Yémen : le dialogue politique finira-t-il par s’imposer ?

Par Houria Aït Kaci – Durant les dernières heures qui ont précédé l’entrée en vigueur du cessez-le-feu au Yémen parrainé par l’ONU, dimanche 10 avril à minuit, les forces de la coalition saoudienne ont lancé plusieurs offensives pour d’ultimes tentatives de modification de la carte militaire au nord du Yémen. Le respect du cessez-le-feu est un test décisif pour les négociations politiques entre les différentes parties en présence dans le conflit, prévues au Koweït, le 18 avril. Les forces d’Ansar Allah et du parti du Congrès populaire général de l’ancien président Ali Abdallah Salah, qui combattent les forces de la coalition saoudienne, ont dans un communiqué de presse commun exprimé leur engagement à respecter le cessez-le-feu, tout comme les forces armées yéménites et les comités populaires, «tout en conservant le droit de répondre face à toute violation», selon le porte-parole de l’armée régulière, Charaf Luqman, cité par l’agence de presse Saba. Dès les premières heures du cessez-le-feu, les rues de Sanaa se sont animées, avec des embouteillages et des commerces qui ont rouvert leurs magasins devant une grande affluence des citoyens qui vivaient jusque-là sous le feu continu des avions de la coalition qui a détruit l’essentiel des conditions de vie de base des populations au Yémen. Les Yéménites, selon les informations en provenance de Sanaa, tout en profitant des premières heures de la trêve pour accomplir leurs occupations quotidiennes, fatigués par la guerre, restent néanmoins méfiants, après les échecs des précédentes trêves, depuis le début de la guerre le 26 mars 2015, déclenché par une coalition arabe de 10 pays et soutenue par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et de façon non déclarée Israël.
Pour les Yéménites, il était difficile de croire à un total cessez-le-feu en voyant avec quelle intensité les derniers combats se sont déroulés quelques heures avant le cessez-le-feu, notamment à Taez, Marib, Jawf et Sanaa dans le nord du pays où les forces de la coalition et leurs alliés yéménites ont tenté, en vain, de modifier la carte militaire, pour peser sur le rapport de forces, en prélude aux négociations inter yéménites, annoncées par l’ONU au Koweït pour le 18 avril.
Violations de la trêve
La trêve a été finalement violée aussitôt décrétée, à plusieurs reprises, selon l’agence Saba, notamment à Taez (sud-ouest), à Marib, à Nihm à l'est de la capitale Sanaa, et dans la province d'Al-Jawf. «Il y a eu 33 violations de la trêve avec au moins un raid aérien de la coalition saoudo-américaine dans les gouvernorats de Taez, Sanaa et Marib», écrit Saba. Mais «la trêve ne s'est pas effondrée et nous espérons voir les mercenaires pro-saoudiens mettre fin à leurs agressions et respecter le cessez-le-feu», a indiqué une source militaire à Saba, ajoutant que «les forces de l'armée et des comités populaires se contentaient pour le moment de stopper toute tentative d'avance des mercenaires pro-saoudiens». Selon l’agence Khabar News Agency, la trêve a été violée deux heures après son entrée en vigueur, dans la nuit de dimanche à lundi, par la coalition saoudienne qui a mené plusieurs raids aériens sur la région de Taez, jusqu’à l’aube ainsi que dans la région d’Al-Jawf où plusieurs drones ont été observés dans le ciel de ce gouvernorat alors qu’à Hodeïda, les habitants ont entendu les bruits de l’aviation de guerre. A Sanaa, les chasseurs-bombardiers de la coalition saoudienne ont poursuivi leurs raids contre le district de Nihm (banlieue de Sanaa), qui constitue une porte d’entrée dans la capitale yéménite que la coalition tente de prendre depuis des mois, sans succès. Selon Saba, les agresseurs saoudiens ont opéré dimanche pas moins de 12 raids aériens sur différentes régions de ce district tant convoité. Pourtant, la coalition saoudienne et le gouvernement yéménite contesté de Rabbo Mansour Hadi ont aussi affirmé leur engagement à respecter la trêve, et dénoncé les violations du cessez-le-feu par des «attaques des Houthis pro-iraniens», notamment à Taez, à Marib, et Al-Jawf, (Nord), selon le chef d'état-major des forces loyalistes. « La trêve ne s'est pas effondrée et nous espérons voir les Houthis mettre fin à leurs agressions et respecter le cessez-le-feu» parrainé par les Nations unies, a indiqué à la presse le général Mohamed Ali al-Makdashi, ajoutant que «ses forces se contentaient pour le moment de stopper toute tentative d'avance des Houthis». Il semble difficile pour les observateurs d’apprécier le respect ou non de la trêve, chacune des parties s’accusant mutuellement de violer la trêve, en raison de l’absence d’un organe d’experts, indépendant, chargé de superviser le cessez-le-feu comme cela se fait dans tous les conflits. Cependant, le porte-parole du mouvement Ansar Allah, Mohamed Abdessalam, a annoncé, lundi, la formation au Yémen de comités locaux comprenant les deux parties en conflit, pour surveiller et superviser le cessez-le- feu dans six provinces (Jawf, Marib, Taez, Shabwa, Dali), coordonner avec les Nations unies l’acheminement de l'aide humanitaire et former un comité central pour le traitement du dossier des prisonniers. Abdessalam a indiqué que les comités doivent commencer lundi leur travail avec des réunions dans chaque province, tout en exprimant sa «condamnation des bombardements aériens continus et des entorses au cessez-le-feu dans certains fronts, en dépit des accords et des ententes antérieures et la déclaration de cessation des hostilités à minuit hier». Néanmoins, il ressort de ces déclarations qu’en dépit de ces violations ici et là, les deux parties tiennent au maintien de la trêve, ce qui pourra ouvrir la porte aux prochains pourparlers de paix au Koweït sous l’égide l’ONU pour trouver une solution politique et définitive au conflit qui a fait plus de 6 000 morts, dont 900 enfants. L'ONU a salué l'entrée en vigueur d'une cessation des hostilités dans un communiqué de presse de l'envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour le Yémen, Ismail Ould Cheikh Ahmed, qui a «exhorté toutes les parties à veiller à ce que cette cessation des hostilités soit pleinement respectée», ainsi que leurs engagements notamment en matière «d'un accès sans entrave à l'aide humanitaire sur l'ensemble du territoire yéménite». Ould Cheikh qui a souligné que les pourparlers de paix au Koweït, sous l'égide des Nations unies, doivent porter sur cinq questions principales : «le retrait des milices et des groupes armés, la remise des armes lourdes à l'Etat, les dispositions de sécurité provisoires, la restauration des institutions de l'Etat et la reprise du dialogue politique inclusif, ainsi que la création d'un comité spécial pour les prisonniers et les détenus».
Des atouts en faveur des négociations de paix
Cette trêve qui intervient, faut-il le souligner, après des négociations directes entre Ansar Allah et l’Arabie Saoudite, aux frontières entre les deux pays, à la faveur d’un échange de prisonniers le 9 mars, suite à une initiative des tribus vivant des deux côtés de la frontière (Djezan, Assir, Nedjran), où les forces d’Ansar Allah ont réussi à occuper d’importantes positions, infligeant des pertes à l’armée saoudienne. Ces négociations ont permis une accalmie totale aux frontières, mais qui devait aussi s’élargir aux autres régions du Yémen, comme un signe de confiance entre les belligérants, pour mener à bien la suite des pourparlers sur les autres questions. Selon plusieurs observateurs, des facteurs internes comme les divergences au sein de la famille royale Al-Saoud sur la guerre au Yémen (coûtant de plus en plus cher à Riyad), la dégradation de la situation économique suite à la chute du prix du pétrole ont amené l’Arabie à chercher à négocier la fin de la guerre. Mais il y a aussi les fissures qui sont apparues au sein de la coalition, notamment entre Riyad et les Emirats arabes unis, comme le montre l’épisode du limogeage par le président Hadi, l’homme de Riyad, de son chef du gouvernement Khaled Behah, réputé proche d’Abou Dhabi. Selon certaines sources non confirmées officiellement, les raisons de ce limogeage sont liées à un accord portant sur une cession de l’île de Socotra par Bahah à ses amis de Dubaï, alors que Riyad voulait aussi cette île stratégique et classée patrimoine mondial. L’autre signe positif réside dans le soutien apporté par les grandes puissances à ce cessez-le-feu et plus globalement aux négociations politiques et au dialogue yéméno-yéménite, contrairement aux phases précédentes où la communauté internationale semblait indifférente au sort du peuple yéménite et complaisante vis-à-vis de l’Arabie Saoudite. Les Etats-Unis, principal soutien de l’Arabie dans cette guerre, ont ainsi exprimé leur satisfaction à travers un message du secrétaire d'Etat américain John Kerry sur son compte Twitter. «Je salue le début d'un cessez-le-feu au Yémen et exhorte toutes les parties à saisir l'occasion pour permettre à l'aide humanitaire d'entrer et de continuer à avancer dans une solution pacifique.» La France, qui avait soutenu l’opération «Tempête décisive» conduite par l’Arabie Saoudite, son principal client en armements au Moyen-Orient, a salué l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu, comme «une première étape essentielle avant le début des négociations de paix prévues au Koweït prévues le 18 avril». Un communiqué du Quai d’Orsay appelle «toutes les parties yéménites à s’engager dans les pourparlers avec un esprit constructif et sans pré-conditions» et exprime son «soutien à l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour conduire ces négociations».
Ce «lâchage» de Riyad par ses alliés, qui exercent ainsi des pressions pour l’arrêt de ce conflit, va certainement peser dans la balance sur les négociations au Koweït (un pays membre de la coalition saoudienne), offrant plus de chances pour un arrêt des combats et la paix en faveur du peuple yéménite qui souffre d’une guerre des plus meurtrières. C’est pourquoi ce cessez-le-feu mérite le soutien contre ceux qui cherchent à souffler sur le feu.
Cependant, selon certains analystes politiques, les cinq conditions posées par l’ONU, notamment celles se rapportant à «l’Etat», risquent d’enliser les négociations dans l’identification de l’Etat. Est-ce celui contesté de Hadi, présent symboliquement à Aden (où Al-Qaïda fait la loi) ou celui de Sanaa dirigé par le comité révolutionnaire formé par le mouvement des Houthis alliés à l’ancien président Ali Abdallah Salah, encore très influent sur la scène yéménite ? Et dans le sud du pays, qui représente l’Etat, Hadi, Al-Qaïda ou Daech ?
N’aurait-il pas fallu alors, s’interrogent ces observateurs, de discuter d’emblée de l’organisation d’un gouvernement de transition qui préparerait les conditions pour des élections libres et démocratiques redonnant sa place de libre arbitre au peuple yéménite souverain, sans aucune interférence étrangère ?
H. A. K.
Journaliste

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