Al-Afghani contre le coronavirus !
Par Mouanis Bekari – «En observant bien les choses, nous verrons que la ruine et la corruption qui règnent parmi nous ont, en premier lieu, affecté nos chefs et nos savants religieux.» L’auteur de cette sentence, dont l’anniversaire de la mort il y 123 ans à Istanbul est passé quasiment inaperçu, est Djamal-Eddine Al-Afghani(1). A lire et entendre les interventions de ceux qui prétendent diriger l’Algérie et gouverner son peuple, on demeure accablé par la tragique actualité du jugement qu’il portait sur leurs lointains prédécesseurs.
Dépositaire des reliques du mouvement rationaliste musulman, qui inspira l’émergence puis la domination universelle de la science musulmane durant cinq siècles avant de succomber sous les persécutions de théologiens incultes et inféodés au pouvoir, Al-Afghani a été le premier penseur musulman à faire le lien entre l’hégémonie scientifique et la domination politique. Par l’acuité des analyses que lui inspirait l’expansion du colonialisme au XIXe siècle et l’impuissance tragique des peuples conquis à s’y opposer, il s’est vite attiré les inimitiés irréductibles des «savants» musulmans, dont l’inculture et l’hermétisme les contraignaient à toujours reproduire sans jamais innover, exactement comme le faisaient les communautés qui résistaient à la Révélation islamique au nom des traditions de leurs pères.
C’est parce qu’il dénonçait inlassablement l’ignorance des «ulémas» et l’interprétation rétrograde de l’islam qu’ils élaboraient pour justifier la confiscation du pouvoir par leurs commanditaires qu’Al-Afghani a été contraint à une vie de lutte et d’errance. Tout naturellement, ses combats les plus irréductibles lui ont été imposés non par ses contradicteurs coloniaux(2), mais par ceux-là mêmes qui se prétendaient les gardiens de l’orthodoxie. Car, en proclamant que «celui-là qui se dit âlam peut passer une nuit à lire le Coran à l’aide d’une chandelle, sans jamais se demander par quel moyen la flamme produit la lumière»(3), Al-Afghani a remué le couteau de la raison dans la plaie de l’ignorance.
Plus d’un siècle après sa mort, la science est toujours étouffée «sous les broussailles des discussions théologiques»(4), comme il le déplorait alors, et les bonimenteurs ignares qui enduisaient l’ancien Président de leur onction, et continuent de sévir sur certaines chaînes de télévision, sont les mêmes qui accusaient Ibn Rochd, Ibn Sina et Al-Afghani d’hérésie.
C’est pourquoi, s’il est possible qu’un vaccin contre le Covid-19 soit trouvé un jour bientôt, il est acquis que ce ne sera pas grâce à ceux qui sont «heureux comme d’un privilège de ce qui fait leur infériorité».
M. B.
(1) «Discours sur enseigner et apprendre», conférence à Calcutta (1882).
(2) Voir sa controverse avec Ernest Renan en mars 1883 en réponse à «Islamisme et science».
(3) «Discours sur enseigner et apprendre», conférence à Calcutta (1882).
(4) Réponse à Ernest Renan.
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