Lamamra : «Les gesticulations du Maroc et Israël ne nous impressionnent pas !»
Par Kamel M. – «Il y a beaucoup de calculs erronés. C’est sous-estimer l’Algérie, le peuple algérien et l’histoire de l’Algérie que de croire que les gesticulations [israélo-marocaines] pourraient nous impressionner, encore moins nous intimider», a déclaré le ministre des Affaires étrangères à partir de la capitale éthiopienne. Interrogé sur l’acquisition de drones israéliens par le régime marocain, ce qui en ferait une puissance supérieure à l’Algérie, Ramtane Lamamra a répondu que «c’est le calcul qui est fait du côté de Rabat, malheureusement». A la question «y aura-t-il une guerre entre les deux pays ?» ce dernier a expliqué qu’«il y a des problèmes dans la région» et que la solution à ces problèmes «ne réside pas dans la fuite en avant, telle que celle qui consiste à inviter des dirigeants israéliens qui viennent à nos frontières menacer l’Algérie à partir du territoire marocain, ou celle qui consiste à développer des slogans qui n’ont rien à voir avec la réalité, à faire assumer cela dans un appareil de propagande qui ne recule devant aucune calomnie».
«C’est cette situation-là que nous vivons aujourd’hui», a poursuivi le chef de la diplomatie algérienne, en ajoutant : «Rassurez-vous, l’Algérie ne fera la guerre qu’en légitime défense.» «L’Algérie a trop connu les affres de la guerre coloniale, justement, pour souhaiter s’engager dans une confrontation armée avec un pays voisin. Il faut se demander si ceux qui développent des coopérations militaires avec des puissances militaires étrangères n’ayant rien à voir avec la région nord-africaine ne sont pas ceux qui parient sur le pire», s’est demandé le ministre des Affaires étrangères qui représente le président Tebboune aux travaux de l’Union africaine.
Ramtane Lamamra a estimé que la reconnaissance de la marocanité du Sahara Occidental par l’ancien président américain Donald Trump «est une erreur historique». «La position du président Biden est plus subtile que ça, mais ce qu’on constate aujourd’hui, c’est que l’administration américaine soutient M. De Mistura, l’envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies, que les Etats-Unis sont toujours le porte-plume pour la rédaction de la résolution du Conseil de sécurité sur le Sahara Occidental et que cette littérature du Conseil de sécurité des Nations unies dispose toujours [la nécessité de parvenir à] une solution mutuellement acceptable par les deux parties, République sahraouie et royaume du Maroc, assurant et garantissant le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental».
Le ministre a qualifié l’ouverture de consulats dans les villes occupées de Laâyoune et Dakhla par une vingtaine de pays africains et arabes, de «vaste mystification». «D’abord, au plan juridique, ça ne signifie absolument rien. Ce n’est pas un consulat qui vous donne la souveraineté, la souveraineté appartient au peuple du Sahara Occidental qui l’exerce à travers un référendum d’autodétermination», a-t-il précisé, en faisant remarquer que les consulats en question «sont un geste de propagande qui peut être fort, mais qui reste un geste de propagande qui n’a aucune portée juridique ou politique».
Le président de la Commission de l’UA a commis une double faute
Sur le statut d’observateur accordé à Israël à l’Union africaine, Ramtane Lamamra a expliqué que «nous n’avons pas pris l’initiative d’accorder un quelconque statut d’observateur à quiconque». «Il y a une double faute, a-t-il dit, celle d’avoir accordé le statut d’observateur sans aucune consultation avec les Etats membres, dont l’Algérie. Si la décision a pour effet inévitable de diviser l’organisation sur laquelle vous avez le devoir de veiller, cela signifie que la décision est mauvaise et qu’il ne faut pas la prendre. En l’occurrence, si les consultations préalables avaient eu lieu, sans doute n’aurait-on pas pris une telle décision. La seconde faute, c’est d’avoir constaté que les Etats membres sont divisés sur cette question et de la laisser se gangréner, ce qui est très mauvais pour l’organisation. Donc, indépendamment de qui a fait quoi au profit de qui ou de quoi, le fait est que la décision en question est une décision qui met en péril la solidarité qui doit exister entre les pays membres de l’organisation», a argumenté le chef de la diplomatie dans un entretien aux médias officiels français France 24 et RFI.
S’agissant du dossier malien, Ramtane Lamamra a déclaré que l’Algérie «est très attentive à ce qui se passe dans la région». «Nous considérons que l’Union africaine, puisque nous sommes à Addis-Abeba, devrait pouvoir disposer des moyens et faire preuve de la volonté politique nécessaire pour apporter des solutions africaines aux problèmes de l’Afrique. A défaut, il est naturel que des solutions alternatives, comme celles qui ont prévalu jusqu’à présent, puissent avoir lieu, de sorte que les groupes terroristes ne fassent pas qu’une bouchée de ce grand pays si névralgique et si important pour la paix et la sécurité de toute la région», a-t-il renchéri, en faisant part de son espoir qu’il y ait «encore de l’espace pour la raison et pour des démarches qui puissent être respectueuses de la souveraineté nationale du Mali comme il se doit et, également, qu’elles puissent laisser place à la communauté internationale pour qu’elle assume ses responsabilités sur la base de mandats du Conseil de sécurité des Nations unies et du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine».
Tançant le gouvernement français indirectement sur la question malienne, Ramtane Lamamra a affirmé qu’«il y a des solutions autres que les faits accomplis», tout en laissant entendre que l’interdiction de survol de l’espace algérien par les avions de transport militaire français devrait être levée. Mais le ministre conteste le qualificatif de «mercenaires» – utilisé par les journalistes qui l’interviewaient – dont il pense qu’il n’est pas «consensuel». «Il y a d’autres points de vue pour décrire les personnels en question. Je ne dis pas que je préfère tel ou tel point de vue, mais en répondant à votre question qui porte ce nom, je ne voudrais pas que l’on comprenne que, moi, je le reprends à mon compte, d’autant plus que le gouvernement malien dit qu’il ne s’agit pas de cela ; le gouvernement russe non plus. En l’occurrence, ce que je vous dis, c’est que ce sont des épiphénomènes par rapport au principe lui-même. Le principe, c’est que l’Algérie n’est pas en faveur du déploiement de forces étrangères sur le continent africain, tout en respectant le droit souverain des Etats concernés de faire appel à des formes d’assistance de la part de partenaires internationaux», a-t-il explicité.
Expulsions : certains responsables français veulent faire du chiffre
Interrogé sur les relations avec la France, le ministre des Affaires étrangères a précisé que les président Tebboune et Macron «ont une excellente relation personnelle», indiquant qu’ils se téléphonent régulièrement. «Parfois, c’est annoncé, comme la communication du 25 janvier, parfois ça ne l’est pas. Donc, la communication entre les deux chefs d’Etat existe, elle est cordiale, elle est confiante», a-t-il ajouté. Et de relativiser : «Elle [cette communication, ndlr] ne suffit pas pour masquer l’existence de problèmes. Nous sommes, aujourd’hui, je crois, dans une phase ascendante, laborieusement ascendante, parce qu’il y a un grand nombre de difficultés dans cette relation bilatérale. Singulièrement, lorsqu’il s’agit, en ce qui nous concerne, de la protection et de la préservation de la sécurité et de la dignité de nos compatriotes en territoire français. C’est un sujet auquel nous sommes particulièrement sensibles», a-t-il fait savoir.
«Il y a d’autres sujets également qui, j’allais dire, sont quantifiables et donc des solutions de compromis sont toujours possibles. Mais lorsqu’il s’agit d’atteinte à la mémoire d’un peuple, à l’histoire ou à la dignité du peuple algérien ou de compatriotes installés ou voyageant en France, ceci constitue souvent des motifs très sérieux de difficultés dans nos relations avec la France», a encore affirmé Ramtane Lamamra qui a accusé certains responsables français de faire preuve d’abus en voulant faire du chiffre. «Dans la discussion avec les autorités françaises, nous veillons à ce qu’il n’y ait pas d’avions charters, à ce que les gens bénéficient des recours possibles devant les autorités françaises, avant qu’elles soient reconduites aux frontières. En cela, les autorités algériennes veillent véritablement à ce que ces accords algéro-français soient exécutés, mais exécutés de manière convenable», a-t-il déclaré, en expliquant qu’«il est faux de dire nous refusons de recevoir nos compatriotes qui n’ont plus rien à faire en territoire français».
Sur les questions mémorielles, Ramtane Lamamra a invité les responsables politiques français à «laisser l’histoire aux historiens». «Cette appropriation par chacun des peuples concernés par son histoire devrait se faire dans toute la mesure du possible sans acrimonie et sans les accusations qui ne sont pas forcément avérées», a-t-il dit, en rappelant que «la cohérence de l’histoire voudrait que l’indépendance de l’Algérie chèrement reconquise s’accompagne de la réappropriation de tous les biens matériels et immatériels qui sont les siens et qui ont été déplacés et dont certaines autorités, certaines personnes physiques ou morales françaises se sont appropriées».
Enfin, le chef de la diplomatie a informé que le président Tebboune pourrait prendre part au prochain Sommet euro-africain de Bruxelles. «A ce stade, je n’exclus rien», a-t-il répondu, sans plus de détails.
K. M.
Comment (30)