Loi de finances complémentaire 2021 : tensions sociales et budgétaires en vue

loi de finances
Plusieurs secteurs risquent d'être paralysés par des mouvements sociaux. PPAgency

Contribution d’Abderrahmane Mebtoul –  «L’idéologie est une chose et l’efficacité de la politique économique en est une autre» (Keynes, un des plus grands économistes du XXe siècle). En attendant son adoption définitive en Conseil des ministres, l’avant-projet de loi de finances complémentaire 2021 prévoit un déficit budgétaire record de 25,46 milliards de dollars (3 310,8 milliards de dinars), contre 21,42 milliards de dollars dans la loi initiale (2 784,8 milliards de dinars) dans la loi de finances initiale, représentant respectivement 16,0% et 13,6% du PIB. Quant au déficit du Trésor qui s’aggrave, il est prévu 31,85 milliards de dollars (4 140,4 milliards de dinars) contre 27,80 milliards de dollars (3 614,4 milliards de dinars) dans la loi de finances initiale, soit respectivement 20% et 17,6% du PIB.

Le rapport publié par le FMI intitulé «Perspectives économiques régionales au Moyen-Orient et en Asie centrale 2021» a prévu pour l’Algérie un taux de croissance, pour 2021, de 2,9% et un PIB brut de 153,5 milliards de dollars, contre 200 en 2018 et 160 en 2019, et l’Algérie pour équilibrer son budget pour 2021 a besoin d’un baril entre 130/160 dollars, le niveau contenu dans la loi de finances étant un artifice comptable. La crise du Covid-19 a exposé les banques locales à dépasser 45% du total de leurs actifs bancaires avec une dette publique totale par rapport au PIB de 63,3% contre 53,1% en 2020, et que la dette publique nette totale représentera 60,5% contre 50,4% en 2020.

Les dégâts causés par la crise sanitaire induite par la propagation de l’épidémie du coronavirus et par la chute des prix de pétrole, ainsi qu’une gouvernance mitigée, le taux de chômage incluant la sphère informelle et les emplois rente devrait atteindre 14,5 en 2021, et 14,9% en 2022, contre 14,2% en 2020, ce taux dépassant les 30% pour les catégories 20/30 ans et paradoxalement les diplômés. Cette dépendance aux hydrocarbures a eu des incidences sur le niveau des réserves de change, qui ont été en 2013 de 194,0 milliards de dollars ; en 2018 de 79,88 ; en 2019 de 62 et fin 2020, entre 42/43 milliards de dollars.

Comme conséquence, nous avons assisté à une baisse du taux de croissance du PIB à prix courant, tiré essentiellement par la dépense publique via la rente des hydrocarbures, qui a été en 2019 de 0,8%, en 2020 moins 6% paradoxe, avec une sortie de devises 2020 de 20 milliards de dollars et une prévision différente avec celle du gouvernement, le FMI prévoyant 2,9% en 2021. Or, le taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente, négatif-positif en 2021, rapporté à 2020, moins de 6% donne toujours un taux de croissance faible, en termes réels entre 0 et 1% largement inférieur à la croissance démographique, supposant un taux de croissance de 8 à 9% afin d’absorber 350 000/400 000 emplois par an.

Cette faible performance économique a un impact sur l’évolution de la cotation du dinar, corrélé aux réserves de change via les recettes d’hydrocarbures à plus de 70% qui a évolué ainsi de la période de 2001 à mai 2021 : 2001 : 77,26 DA/1 dollar et 69,20 DA/1 euro – 2020 : 128,31 DA/1 dollar et 161,85 DA/1 euro avec une cotation sur le marché parallèle malgré la fermeture des frontières entre 209/211 DA/1 euro. Et selon la BA, le dinar a repris sa dépréciation étant coté officiellement entre le 11/13 mai 2021, étant coté à 133,4526 DA/1 dollar et 161, 9714 DA/1euro, la loi de finances initiale 2021 projetant une amplification de sa dévaluation, 2022, 149,32 DA pour 1 USD et pour 2023 156,72 DA/1 dollar.

Quant aux taux officiel de l’inflation, selon les données officielles, cumulé, il a dépassé les 82% entre 2000-2020 et en redressant les taux de 20%, nous avons une détérioration du pouvoir d’achat durant cette période de 100% avec une concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière où, fait nouveau, une partie de la classe moyenne commence à disparaître graduellement et à rejoindre la classe pauvre, l’inflation, et c’est une loi universelle, jouant comme facteur de concentration au profit des revenus variables et au détriment des revenus fixes. Les tensions sociales sont atténuées artificiellement grâce aux recettes des hydrocarbures qui permettent des subventions et transferts sociaux représentant 23,7% du budget général et 9,4% du PIB pour l’exercice 2021 mais mal ciblées et mal gérées.

Face aux tensions budgétaires et sociales entre 2021-2022 s’impose la nécessaire cohésion sociale et les différents candidats aux élections législatives sont-ils conscients de la gravité de la situation et ont-ils des solutions opérationnelles pour y remédier loin de tout populisme, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques ? En tout cas, selon la majorité des experts, tant algériens qu’internationaux crédibles, aimant l’Algérie, l’on ne peut continuer avec l’actuelle gouvernance quitte à mettre en péril la sécurité nationale, impliquant une nouvelle politique socio-économique, loin des slogans, séminaires et louanges en contrepartie d’une rente, mais des actions concrètes sur le terrain. Les recettes en devises pour 2021 et certainement pour 2022 dépendront toujours des recettes des hydrocarbures dont on assiste à un dépérissement du tissu productif, une baisse de la production en volume physique tant du pétrole que du gaz (environ un tiers des recettes) et la forte concurrence internationale.

Cependant, l’Algérie, selon le FMI dans son rapport d’avril 2021, continue de bénéficier d’une marge de mouvement positive, la dette extérieure, restant modeste, qui devrait atteindre 3,6% et 5,2% du PIB en 2021 et 2022, contre 2,3% en 2020. Par ailleurs, l’endettement extérieur bien ciblé rentrant dans le cadre d’une création de valeur ajoutée interne et d’une balance devises positive pour l’Algérie ne s’oppose pas à l’intérêt national. Cependant, la réussite de la relance économique dépend avant tout des Algériennes et Algériens, impliquant une mobilisation générale, reposant sur un sacrifice partagé, une lutte contre la corruption, la mauvaise gestion et une vision stratégique conciliant efficacité économique et une profonde justice sociale, en approfondissant les réformes structurelles qui, forcément, déplacent les segments de la rente, d’où de fortes résistances sociales des tenants de la rente qui versent dans la sinistrose pour bloquer les réformes.

A. M.

Comment (7)

    Amin99
    16 mai 2021 - 17 h 59 min

    En 1972 sous le président Nixon, les États-Unis ont suspendu la convertibilité du dollar en or et laisser le dollar se déprécier depuis cette date.
    Est-ce pour autant, les américains se sont-ils appauvris? Il faut comparer ce qui comparable.
    En Algérie, quand on compare la période 1990-2000 où le pétrole était à 15$/20$ le barile avec celle 2000-2020 où il a atteint les plus haut, malgré la d’évaluation du dinar de 100% sur cette période par rapport aux autres devises étrangères, les Algériens ne se sont pas appauvris pour autant. Bien au contraire, ils ont profité de la manne pétrolière et se sont enrichis par de forte augmentations salariales (300 à 500%) qui a favorisé l’émergence d’une classe moyenne consommatrice. Les Algériens n’ont jamais acheté de bien de consommation et d’équipements que depuis cette période.
    Il faut comprendre qu’à partir du moment où l’on effectue un rattrapage sur les salaires, la dévaluation n’aura plus d’incidence sur le quotidien des ménages.

    Dire que « 2000-2020, nous avons une détérioration du pouvoir d’achat durant cette période de 100% avec une concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière » est une information trompeuse pour les raisons cités plus haut.

    Ceci dit, l’Algérie a bien besoin d’une bonne gouvernance, d’une forte relance économique et des actions concrètes sur le terrain mobilisant les ressources vives de la nation pour atteindre ses objectifs de croissance de son PIB et de résorption du chômage.
    A bon entendeur

    Brahms
    15 mai 2021 - 0 h 40 min

    Question de répartition de la richesse ?

    Un mouton coute combien ?
    Une voiture coute combien ?
    Une villa coute combien ?
    Fonder une famille coute combien ?
    L’habillement coute combien (Printemps, été, automne, hiver) ?
    Le panier journalier de la ménagère coute combien ?

    L’État doit répartir équitablement la masse d’argent envers tous ces citoyens sinon, on ira vers des grèves, de la casse, des dégâts, des troubles à l’ordre public, des harragas, des trafics en tous genres, de la délinquance, des cambriolages, des méfaits etc..etc..

    Prenons des modèles comme la Suisse, Le Luxembourg, le Danemark, la Norvège pour s’apercevoir que chez eux, les règles sont claires donc pourquoi, il en saurait autrement en Algérie.

    C’est donc bien le partage de la richesse qui fait défaut, une minorité capte 80 % de la rente et le reste (majorité de la population) se partage des miettes soit les 20 % restants.

      Anonyme
      15 mai 2021 - 21 h 41 min

      L’éducation coûte combien? Les services administratifs, sécuritaires et les établissements de santé coûtent combien? L’électricité, l’eau, le gaz, le carburant coûtent combien? L’huile, le sucre, le lait, la semoule, le pain coûtent combien? Les infrastructures routes, autoroutes, gares, aéroports et habitations coûtent combien?
      Ne voyez vous pas où va l’argent de la rente?
      Tous ceux-là coûteront beaucoup plus cher aux citoyens si l’état ne les subventionnent pas, impose des taxes et rétablit leur prix réel. Les impôts collectés (sans la rente) ne pourront jamais couvrir toutes ces dépenses.
      Il y’a bien un partage des richesses, il faut juste ouvrir les yeux.

    Abou Stroff
    14 mai 2021 - 13 h 54 min

    « Loi de finances complémentaire 2021 : tensions sociales et budgétaires en vue » titre A. M..
    n’importe quel expert en statistiques peut soutenir que les chiffres ne veulent rien dire par eux mêmes et qu’avec les mêmes données, on peut défendre une thèse et son contraire.
    ceci dit, le problème en algérie n’est, contrairement aux apparences, pas un problème économique mais un problème POLITIQUE.
    en effet, la question à poser est une question simple, pour ne pas dire une simple question:
    quel est le projet de société que nos augustes dirigeants veulent réaliser ou en d’autres termes, comment nous projetons nous dans 30 ou 50 ans?
    car, lorsque le projet de société (le TOUT) est clairement défini, les PARTIES deviennent identifiables et identifiées et la mobilisation de tous ceux qui défendent le dit projet peut être effective et porteuse d’espoir.
    en d’autres termes, tant que l’algérien lambda ne comprend pas où ses augustes dirigeants veulent l’emmener, il ne peut qu’exhiber des réticences à suivre une voie qui risque de le mener directement à l’abattoir (pour être zigouillé, bien entendu).
    moralité de l’histoire: il n’y en a aucune, à part le constat indéniable que nos augustes dirigeants ne semblent guère armés pour nous diriger et c’est probablement (pour ne pas dire certainement) pour cela que le la plupart des algériens attendent tout (y compris la pluie ou la libération de la palestine du joug sioniste) d’une puissance extrahumaine.
    PS: la marabunta qui nous gouverne et son allié, la vermine islamiste font, toutes deux, parties du monde ancien (le monde qui repose sur la distribution de la rente et sur la prédation) qui tourne en rond en attendant la FIN et à ce titre ni la marabunta ni la vermine ne peuvent proposé de projets autre que celui qui leur permet, à toutes deux de jouir des bienfaits de la rente.

    karimdz
    13 mai 2021 - 19 h 27 min

    La situation économique délicate, n’est pas spécifique à l Algérie mais au monde entier. Il y a des sacrifices à faire, tout en protégeant le pouvoir d’achat des ménages pauvres.

    Cette période doit être propice pour l Etat algérien d ‘encourager l investissement privé, et s’agissant du peuple algérien, de consommer local.

    En même temps, il est bon de rappeler que le prix du baril de pétrole se situe à près de 70 dollars depuis des mois, on est loin des 30-40 dollars de l’année dernière. La fin progressive du déconfinement en cours en Europe, va relancer la consommation de pétrole.

    Bien entendu, il est pas question de se reposer sur cette manne, mais assurément, elle permettra à l Etat algérien de renforcer sa politique d encouragement de l investissement productif.

    Anonyme
    12 mai 2021 - 19 h 59 min

    Les carottes sont cuites. On va vers le mur. Sans un gouvernement d’union nationale pour gérer cette crise on ne s’en sortira pas. Le peuple n’acceptera jamais l’austérité et la misère s’il n’adhère pas à un projet politique

    Brahms
    12 mai 2021 - 16 h 42 min

    Les Présidents de grandes sociétés ont plus de pouvoir qu’un président de la République,

    Le monde à changer, les mastodontes sont très puissants. Résultats financiers d’Amazon :

    Amazon a publié ses résultats financiers pour le 4e trimestre 2020. Le chiffre d’affaires, le bénéfice net et le flux de trésorerie d’exploitation de l’entreprise américaine.

    Chiffre d’affaires trimestriel (Q4 2020) : 125,6 milliards de dollars, en augmentation de 44 % par rapport à l’année dernière (87,4 milliards de dollars au quatrième trimestre 2019).

    Bénéfice net (Q4 2020) : 7,222 milliards de dollars, en augmentation de 121 % par rapport à l’année dernière (3,268 milliards de dollars au quatrième trimestre 2019)

    Le flux de trésorerie d’exploitation a augmenté de 72 % au cours de ces 12 derniers mois, passant de 38,5 milliards de dollars à 66,1 milliards de dollars.

    C’est énorme, juste 1 seule entreprise donc on voit bien que nous sommes très très loin avec nos dinars inconvertibles sur le marché international. Il y a un fossé gigantesque.

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