Pourquoi le Wall Street Journal a-t-il fait appel au théoricien Henry Kissinger ?

chaos Kissinger Wall Street
Henry Kissinger, père de la théorie du «chaos créateur». D. R.

Par Ali Akika – Wall Street, temple de la finance internationale, a ressenti le besoin de connaître le diagnostic d’Henry Kissinger, un expert des rapports de force politiques dans le monde. Cette démarche n’est pas due au hasard. Wall Street sait que ses grands économistes-mathématiciens n’ont pas forcément la culture historique de Kissinger, véritable gourou de politique internationale et adepte de la théorie du «chaos créateur». Ce ne sont donc pas les habituels «experts» qui ignorent que c’est le politique qui commande l’économique qui vont nous apprendre ce que cache la théorie de ce «chaos créateur». Kissinger a eu l’occasion de mettre en pratique cette fameuse théorie. Celle-ci consiste à terroriser l’ennemi pour l’amener à la table des négociations. L’ancien secrétaire d’Etat américain sous Richard Nixon et Gerald Ford, l’a appliquée au Vietnam mais, hélas pour lui, le valeureux peuple vietnamien se chauffe d’un autre bois que celui des Etats-Unis. Le Vietnam a chassé par les armes les troupes américaines et l’ambassadeur américain avait eu juste le temps de fuir Saigon en hélicoptère.

Dans sa tribune au Wall Street Journal, Kissinger cultive son esprit d’homme érudit doublé de son statut d’historien. Notre personnage s’est ainsi exprimé dans le prestigieux média américain non pour ressasser le refrain des théories économiques que beaucoup prennent pour la Bible. Qui mieux que Kissinger peut fournir la bonne analyse de la primauté du rapport de force politique entre nations ? Les exemples de cette primauté ne manquent pas et le grand public en a découvert la réalité quand il a vu des Etats se conduire en «braqueurs» en s’emparant de commandes de masques à même le tarmac des aéroports. Mais ce braquage se fait «naturellement» au nom de la politique quand un Etat, parce que puissant, se donne le droit de mettre sous embargo un pays tiers. Il peut aussi menacer la navigation dans un détroit où passent des approvisionnements vitaux, etc.

Voilà ce qui se lit entre les lignes de l’analyse de Kissinger. Cependant, il ne dit pas grand-chose du système qui est à l’origine des bouleversements en cours. Certes, il reconnaît que son pays perd de sa superbe, de toute-puissance, mais il «nous» invite à tirer un trait sur le passé, notamment sur celui de la grande responsabilité de son pays dans les guerres, dans le monopole du dollar qui alimente l’inflation mondiale, dans le détrônement des lois internationales au profit du moindre petit tribunal américain, etc. C’est pourquoi il est difficile, au regard du système dominant, de se contenter de «corriger» les excès de la mondialisation pour que tout rentre dans l’ordre. Ceux qui n’ont pas la mémoire courte se rappellent des sourires narquois adressés à ceux qui critiquaient la mondialisation organisée par le capital financier. Ce dernier, pour laisser la tempête passer, peut faire des concessions à la marge, mais ne peut tourner la page de l’essence, de la raison d’être du libéralisme.

La crise actuelle, révélée par le Codiv-19, a mis le doigt sur des contradictions du système. Ces contradictions ont fait remonter en surface quelques «problèmes dérangeants». Ramener les usines délocalisées sur le territoire de la mère patrie. Cependant, le problème n’est pas une question de passage d’un poste de douane à la frontière. Le problème, c’est le libéralisme dont la religion s’appelle le profit. Il a fait émigrer ses usines pour maintenir ses profits de plus en plus rongés par une féroce concurrence internationale (1). Dans ce système, un produit fabriqué est évalué selon le travail socialement nécessaire à sa production. Il est facile de «comprendre» un patron qui veut produire ailleurs une marchandise coutant 2 dollars pour la vendre chez lui cinq à dix fois plus cher. (2). En réalité, les réunions des banquiers, des ministres des Finances et le recours au gourou Kissinger sont motivés par le brouillard qui bouche l’horizon.

Le monde de demain devra faire face à la fois à une récession – fermeture d’usines et ralentissement de l’activité économique – et possiblement à une inflation monétaire. Les monstrueuses sommes en dollar mises sur le marché pour faire face à des urgences sans contrepartie de produits fabriqués risquent de se transformer en monnaie de singe dont les victimes seront les classes populaires. Pensons à l’image des soupes populaires que l’on voit dans le film de Charlie Chaplin sur la crise de 1929, Les Temps modernes, tourné en 1936 !

Jusque-là, l’humanité exploitée est ignorée dans la solitude de sa misère pendant qu’une infime minorité continuait son petit bonhomme de chemin comme si de rien n’était. Mais, aujourd’hui que la mort rode et ne s’arrête pas devant quelque muraille protectrice, on fait appel à tous les cerveaux pour trouver les moyens de sortir de l’impasse. La mondialisation a fait monter en surface quelques «inconvenances» que l’on confinait dans un tiroir à double clés. Elle a même accentué le péché mignon du capitalisme «traditionnel». Ce dernier porte en lui un rapport au temps bien singulier qui explique la frénésie du profit tout de suite, frénésie mesurée par la Bourse qui joue au yoyo selon les vents de la météo politique.

Ce rapport au temps a été théorisé par Keynes pour qui le long terme n’existe pas. Ainsi, l’économie de marché ne connaît que le court terme. Le «mépris» du long terme risque de faire surgir des obstacles infranchissables. Jusqu’ici, le système a surfé avec «aisance» dans l’océan de la mondialisation qui avançait comme un tsunami. Résultat, casse du marché du travail (intérim, CDD), droit du travail raboté, abandon de certaines infrastructures (santé, recherche, logement).

Dans le marché de l’emploi, le capitalisme a introduit de gigantesques innovations pour s’adapter à toute forme de travail. Il a «organisé» la circulation du travail d’un secteur à un autre. On est passé du paysan derrière sa charrue au jeune fringant derrière son ordinateur à la start-up. Le surplus de main-d’œuvre d’un secteur est dirigé vers à un autre – agriculture, industrie, services. Comment va-t-il réagir à l’arrivée des enfants de l’intelligence artificielle, ces robots corvéables à merci qui ne feront jamais grève ? On ne cerne pas encore les problèmes de ce futur secteur. On sait, en revanche, que tout système qui accumule des contradictions en son sein se met en danger si ces contradictions sont ignorées ou mal «digérées».

Les rapports sociaux archaïques ou bien les nouveaux rapports de la «modernité» de l’exploitation – mobilité sociale et/ou géographique – sont des grains de sable qui menacent «l’harmonie» et la cohésion sociales recherchées pour la perpétuation du système. La tribune de Kissinger dans le Wall Street Journal survole tous les problèmes qui se dressent devant le système en place, mais les solutions semblent bien minces au regard des tâches titanesques que cela implique en réalité. Kissinger est, bien entendu, convaincu que le remède réside dans la démocratie libérale. Il fait une petite critique de la «grandeur» de celle-ci et suggère que les dirigeants devraient se préoccuper plus du bien-être des populations. Il oublie l’intelligence dont il fait preuve dans la dialectique qui régit les relations internationales, mais reste très poli quant à la dialectique gouvernants/gouvernés. Je n’utilise pas le rapport Etat/peuple car, dans son pays, ces notions dans leurs liens avec l’histoire sont caduques.

Terminons avec une note optimiste : pensons que dans le pays de Kissinger et dans tous les pays, il est un autre monde qui travaille à mettre au grenier les rengaines du vieux monde. Chez nous, le Hirak a commencé à dépoussiérer le paysage politique. Mais il reste tant à faire dans tous les domaines, politique, économique, culturel et relations sociales, pour affronter, en plus de la crise interne et les effets du coronavirus, les retombées sur le pays de la crise très sévère annoncée dans le monde dit très développé.

A. A.

(1) En économie politique, il existe la loi de la baisse tendancielle du profit. Il ne reste au capital qu’à «grignoter» la plus-value des producteurs des richesses, augmenter la productivité en faisant appel aux machines et, enfin, aller à la conquête des marchés et battre la concurrence.

(2) Travail socialement nécessaire qui se mesure selon le degré de développement d’un pays. Un entrepreneur a intérêt à produire dans un pays «pauvre» et revendre son produit dans un pays riche, 3, 4 voire 5 fois plus cher.

 

Comment (11)

    Rayes Al Bahriya
    13 avril 2020 - 10 h 29 min

    Le Hirak est la grande meduse sans
    Leader, elle gise partout mais elle n’est nulle part..
    C’est comme le cosmos sans etoiles…
    Enfin… Qui Singer en 2020 ?
    Pas Kissinger en tout cas…!

    Anonyme
    13 avril 2020 - 2 h 30 min

    La seule raison c’est qu’il appartient à la race des intelligents et capables bédouins.

    Mouanis
    12 avril 2020 - 19 h 27 min

    Kissinger ? Ce type, coqueluche des médias américains (WSJ et NT) qui se sont couverts de ridicule en gobant et en relayant les mensonges des néo conservateurs américains, pour détruire l’Irak, est une infamie (sur)vivante. Il fait l’objet de dizaines de plaintes dans le monde pour crime de guerre et doit de n’être pas en prison uniquement parce que les USA ont imposé une mise en quartier de leurs dirigeants et de leurs soldats, qui les exonère des crimes de guerre qu’ils commettent.
    Quant à ses compétences en matière de théorie économique, je me contenterai de rappeler qu’il a été le principal soutien des « Chicago boys » qui, sur la base de la théorie monétariste de Milton Friedman, un autre grand « humaniste » et grand ami de Pinochet, a inspiré la politique économique du Chili de la dictature. Politique dont les fondements exigent la neutralisation de toute velléité démocratique. Enfin, ce n’est pas pour rien que le proconsul américain Bremer, ancien collaborateur de « Dear Henry » a déclaré 1 mois après son arrivée en Irak que le pays été « ouvert » aux affaires. On sait ce qu’il en a été. Le jour où on l’enterrera, on enterrera également l’un des plus grands criminels de guerre du 20ème siècle (Cambodge, Laos, Vietnam, Chili et inspirateur du réseau Condor destiné à empêcher l’émergence de tout régime démocratique en AMSUD) l’une des plus remarquables figures de l’abjection déguisée en magistère universitaire.

    Souk-Ahras
    12 avril 2020 - 16 h 34 min

    « La tribune de Kissinger dans le Wall Street Journal survole tous les problèmes qui se dressent devant le système en place, mais les solutions semblent bien minces au regard des tâches titanesques que cela implique en réalité. »
    On réunit des supposés experts appartenant à des espaces de compétences diversifiées, on sollicite de leur part la formulation d’idées la moins retenue, la plus débridée, où on proscrit l’autocensure, c’est-à-dire tout jugement lié à l’intérêt et au gain, à la rationalité, au réalisme économique ou aux possibilités de mise en pratique de la dimension humaine à tenir en compte et, à partir des échanges qui en résultent, on se met en position d’accueillir l’inédit, l’imprévisible et même le scandaleux. C’était là, une manière significative de Wall Street (bourse) de voler au secours du « chaos créateur ».
    longtemps, on a rêvé d’une compréhension du monde qui le traduirait comme une machine bien réglée, dans laquelle les causes produiraient des effets jamais ambigus, dans laquelle le temps n’aurait aucune importance, dans laquelle tout s’enchaînerait avec une nécessité et une régularité indéfectibles. Et puis, il a fallu déchanter et… désenchanter le monde : les choses ne sont pas si simples, même Newton aurait dû l’admettre. Il y a des causes qui produisent des effets sans commune mesure avec elles ; le temps est une flèche dont la trajectoire est irréversible ; la réalité peut se révéler statistique et nous obliger à penser que le hasard est au principe des choses elles-mêmes ; l’humain se révèle infiniment plus compliqué que la matière des physiciens et on ne peut l’abstraire des objets qu’ils étudient.
    Dans sa tribune du Wall Street Journal, Kissinger avoue lamentablement que le « chaos créateur » était une forme de domination « bordélique » incontrôlable et reconnaît à demi-mot que les systèmes dynamiques sont difficilement prédictibles, que le monde n’a pas une prédictibilité déterministe, et que et surtout, la dimension humaine doit être au centre de tout changement ainsi que de toute orientation économique.

    Vous m'étonnez...!
    12 avril 2020 - 15 h 03 min

    « Pourquoi le Wall Street Journal a-t-il fait appel au théoricien Henry Kissinger ? ».
    Vous êtes vraiment sérieux ? Sincèrement, vous m’étonnez !
    W.S.Journal papelard de la haute finance mondiale satanique qui fait appel au « théoricien » H.K. premier et ardent défenseur de cette même haute finance mondiale satanique cela vous étonne ? Quoi de plus « normal » ? Décidément, ça vole au raz des pâquerettes chez vous…
    W.S.Journal a fait appel à son Docteur FOLL AMOUR pour nous faire passer la baguette par (…) ! That’s all…
    Cet « homme » est LE PLUS GRAND PREDATEUR QUE L’HUMANITE AIT CRÉÉ depuis son apparition sur cette terre.
    Mais bon sang de bon sang ! Comprenez que RIEN NE CHANGERA… ABSOLUMENT RIEN NE CHANGERA APRÈS QUE LE CORONA VIRUS COVID-19 AIT DISPARU et si encore on a la « chance » d’en sortir « vivant »…
    Capiche ?

    [email protected]
    12 avril 2020 - 14 h 41 min

    On n’empêchera jamais l’homme de faire de l’ « hommerie », si ce n’est pas ceux-là, ça sera d’autres.
    Et le rêve a toujours fait partie aussi du décor, l’un des plus beaux moteurs, ou incitatif.

    Abou Stroff
    12 avril 2020 - 13 h 58 min

    le théoricien kissinger n’a de théoricien que le nom.
    en effet que l’on mette à ma disposition la puissance yankee et on reconnaîtra, sans nul doute, que je suis le meilleur « expert des rapports de force politiques dans le monde » que le monde, depuis l’homo-erectus, ait connu.
    quant aux élucubrations du gus, elles se résument à trouver la meilleure sortie possible au capital financier mondial qui, depuis les années reagan-thatcher, nous raconte que la mondialisation néolibérale produit le meilleur des mondes possibles.
    conclusion d’un néophyte en matière d’expertise dans les rapports de force politiques dans le monde. le capitalisme en tant que système va se restructurer (la domination du capital financier mondial et de l’idéologie néolibérale qui l’accompagne ont vécu leurs heures de gloire) par la mise en exergue, et ceci, contrairement à l’idéologie néolibérale, de la nécessité pour l’Etat national d’intervenir dans la sphère productive. et cette restructuration constituera le prélude à un nouveau cycle de développement (où la préservation de la nature sera peut être mise en avant pour que la marchandise se vende bien).
    quant au destin de la formation sociale algérienne, reconnaissons que nos augustes dirigeants, incompétents notoires dans tous les domaines, ne peuvent que jouer aux illusionnistes et aux vendeurs de chimères avec l’appui certains de charlatans, du genre bonatéro, chemsou, etc. au fait, qui a dit que la religion était l’opium du peuple.
    PS: kissinger est, d’abord et avant tout un vil assassin.

    Sarah
    12 avril 2020 - 12 h 40 min

    Faire appel à un des investigateurs du chaos mondial est un comble en effet. Suffit de lire son ouvrage satanique nommé Le grand échiquier pour comprendre le degré de folie qui hante ces monstres

    1commentaire
    12 avril 2020 - 12 h 20 min

    Leurs stratagème et périmé ils sont eux aboie rien ne sera plut comme avant la donne à changer le monde à ouvert les deux yeux Kisssenger le Sioniste aux archive

    Fellag II
    12 avril 2020 - 11 h 30 min

    Pour l’Amérique c’est bon ils ont trouvé monsieur Henry Kissinger,pour l’Allemagne pareil ils ont Madame Angela Merkel;reste l’Algérie l’Algérie elle hésite entre Messieurs Bonatéro et Amar Saidani,on espérant qu’ils choisissent le bon

      Anonyme
      13 avril 2020 - 7 h 39 min

      Et les mokokos qu ont ils trouve, PD6?

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