend sur la frontière libyenne. Le mélange final sera, à n’en pas douter, détonnant, d’autant que Bouteflika se sera laissé manipuler sciemment jusqu’à se réserver une porte de sortie en laissant derrière lui l’Algérie et ses nombreux détonateurs.
Dr Arab Kennouche

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