«Gerboise bleue» : les folies nucléaires françaises génocidaires en Algérie
Par Khaled Boulaziz et Kaerdin Zerrouati – «Dans notre sommeil profond, une douleur qui ne peut être oubliée tombe goutte à goutte sur notre cœur meurtri jusqu’à ce qu’au fond de notre désespoir et contre notre propre volonté, une sagesse lénifiante nous submerge par la grâce incandescente du Seigneur.» (Robert F. Kennedy, homme d’Etat américain, 1925-1968). Il y a soixante ans, les autorités d’occupation françaises en Algérie déclenchèrent l’opération «Gerboise bleue» : la première explosion nucléaire aérienne dans le Sahara. Elle sera suivie de 3 autres dans le site de Reggane dans le sud-ouest de l’Algérie, puis par 13 autres dites «confinées», dans le cœur rocheux de la montagne d’In Ekker, dans la région de Tamanrasset.
L’explosion de Gerboise bleue, dont la puissance à l’époque avait été estimée un premier temps à 13 kilotonnes, puis déduite par l’ingénieur en chef Yves Rocard (le père de Michel Rocard) à environ 60 kilotonnes, a projeté le jour J des radiations sur l’ensemble d’une zone elliptique de 200 km de large pour 100 de long à l’est de Reggane, alors que les zones habitées les plus proches étaient à peine 70 km.
Le lendemain, le nuage radioactif s’étendra au sud-est pour englober des régions aussi éloignées que Tamanrasset et même N’djamena ainsi que la plupart de l’est du Niger et du nord du Tchad. Des milliers de civils subirent à l’époque une irradiation à des degrés divers. Des régions entières dans le plateau du Hoggar restent jusqu’à aujourd’hui inaccessibles comme le périmètre d’In Ekker.
Certains peuvent crier à la folie criminelle ou à l’irresponsabilité de la France dans sa gestion de sa course à l’armement nucléaire, mais ce qui va suivre dévoilera une facette méconnue de cette morbide saga atomique française. Saga qui failli à plusieurs reprises tourner à la véritable catastrophe, allant du terrorisme nucléaire et la prolifération anarchique à l’utilisation abusive et injustifiée de bombes atomiques, aggravant le risque sur les populations.
Premier exemple : «Gerboise blanche» le second essai français à Reggane qui a eu lieu le 1er avril 1960, soit dans la foulée de Gerboise bleue, n’a été déclenché qu’à cause d’un agenda diplomatique français.
La bombe, qui n’en était pas une, n’était que l’assemblage à la va-vite de restes de plutonium non utilisés de la première explosion. Sans aucun intérêt scientifique, ni technique, elle ne servit qu’à «gérer» la visite à Paris de Nikita Khrouchtchev, premier secrétaire du Parti communiste soviétique et à montrer l’intransigeance du général De Gaulle d’adhérer au moratoire sur les essais atomiques aériens et prouver par là même l’existence de sa «troisième voie» qui n’était ni celle de l’URSS ni celle des Etats-Unis. Il est à relever que 150 prisonniers algériens avaient été utilisés comme cobayes humains lors de cet essai.
Le second épisode, assez peu connu, a été qualifié par les théoriciens américains de la dissémination nucléaire comme un cas d’école et nous renvoie à un épisode important de la Guerre d’Algérie, qui est celui du Putsch des généraux.
Nous sommes en avril 1961 et la préoccupation des atomistes français est la miniaturisation de leur bombe A et sa mise en paire avec le programme de chasseur bombardier Mirage IV, futur vecteur «national» français.
Le 22 avril, le général Challe prend le pouvoir à Alger, les commis coloniaux de l’époque sont capturés puis envoyés à In Salah en avion. C’est le chaos à Alger, la rue se vide de policiers et partout des jeunes en profitent pour «visiter» endroits interdits, laissés quasi à l’abandon, c’est là qu’un groupe d’étudiants retrouvent dans un entrepôt militaire du port d’Alger la bombe atomique du prochain test.
Lees généraux putschistes étaient-ils au courant de l’imminence du test atomique ? Tout porte à croire que oui, le 3 mars un article de presse citant un officiel du Commissariat à l’énergie atomique annonçait un essai probable pendant le mois d’avril. Le CEA aurait officiellement reçu l’ordre opérationnel le 30 mars pour un essai au plus tard le 1er mai.
Le général De Gaulle savait-il que la bombe était à Alger ou, du moins, en Algérie le jour du putsch ? Oui, probablement. Informé des évènements à 9 h le matin du 22 avril, il donna l’ordre de procéder au plus vite au test après une réunion avec le Premier ministre de l’époque, Michel Debré. Une discussion avec les techniciens atomiques à Reggane avait eu lieu le jour même à 11 h 30.
Sur place, et dans les vingt-quatre heures qui suivirent, un ordre formel de l’Elysée signé par De Gaulle était reçu, suivi d’un contre-ordre émis par le Général Challe, enjoignant les scientifiques de ne pas procéder au test.
A Alger, les étudiants, ayant trouvé et identifié la bombe atomique dans l’entrepôt militaire du port ne parviennent pas à entrer en communication avec le siège des putschistes au Palais du gouvernement, se déplacent au siège de la Radio pour alerter sur la présence de l’engin. Ils y contactent André Rossfelder, qui vient, au nom des putschistes, de prendre les commandes de l’établissement de radiodiffusion. (1)
Les journalistes accourent, mais la bombe n’est plus là. Des militaires loyalistes l’ont discrètement acheminée à l’aéroport Maison Blanche et mise dans un avion en direction de Reggane.
Le sort de Gerboise verte allait se retrouver entre les mains de l’indécis général Jean Thiry, coincé entre son amitié pour Challe et la peur de l’échec du putsch.
Pour bien comprendre que Challe et ses acolytes étaient au fait et suivaient de près les préparatifs de l’essai, il faut relever l’incident suivant : A Alger, le premier jour du putsch, le premier responsable scientifique de l’essai, Pierre Billaud et Georges Tirole, son adjoint, sont interceptés par les parachutistes alors qu’ils faisaient route vers Reggane à bord d’un vol spécial. Ce n’est que le lendemain qu’ils sont autorisés à reprendre leur chemin et regagner leur base.
A Reggane, le général Thiry, qui voyait au troisième jour le putsch s’essouffler, décide de rester loyal au général De Gaulle et transmet les télégrammes de l’Elysée qui insistent sur l’urgence du tir.
Le 25 avril, alors que le putsch est en train d’échouer, des techniciens décident de procéder au tir, malgré les conditions météorologiques épouvantables. L’un d’eux, par manque de confiance envers les soldats, charge l’engin nucléaire à l’arrière d’un véhicule particulier, en direction du champ d’essais situé dans le Grand Sud.
Gerboise verte explosa, pour rien, la condition météorologique rendit complètement inopérants les protocoles de mesures scientifiques, 195 soldats français, en manœuvre dans la région et prévenus trop tard, furent, en outre, gravement irradiés.
Encore une fois, les autorités françaises, faisaient exploser, gratuitement, une bombe A et irradiaient l’atmosphère de l’ensemble de la région sahélienne et du Sud Algérien.
Quel sort aurait été réservé à cette bombe si le «quarteron» de généraux avait mis la main dessus ? Dur de dire aujourd’hui mais nous aurions manifestement été en plein dans un cas de dissémination nucléaire involontaire qui aurait même pu conduire à une utilisation «terroriste» d’un tel engin. N’oublions pas que le Putsch des généraux avait donné lieu à une véritable guerre secrète à l’époque entre le KGB et la CIA et une véritable opération d’intoxication organisée par les Soviétiques pour coller à la CIA des velléités d’aide aux putschistes.
Un article paru dans un journal espagnol «intoxiqué» par le KGB avait à l’époque poussé John Foster Dulles, patron de la CIA, à signer un démenti officiel.
Gerboise verte fut le dernier essai nucléaire atmosphérique français en Algérie. Il s’en suivra 13 essais souterrains non moins catastrophiques sur la région de triangle In Ekker, In Salah, Tamanrasset et sur ses populations.
Le 1er mai 1962, alors que le cessez-le-feu était déjà entré en vigueur en Algérie, la France commettait un véritable crime en effectuant le second test sous-terrain, nom de code Béryl à In Ekker. Un défaut de confinement a engendré une libération massive dans l’atmosphère de scories et de lave radioactives, contaminant des milliers de personnes à des centaines de kilomètres à la ronde, parmi lesquelles une immense majorité d’Algériens et une centaine de scientifiques et «spectateurs» français.
Les essais confinés se poursuivirent à la faveur des supposées clauses secrètes des Accords d’Evian jusqu’en 1966. Des dizaines d’essais chimiques et bactériologiques se sont aussi poursuivis jusqu’en 1986 dans d’autres sites secrets du Sud algérien dont le célèbre B2 Namous. Jusqu’à présent, rien n’explique l’attitude des autorités algériennes qui, comme elles l’avaient fait avec la nationalisation des hydrocarbures ou la récupération des bases militaires, ne sont jamais revenues sur les supposés accords. Aujourd’hui, dans les hôpitaux d’Adrar et de Tamanrasset, ils sont des milliers à suivre des traitements anticancer, sans parler des effets non recensés sur les malformations à la naissance parmi les populations du Grand Sud algérien.
A Alger, en janvier 1960, la colère des partisans de l’Algérie française se manifesta par la Semaine des barricades. A partir de ce moment, des activistes pieds noirs multiplièrent les violences. L’échec du putsch des généraux, en avril 1961, entraîna à leurs côtés les officiers les plus ultras.
Ce sont eux, civils et militaires, animés de rancœur devant la marche de l’Algérie vers l’indépendance, qui créèrent l’Organisation armée secrète (OAS) dans le but de renverser la situation par tous les moyens.
Une OAS, aux relents d’un sépharadisme sioniste, cristallisa alors toutes les peurs ancestrales, pour un projet aux contours flous qui se traduisit par la pratique de la «terre brûlée» en Algérie puis par l’exode massif des Européens.
Folies génocidaires françaises au sud et au nord du pays, le peuple algérien y fit échec.
L’histoire de l’humanité peut se résumer en un combat visible et invisible entre le désir par une minorité («les forts») d’étaler sa puissance, moyennant la force, et le désir par une majorité («les faibles») de la combattre par le verbe, le droit et la morale.
Notre présent effort s’inscrit sans équivoque dans cette vision.
K. B./K. Z.
(1) http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Hors-serie-Connaissance/Le-Onzieme-commandement
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