Les nazis en Algérie ou quand l’ALN affrontait les chiens de guerre allemands

ANP Algérie
La Légion étrangère française compte des néonazis dans ses rangs. D. R.

Par S. Bensmail – Signe des nouveaux temps de réactivation de l’esprit colonial ou simple coïncidence chez les libraires ? Des ouvrages sur la Guerre d’Algérie – principalement des témoignages de soldats engagés sans états d’âme – sont présentés à la Fnac et dans d’autres grandes librairies à côté de livres traitant des conflits actuels en Afghanistan, en Libye et au Moyen-Orient en général. Cette volonté du secteur de l’édition, mais aussi de l’industrie du film et des médias, d’assumer ce qui a été commis comme dévastation coloniale des pays et des êtres correspond-elle à un changement de cap, un nouvel effort de propagande visant l’opinion publique pour les guerres actuelles et à venir ?

Deux d’entre eux ont retenu mon attention, et montrent une militarisation des esprits. Il s’agit de Commandos de chasse, les embuscades en Algérie ou les têtes chercheuses du Général Challe, de Pierre Cerutti, et Pour la gloire du fanion, 1951–1991, un légionnaire allemand au service de la France, du major Horst Roos.

Des Commandos de chasse aux ex-soldats nazis de la Légion étrangère. Alors que le premier ouvrage met en avant cette réorganisation mortelle de l’armée française pour lutter contre les kataieb de l’ALN, avec le lancement des commandos spécialisés (qui ont fait régner la terreur), le second indique dès le début, et sans gêne, la germanisation et la nazification de la Légion étrangère de Sidi Bel-Abbès après 1945. En guise de préface titrée «Képis blancs», on y lit, en effet, sous la plume de P. Dufour : «Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’afflux des candidats d’origine germanique à la Légion étrangère modifia sensiblement l’orientation socioculturelle de cette institution. De nombreuses importations linguistiques apparurent, le comportement se fit plus rigide et la tradition légionnaire s’enrichit de nombreux chants d’origine germanique dont les chants des 1er et 2e REP et le Panzerlied qui a été intégré au carnet de chant de la Légion étrangère avec d’autres paroles sous le titre Les képis blancs par les volontaires français de la LVF et de la division Charlemagne sur le front de l’Est, engagés plus tard dans la Légion.»

Celui-ci rappelle aussi, page 13, la dureté des combats et des opérations en Algérie : «Roost et ses camarades font leur métier, consciencieusement, efficacement, selon les critères de la Légion étrangère, mais le fellagha n’est pas le Viet ! a coutume de dire le sergent Roost nommé au mérite. La transition entre l’Indochine et l’Algérie est une période difficile pour la Légion étrangère.»

Le major Roost se remémore aussi, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, avoir vu des colonnes motorisées alliées traversant son village et parlant allemand, et avec lesquelles il s’entendait bien – comme les autres de son âge adolescent. S’agissait-il uniquement de combattants français de l’Alsace Lorraine ou véritablement de soldats vaincus de la Wehrmacht et très vite incorporés dans les rangs alliés – et dont la discrétion évitait d’en donner la nationalité ?

Lors de la dernière commémoration du 20 Août 1955, les anciens moudjahidine se sont peut-être rappelé la participation de ces anciens soldats de la Wehrmacht allemande au sein de la Légion étrangère – qui les pourchassaient dans les montagnes et les rivières. Au prix d’une virginité refaite – compensation officielle du mercenariat pour la France –, ces anciens militaires nazis n’ont pas refusé l’offre d’une armée de plus en plus impliquée dans ce qu’on appelait pudiquement «les évènements d’Algérie». Et l’on peut imaginer sans peine les premières surprises du commandement de l’Armée de libération nationale – ou celui des résistants de l’Indochine : «A la fin de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux prisonniers de guerre allemands se sont engagés dans la Légion étrangère, et ont été envoyés directement en Indochine pour lutter contre le Vietminh. On estime leur nombre à 20 000 ou 30 000 soldats, sur un contingent de 70 000 hommes. Parmi eux, entre 8 et 10% étaient des Waffen-SS qui cherchaient à se faire oublier. Ainsi, 2 600 Allemands sont morts pour la France lors de cette guerre d’indépendance.»

Triste ironie du sort : certains de ces combattants algériens ont, en effet, constaté la présence de ces chiens de guerre allemands qu’ils avaient déjà combattus en Europe, avec leurs officiers français, dans les années 1943-1945.

L’ennemi de mon ennemi n’est pas toujours mon ami

Un ancien de la Guerre d’Algérie, Henri Pouillot, confirme : «Dès les années 1950, la Légion recrutera massivement en particulier pour faire face aux guerres coloniales qu’allait engager la France en Indochine puis en Algérie. Dans les années 1950-1955, les effectifs se composent de près de 50% d’Allemands d’origine dont de nombreux Waffen SS qui trouvent ainsi un refuge, mais qui avaient acquis une formation. Il y avait aussi environ 20% d’origine autrichienne, italienne, suisse, etc., et le reste de nationalités diverses. En Algérie, la Légion étrangère a été essentiellement utilisée pour effectuer le sale boulot. Elle avait acquis une réputation de sanguinaire, de têtes brûlées. Pendant la période de la Bataille d’Alger, principalement avec le 1er REP, elle se distingua tout particulièrement, laissant pour longtemps une image terrible dans la population algéroise.»

Loin d’être marginal, cet aspect du recyclage de criminels de guerre nazis par la France et, en général, les Alliés, et le maintien de leurs entreprises coloniales est un tabou de l’histoire contemporaine des vainqueurs. Les historiens ont du mal à traiter cette partie obscure de la fin du conflit, tant les dangers pour leurs carrières et les subventions sont grands.

Plus incroyable encore, et sans que cela n’émeuve les cercles bien-pensants ici – pourtant prompts à réagir durement –, Roost et Dufour nous apprennent aussi qu’un chant militaire nazi est toujours repris officiellement dans un régiment de blindés et la Légion étrangère. Le Panzerlied est l’un des plus célèbres chants militaires allemands de la Wehrmacht. Il a été composé en juin 1933 par l’oberleutnant Kurt Wiehle (…). Wiehle a repris l’air d’une chanson de marins, en y mettant des paroles plus appropriées à la Panzerwaffe. Actuellement, ce chant est toujours en usage dans la Bunderweher ainsi que dans les forces armées autrichiennes. En France, le 501e régiment de chars de combat l’a adopté en tant que «Marche des chars».

Des chants militaires nazis sont donc chantés de nos jours par des unités en France et en Europe.

Ajoutons à cette découverte pour le moins embarrassante, le phénomène de plus en plus préoccupant de l’adhésion d’une partie non négligeable de soldats, sous-officiers et officiers de l’armée allemande, mais aussi d’autres armées culturellement proches, notamment en Autriche et en Suisse, aux idées ultranationalistes et faisant la promotion du nazisme. Cette dérive est évidemment minorée par les commandements et les gouvernements concernés. Selon l’hypocrisie et le cynisme habituels, à chaque fois qu’une unité de combat plus ou moins spéciale arbore sur le terrain des drapeaux ou insignes nazis, les autorités militaires comme politiques concernées communiquent sur «une plaisanterie de mauvais goût (…) qui ne relève pas du néonazisme».

En France, la progression de l’extrême-droite dure et du «suprématisme blanc» au sein de certaines unités militaires commence aussi à filtrer. Evoqué par le journaliste et polémiste Eric Zemmour, le projet de nettoyage des «banlieues musulmanes» qui aurait été préparé en secret par une partie de l’élite de l’armée de terre (au moins) semble, en effet, confirmé par d’autres témoins plus directs. L’un d’entre eux, Stan Maillaud, ancien sous-officier des forces spéciales, a tiré la sonnette d’alarme à ce propos, via des réseaux sociaux et des plateformes vidéos, et appelé ces camarades à déjouer cette tentation mortelle.

Il suffit – comme le fait un de mes amis, Alain – de fréquenter les cercles d’officiers des troupes d’élite, REP ou RIMA, l’infanterie de marine qui a beaucoup œuvré pour la conquête et le maintien de la colonisation, toujours influents et rassemblant les anciens à ceux de l’active, pour s’apercevoir que les propos stigmatisants ou racistes du Front national sont bien en-deçà de ce qui s’y dit ici et là.

Guerre froide oblige, dans l’opération de recyclage post-mai 1945, de part et d’autre des deux blocs, soviétique et occidental, les savants et les scientifiques nazis rescapés ont, eux aussi, été largement réutilisés, issus des secteurs sensibles – aérospatiale, défense et armement, chimie, nucléaire, etc. L’essor de la France dans ces domaines est loin d’être étranger à ce genre de recrutement, sous la houlette du général De Gaulle qui cherchait – ce fut bien le dernier – les moyens de son indépendance politique, économique et militaire face aux Anglo-Saxons.

Plus occulté encore, nombre de politiciens et de décideurs, parfois de premier plan, ont été issus de l’appareil nazi ou des réseaux locaux de collaboration, en Allemagne, en Autriche, en France et dans d’autres pays libérés en 1945 – et même dans l’ex-URSS. François Mitterrand, par exemple, s’est distingué dans le gouvernement pronazi de Vichy pour, ensuite, s’occuper du ministère de l’Intérieur à Paris, et signer sans état d’âme l’ordre d’exécution de plus de 300 condamnés à mort algériens. La mise en spectacle du procès de Klaus Barbie ou de Maurice Papon, à l’initiative de la famille Klarsfeld et d’autres associations influentes, avait-elle pour but l’effacement de cette collaboration honteuse d’une partie de l’élite française, dont Henri Amouroux ? En tout cas, c’est bien cette même élite qui mobilisa, par la suite, la classe ouvrière – et ce qui resta de la paysannerie – dans les guerres coloniales, la répression des populations métropolitaines, tout en impulsant le réarmement face à l’URSS – pourtant vrai libérateur de l’Europe.

Cet usage des «classes laborieuses», doublée d’un conditionnement des catégories dites supérieures – les plus complaisantes et les plus perméables à la propagande droit-de-l’hommiste et guerrière –, se poursuit aujourd’hui sous d’autres formes, plus massives, plus pernicieuses aussi, face à une Russie diabolisée et régulièrement provoquée.

S. B.

Comment (14)

    Wolf Albes
    15 juillet 2020 - 9 h 47 min

    Très intéressant, votre article. Cependant, certains aspects étaient déjà biens connus. Vous avez quand même oublié de signaler que presque tous les « souvenirs » et « mémoires » de légionnaires allemands concernant la guerre d’Algérie (parus en Allemagne) ont été écrits par des jeunes légionnaires allemands qui avaient à peine 18 ans quand ils se sont engagés en 1955 (et plus tard encore). Des nazis ? D’anciens SS ? Certainement pas, et, connaissant leurs récits, je dirais même tout le contraire de SS ou de nazis. Si cela vous intéresse, vous pouvez consulter les traductions de que j’ai faites de certains extraits sur mon site http://www.editionatlantis.de (voici le lien direct pour le PDF : http://editionatlantis.de/wordpress/wp-content/uploads/publinks/Wolf%20Albes%20-%20La%20guerre%20dAlg%C3%A9rie%20vue%20par%20six%20anciens%20combattants%20allemands%20de%20la%20L%C3%A9gion%20%C3%A9trang%C3%A8re%20-%2023%2004%202020.pdf)
    Ce sont des extraits qui donnent des informations extrêmement intéressantes sur les aspects religieux de cette guerre et qui ont été partiellement intégrées dans le dernier livre de Roger Vétillard qui s’appelle « La guerre d’Algérie, une guerre sainte ? » paru aux éditions Atlantis.
    Je suis d’ailleurs allé en Algérie en 1990 et j’en garde un excellent souvenir. Quel beau pays ! Vous avez de la chance d’y vivre !
    Et pour vous rassurer : mon père, un résistant acharné au régime nazi, a été jeté en prison et envoyé dans un bataillon disciplinaire ; il a dû déserter pour échapper à son exécution…

    Socrate
    14 juillet 2020 - 11 h 07 min

    La Russie « vrai libérateur de l’Europe » ? Vous direz cela aux Polonais, Hongrois et autres baltes et vous verrez comme vous serez reçu !

      anonyme
      14 juillet 2020 - 16 h 57 min

      Relisez l’histoire de la Russie et vous verrez comment les « Polonais, Hongrois et autres baltes » ont toujours agressé la Russie et surtout comment ces pays ont fourni d’excellents SS !

        Le président
        14 juillet 2020 - 18 h 36 min

        Pour certains germanophones parmi eux ont rejoint l’ALN , as t’on oublié Slimane Hoffman devenu après l’indépendance Wali, Ministre et patron………..du FLN ? N’était il pas un ancien Nazi recyclé ?

      Soraya
      19 juillet 2020 - 16 h 36 min

      La Russie a aider fortement a libérer l’Europe des Nazzis par le franc East Churchill et Eisenhower on compter sur l’aide le la Russie, « il faut rendre a césar ce qui revient a Cesar ». Mais la Russie a fait payer très cher ses efforts, les Polonais et les Hongrois et les Allemands ont un mauvais souvenir..

    Selecto
    13 juillet 2020 - 22 h 31 min

    IL faut pas généraliser car il y avaient des légionnaires Allemands qui désertaient la légion pour rejoindre l’ALN, beaucoup sont morts aux combats et d’autres ont été exfiltrer par les frontières est pour renter chez eux via la Tunisie grâce aux réseaux du FLN.
    Dans la Wilaya 1 il y avait un célèbre artificier connu sous le nom d’Ali l’Allemand son responsable était Tahar Zbiri.
    Il y avait aussi un légionnaire qui s’appelait Muller d’origine Autrichienne qui a créer un réseaux au sein même des casernes pour faire évader des dizaines de légionnaires Allemands et Autrichiens, (…)

    Enfin pour rappelle, le père de Sakozy était volontaire dans la légion étrangère de Sidi Bel Abesse a l’ouest du pays.

      Soraya
      19 juillet 2020 - 16 h 41 min

      Mais cette histoire doit être écrite aujourd’hui pour ne pas disparaitre a jamais dans la mémoire des anciens.

    Hmed hamou
    13 juillet 2020 - 19 h 30 min

     » Triste ironie du sort : certains de ces combattants algériens ont, en effet, constaté la présence de ces chiens de guerre allemands qu’ils avaient déjà combattus en Europe, avec leurs officiers français, dans les années 1943-1945. »!! Quelle expression!  » ces chiens de guerre allemands »! Le pire c’est ceci : « … qu’ils avaient déjà combattus en Europe, avec leurs officiers français, dans les années 1943-1945. »! Eux ces des chiens car ils sont venus se battre chez nous…avec leurs officiers français ! Les même officiers que ceux des nôtres ?ce serait l’ironie de l’ironie ! Et que fait les nôtres d’abord en europes ? En Allemagne ? En Indochine ? Qui est allé se battre sur les terres des autres en premier ? Ont ils le droit de qualifier les notres (qui se sont battus la bas) avec le même qualificatif? Ah oui, nous on est obligé (tous ?), les allemands étaient volontaires, des mercenaires, ils n’étaint pas obligé, au moins économiquement?

    N’importe quoi !

      Algérien
      13 juillet 2020 - 23 h 58 min

      L’incorporation des Algériens par les Français dans les guerres étaient forcée même Mustapha Benboulaid et le colonel Amirouche et milliers d’autres ont fait la deuxième guerre mondiale dans l’armée française.

      Abdel
      14 juillet 2020 - 17 h 15 min

      @ Hmed Hamou
      13 juillet 2020 – 19 h 30 min
      Vous semblez ignorer certaine situation cher ami,
      il faut savoir que notre pays était un département français et par voix de conséquence, l’armée était obligatoire au même titre que les français de souche,
      mais à cette époque, je ne peux m’avancer pour confirmer cet état de fait, mais après la deuxième guerre mondiale, beaucoup d’algériens étaient sous le drapeau français pour faire le service militaire obligatoire, en cas de refus, d’abord vous avez la prison car vous êtes considérer comme déserteur et vous faite quand même votre service militaire avec quelques mois supplémentaires, entendre par là partir en guerre le cas échéant si bien que même pendant notre révolution, certains des nôtres étaient des appelés de l’armée coloniale.
      Je suis d’accord avec vous pour les algériens qui sont partis volontairement combattre auprès des afghans contre les russes et égyptiens contre les sionistes, on connait le résultat de que ça donné avec les afghans, ils sont devenus des monstres au retour mais fière comme si ils étaient devenus des doctorants en sciences et savoirs.
      Pour les égyptiens, vous connaissez aussi la suite.

        @Massen.Soraya
        19 juillet 2020 - 17 h 11 min

        Tout a fait d’accord, c’est facile de parler une soixante dizaine années après la guerre. La France était une puissante autorité comme l’est le régime aujourd’hui en Algérie. Demain si les terroristes prennent le pouvoir on sera tous des harkis, puis des gens vont écrire c’est des traitres ceux qui ont accepté de faire parti de l’Armée Algérienne de 2020. Les Targuis sont restés pauvres tandis que les ressources extraites de leur sous-sol profitait au nord et au régime, l’histoire politisée va entrer dans les livres scolaires et deviendra la réalité.que des générations d’enfant vont absorber.

    Djaffar Ben
    13 juillet 2020 - 16 h 11 min

    Bravo Monsieur Bensmail ! Pour le contenu et la qualité d’écriture de ce texte. Mais auriez vous l’obligeance de le faire parvenir à Boualem Sansal, auteur du Village de l’Allemand ?

    Anonyme
    13 juillet 2020 - 11 h 52 min

    Çà alors,! Douce France…!

    RAYES AL VHOUUR
    13 juillet 2020 - 11 h 51 min

    Comme bcp des ouled franssa etaient de leurs rangs..
    Extreme droite anti humaniste..
    Vichyste…notoirs…
    Ils se comportent comme les pieds noirs , et mm pire..jaloux de leurs freres..
    salauds ds le sang ….

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