Hela Ouardi et ses «derniers jours du Prophète»
Par Nazim Maiza – Le livre Décadence de Michel Onfray fut pour moi une lecture, voire un exercice malcommode et superflu du point de vue du savoir qu’il colporte. Décadence est une sorte de thèse qui «nécrose», tout au long du livre, le fondement des Evangiles, à savoir les apôtres de Aïssa le «Christ», allant même jusqu’à remettre en cause l’existence de ce Prophète. Onfray n’a pas usé d’artifices, ni de faux semblants dans les raisons qui l’ont poussé à écrire cet ouvrage ; il se dit athée et exècre la religion, quelle qu’elle soit. Cela a le mérite d’être explicite. En vérité, Onfray n’est pas un écrivain clair-obscur. Je l’aime bien pour cette raison, pour ce courage.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à signaler que je ne suis pas historien, ni spécialiste de l’islam ; tout ce que j’écris aujourd’hui est le fruit de nombreuses lectures sur le sujet et de conférences auxquelles je me suis intéressé.
Faire l’amalgame avec le chiisme lorsque je lis Les Derniers Jours du Prophète de Hela Ouardi est tout naturel mais soyons clairs, je ne présente pas une olla-podrida sans comprendre de quoi il est question dans ce livre. Force est de constater que l’auteure, Hela Ouardi, reprend majoritairement les thèses chiites, rien de plus, sans pour autant accuser cette dernière d’une quelconque «obédience», religieuse cela va sans dire.
Présentement, je ne fais que critiquer humblement sa vision de la tradition musulmane. Selon moi, elle présente superficiellement ce que je crois être une doxa. Je m’efforce de livrer ma aletheia (conception), rien de plus.
Le chiisme dans mon quotidien algérien, voire algérois, m’a de tout temps intrigué profondément. Le nombre de chiites algériens est en pleine croissance, la qualité intellectuelle des Algériens «sunnites» devenus chiites est, lui aussi, intrigant. Pour la plupart de cette population restreinte, ce sont des gens éminemment intelligents, instruits et politiquement, le poids de l’Iran sur la scène internationale donne du crédit à leur palinodie.
La remise en cause des conditions de désignation du premier calife de l’islam «post» Prophète Mohamed, Sala Allah Alayhi Wa Salam (SWS), a de tout temps été l’apanage du courant chiite dans l’islam, à ne pas confondre avec le kharidjisme.
Hela Ouardi, une historienne que je découvre, aborde ce sujet avec plus de véhémence que les chiites eux-mêmes dans son livre Les Derniers Jours du Prophète et moins de courage que la Décadence d’Onfray. Cet ouvrage a été présenté au Salon du livre d’Alger.
La littérature de ce courant religieux – le chiisme dans l’islam – est phénoménalement abondante, et croyez-moi quand je vous dis que cette lecture soulève beaucoup de questionnements pour le lecteur «standard». Etant moi-même un lecteur «standard», cette question m’a beaucoup intéressé dans ma relative jeunesse. J’ai fini, bon an, mal an, par comprendre les raisons réelles de l’avènement du chiisme dans le contexte politique de l’époque. Nous en parlerons en conclusion.
Dans cet ouvrage, il est avancé par Hela Ouardi que le Prophète de l’islam fut empêché de faire son testament et qu’il fut contraint de cacher un document testamentaire dans le fourreau de son épée de peur de se faire prendre par ses compagnons. Elle apporte par la suite d’autres «révélations». Ecrire cela aujourd’hui, c’est mésestimer la puissance d’un homme − car c’est d’un homme qu’il s’agit − qui plus est un homme qui a fondé l’un des plus grands empires qu’a connu l’humanité.
C’est tout naturellement que je pense à Alexandre le Grand. C’est comme si l’histoire se répète à une différence près. En effet, je ne me rappelle pas avoir lu, ni entendu un historien ou autre philosophe aborder la question de la succession politique d’Alexandre III de Macédoine ou jeter l’anathème sur ses compagnons. Des hommes comme Cratère qui, tout comme Ibnou El-Khatab (radiah Allah anhou), avait appris la mort d’Alexandre alors qu’il était sur le chemin du retour et Perdiccas auquel Alexandre aurait confié, agonisant, l’anneau royal, cela rappelle le fourreau de Hela Ouardi. Il y a matière pour un historien, ne pensez-vous pas ? Alexandre est, lui aussi, un autre «grand» personnage par la concrétisation de beaucoup de concepts qui étaient jusque-là des délires de souverains car c’est de succession politique qu’il est question et non pas de succession religieuse. C’est une nuance liminaire lorsque l’on s’attaque à un sujet pareil, qui plus est pour une historienne. Je pense pouvoir fermer cette parenthèse ; cette parabole est, pour ma part, une forme de nécessité démonstrative de ce qu’est une succession politique dans deux contextes différents dans le temps mais similaires dans les faits.
De prime abord, cette nuance qu’est la succession politique échappe à l’auteure qui s’emmêle les pinceaux, tel Arcimboldo devant ses fruits. Candidement, c’est une dissemblance qui pourrait m’échapper, moi le lecteur «gobe-mouches». Vous pourriez aisément m’absoudre car profane je suis mais, pour une historienne, c’est un peu plus délicat.
Clarifier l’idée en filigrane diluée dans l’ouvrage de Hela Ouardi est primordial. En effet, cet ouvrage est une littérature fondée sur des «informations» qui, grosso modo, se cristallisent à la façon de Stendhal mais sans «amour», dans le message suivant : «Aujourd’hui, le monde musulman est en plein tourbillonnement pour la simple raison du fait qu’après à la mort du Prophète de l’islam Mohamed (SWS), un ‘’coup d’Etat’’ fut ourdi par Aboubakr Essedik et Omar Ibnou El-Khettab pour empaumer le pouvoir.»
Selon Mme Ouardi, personne ne sait de quoi le Prophète Mohamed (SWS) est mort. Certains avancent l’empoisonnement ; d’autres parlent de problèmes au niveau de l’abdomen. Une chose est sûre : personne ne peut dire de quoi le Prophète (SWS) est mort, c’est une vérité.
Après le pèlerinage de l’Adieu, le Prophète (SWS) était rentré à Médine où il avait décidé de finir ses jours par amour pour cette ville et pour les Médinois, les fameux Ançar. Par la suite, il tombe malade, une maladie qui, au fur et à mesure des jours, a fini par l’empêcher de mener les prières canoniques au sein de la mosquée. Ne pouvant plus faire cela, il demanda à ses fidèles de dire à Aboubakr Essedik d’être l’imam derrière lequel ils prieront. Il ne faut pas oublier que Aboubakr a de tout temps été l’ami fidèle du Prophète (SWS), avant et après sa conversion à l’islam. Il est important de retenir cela. Il y eut de la résistance devant cette directive. L’épouse du Prophète (SWS), Aïcha (radhia Allah anha) elle-même était d’avis que ce soit Omar Ibnou El-Khettab qui soit l’imam intérimaire, sachant que Aboubakr était son père. Devant ces contestations, le Prophète (SWS) insista pour que ce soit Aboubakr qui mène les prières, et ce fut le cas.
Arrêtons-nous un instant sur cet aspect. Hela Ouardi contourne habillement cet épisode dans Les Derniers Jours du Prophète, pourtant la littérature est abondante dans ce sens, les témoignages des sahaba (compagnons) sont, eux aussi, nombreux mais elle choisit en tant qu’historienne de faire fi de cela. Mais continuons.
Donc Aboubakr devient l’imam des croyants pendant une semaine, jusqu’au lundi où, en fin de matinée, le Prophète (SWS) décède des suites de sa maladie. Aboubakr n’était pas présent au moment du décès car il rendait visite à sa famille dans les faubourgs de Médine. Quand il en est averti, il revient précipitamment, pénètre dans l’appartement du Prophète (SWS). Il voit le Prophète (SWS) allongé, l’embrasse sur le front et dit : «Quant à la mort que tous les êtres humains doivent goûter, tu y a goûté ô messager de Dieu ! » Il sort ensuite de l’appartement contigu à la mosquée et y retrouve les fidèles alertés. Il faut savoir qu’ils eurent du mal à accepter la nouvelle, si bien que Omar Ibnou El-Khattab menaça toute personne qui oserait dire que le Prophète (SWS) était décédé.
Omar dira que le Prophète n’est pas décédé ; il n’est pas mort, il va juste s’absenter et revenir comme Moïse (SAAWS) était revenu ; il n’est nullement question de Aïssa, «Jésus», comme l’avance Ouardi Hela fièrement.
Cet épisode est important dans l’histoire des musulmans. La question qu’il est pertinent de poser est comment un compagnon de la stature de Omar a pu ne pas accepter, momentanément certes, la mort du Prophète (SWS). Pour certains spécialistes de l’islam, la réponse est simple : l’émotion l’avait emporté sur la raison. En vérité, Omar Ibnou El-Khettab a été déstabilisé par la mort du Prophète (SWS).
Aboubakr Essedik, s’adressant aux sahaba dans la mosquée, dit : «Que ceux qui adoraient Allah continuent à l’adorer car Dieu est Immortel et que ceux qui adoraient Mohamed, alors qu’ils sachent que Mohamed est mort.» Il récita ensuite le verset : «Mohamed n’est qu’un messager – des messagers avant lui sont passés – S’il mourait donc ou s’il était tué, retourneriez-vous sur vos talons ? Quiconque retourne sur ses talons ne nuira en rien à Dieu, et Dieu récompensera bientôt les reconnaissants.»
C’est alors que Aboubakr prononça son fameux discours : «Ô gens ! Celui qui adorait Mohamed, qu’il sache que Mohamed est mort ; et celui qui adore Dieu, qu’il sache que Dieu est Vivant et qu’Il ne meurt pas !»
Il est important de savoir que Omar Ibnou El-Khettab dira plus tard qu’en entendant ce verset récité par Aboubakr, il eut l’impression que c’était la première fois qu’il l’écoutait, alors qu’il le connaissait très bien. C’est dire l’importance du Coran dans le contexte. Certes, Omar connaissait le verset en question mais dans un contexte abstrait. Le verset dit que Mohamed (SWS) allait mourir un jour, lorsque ce jour arriva et que Omar entendit le verset, il l’assimila profondément.
Les Ançar se sont regroupés pour discuter de la succession politique du Prophète (SWS) – il est important de souligner cela – et non pas de la succession religieuse. Il faut savoir que le Prophète Mohamed (SWS) avait deux rôles primordiaux :
– Il était le messager de Dieu : il éduquait les gens et les aidait à cheminer spirituellement.
– Il était chef d’un Etat qu’il avait fondé : il s’occupait de la politique à mener, il enseignait aux musulmans l’importance d’être structurés, organisés et unis autour d’une idéologie, une loi, celle du Coran.
Donc, les Ançar se retrouvent entre eux et commencent à discuter de cette succession politique. Ils sont tous d’accord pour désigner Saâd Ibnou Oubada comme le successeur politique du Prophète (SWS), un «grand parmi les grands de Médine». Il faut aussi comprendre que les Ançar pensaient et croyaient qu’ils étaient prioritaires dans la gestion de la nation musulmane car, non seulement ce sont eux qui ont soutenu énergiquement la cause mais aussi car Dieu n’a cessé de citer ces derniers dans le Saint Coran.
Aboubakr va essayer de convaincre les Ançar dans ce sens, il leur fait une proposition : «Voici Omar à ma droite et Abou Oubayda à ma gauche, je pense que ces deux personnes sont aptes à diriger la communauté.» A ce moment, Omar réagit : «Il est hors de question que quelqu’un prenne les devants tant que Aboubakr est parmi nous.» Puis il mit en évidence les qualités d’Aboubakr et ce que le Prophète (SWS) a dit de lui (il y a plusieurs hadiths sur ce sujet).
Pour ne pas faire plus long, sachez qu’Aboubakr l’emporta par la majorité. Il n’a pas fait consensus, certes, mais la majorité s’exprima dans le calme et sans effusion de sang. Et il fut le premier calife. C’est dire que les musulmans étaient dans un processus «démocratique pur» et non pas dans une sorte de «pronunciamiento» que Hela Ouardi croit être les raisons de la discorde dans le monde musulman.
La tradition musulmane n’est pas en faveur de la transmission du pouvoir héréditaire. C’est bien après, au temps de Mouawiya et de son fils Yazid, que la «monarchie» fut instaurée.
Je voudrais en conclusion dire une chose du chiisme parce que l’auteure du livre Les Derniers Jours du Prophète remet en cause les conditions dans lesquelles le premier calife de l’islam «post» Prophète Mohamed (SWS) fut proclamé, un sujet qui a de tout temps été l’apanage du courant chiite dans l’islam. Je ne pense pas être apte à faire la démonstration des illogismes du chiisme, ni même prétendre détenir la vérité mais comprenez mon déplaisir lorsque je lis Mme Ouardi qui surfe, tel Joël de Rornay, sur la vague de Kamel Daoud, Yasmina Khadra, Amin Zaoui et autres candidats qui rêvent de voir une fatwa de pseudo-oulémas émise pour consolider leur statut d’exilés pour la liberté contre l’islam intolérant.
N’étant pas appréciateur ou maîtrisant ex-professo l’histoire de l’islam, je fus moi-même interpellé par cet ouvrage et par les différentes déclarations de Hela Ouardi, qui dit bien que son livre est le fruit de nombreuses années de travail mais aussi qu’il n’apporte aucune réponse ; son but est de poser des questions importantes dans le monde musulman actuel.
Le courant chiite considère que la transmission du pouvoir politique s’est faite en défaveur de Ali Ibnou Abi Taleb (radhia Allah anhou), c’est clair mais, au temps des Abbassides, ils eurent l’opportunité de voir un descendant direct de Ali au pouvoir ; ils refusèrent et exigèrent que ce soit un descendant d’El-Hussain, l’un des nombreux fils de Ali, c’est leur dogme à nos jours. Savez-vous pourquoi ? La mère de Hussain était Perse. Donc comprenez que le chiisme est politique et non religieux.
N. M.
Comment (107)