Jacob Cohen : «Les Etats arabes doivent savoir que la lâcheté ne paie pas !»
Algeriepatriotique : Jeudi 29 février, l’armée sioniste a ouvert le feu à Gaza sur une foule qui recevait de la nourriture, causant la mort de plus de 119 personnes. Quelle est votre analyse sur ce qui s’est passé ce jour-là ?
Jacob Cohen : De mon point de vue, le régime sioniste a décidé de punir la population palestinienne pour avoir osé défier sa puissance et son autorité, pour la terroriser ensuite et lui rendre la vie tellement impossible qu’elle serait prête à tout pour quitter cet enfer. Même si l’attaque sur les civils qui cherchaient juste de la nourriture n’était -peut-être pas préméditée, l’occasion était trop belle pour leur faire comprendre qu’il n’y a pas d’échappatoire et que personne ne viendra à leur secours. C’est du moins l’état d’esprit actuel de la grande majorité des Israéliens et de leur classe politique. Ils sont saisis d’une volonté folle d’éradication des Palestiniens.
L’espace aérien palestinien est interdit, mais l’aide des pays comme la Jordanie et l’Egypte est parachutée. Certaines voix se sont élevées de l’intérieur de Gaza accusant «les pays qui envoient de l’aide attisent délibérément ce chaos». Pourquoi, selon vous ?
L’aide qui arrive par avion est très peu, et elle arrive trop tard. C’est infiniment ridicule par rapport aux besoins. C’est fait pour se donner bonne conscience vis-à-vis de leur opinion publique et au regard de l’histoire. Et il paraît tout à fait certain que ces parachutages ont reçu l’aval des Israéliens. Il faut bien aider ces régimes arabes soumis et complices. En outre, le fait de parachuter des vivres empêche leur distribution organisée et égale. Les Palestiniens affamés se disputent les colis, donnant une piètre image de ce peuple humilié, confortant dans l’inconscient collectif l’idée que, décidément, il est incapable de se prendre en mains, et qu’il est le jouet facile des groupes «terroristes».
Des pays ont livré d’importantes quantités d’aide humanitaire sans que celle-ci puisse être livrée aux populations démunies. Comment qualifiez-vous le rôle de la communauté internationale face à ce désastre ?
La communauté internationale a montré son incapacité à arrêter l’agression, à protéger la population de Gaza ainsi que toutes les structures civiles qui leur permettent d’exister. Et, en plus, elle n’est même pas capable de faire passer des vivres à cette population. Les raisons sont franchement politiques et reflètent le rapport de force sur le plan international. Le régime sioniste est ultra protégé par l’Occident et bénéficie d’une neutralité bienveillante ou involontaire de la plupart des autres puissances. Sans compter l’impuissance du monde arabo-islamique. Pour le dixième ou le centième de ces crimes, la Russie subit un régime de sanctions supposé la mettre à genoux. S’agissant du régime sioniste, il serait presque indécent de l’évoquer. Les défenseurs de la Palestine devraient en prendre acte et réfléchir à l’avenir aux moyens de contourner cet obstacle.
Selon l’Organisation internationale de la Protection civile, le bilan final dépassera malheureusement les 80 000 morts à Gaza, représentant environ 3% de la population. Qu’en pensez-vous ?
Le vrai drame, ce n’est pas seulement les milliers de morts répertoriés. Mais les dizaines de milliers de bébés, d’enfants et d’adolescents qui seront marqués à vie, traumatisés, affaiblis, malades, rachitiques, angoissés, sans domicile, exposés au froid, à la désolation. C’est tout une génération de Gazaouis qui ont vu de près ou de loin la mort, la destruction, pendant 5 mois, 150 jours et qui, même si l’agression s’arrêtait demain, ils n’auront nulle maison où habiter, nulle école pour apprendre, nul hôpital pour se faire soigner.
Israël semble avoir un plan qui vise à faire durer le conflit, bien qu’il soit quasiment impossible d’éradiquer le Hamas. Quel est le but inavoué de Netanyahou, son gouvernement et ses chefs de guerre ?
Le vrai but des dirigeants sionistes, qui a été évoqué dès le début de l’agression, est de vider Gaza de ses habitants. D’abord, ce serait un territoire qui pourrait accueillir des centaines de milliers de colons juifs, qui sont toujours à la recherche de nouvelles terres. Et, ensuite, de pouvoir exploiter en toute tranquillité les immenses ressources en gaz et, peut-être, en pétrole au large de Gaza. Au début de l’année 2023, Israël, l’Egypte et l’Autorité palestinienne avaient prévu d’exploiter en commun ces ressources. L’Europe, qui n’a plus de gaz russe, était fortement intéressée. Restait à se débarrasser de ces gêneurs que sont le Hamas et les autres groupes de résistance. Ces plans ne tombent pas à l’eau. Ils prendront seulement un peu plus de temps. C’est pourquoi Israël détruit systématiquement toute possibilité de vie future pour les Palestiniens. Comment ne pas leur venir en aide pour des raisons «humanitaires» en les faisant quitter cet enfer ? Quant au Hamas, s’il ne sera pas éradiqué, il aura bien du mal à s’organiser, à s’entraîner, à faire venir de l’argent et des armes, à former des bataillons. Il sera soumis à une plus stricte surveillance, à des bombardements réguliers, sans qu’aucun Etat ne puisse lui venir en aide.
De nombreuses plaintes ont été déposées devant la CIJ et la CPI. Pensez-vous que la multiplication des actions en justice pourrait contraindre enfin Israël à mettre fin à ses crimes à Gaza et en Cisjordanie ?
Franchement et cyniquement non ! Les Israéliens se sont toujours assis, depuis 1947, sur toutes les résolutions internationales, et même sur l’arrêt de la CIJ sur l’illégalité du Mur, en 2005. Cela donne une petite satisfaction morale, mais sans plus. Les Palestiniens devraient chercher d’autres voies pour faire aboutir leurs revendications légitimes.
Les Etats-Unis viennent de bloquer un énième projet de résolution appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Quelle a été votre réaction à ce blocage qui donne carte blanche à Israël pour poursuivre ses crimes impunément ?
Il faut malheureusement se rendre à l’évidence. Israël est protégé par l’Amérique. Ou, plutôt, le lobby sioniste américain a fait main basse sur la classe politique américaine, la contraignant à le soutenir coûte que coûte. Et malheur à l’homme politique qui tentera de s’y opposer. Cette situation a été dénoncée il y a une vingtaine d’années par deux universitaires américains réputés, et reprise régulièrement par les sites d’informations alternatifs. Sans compter les grands médias, même les journaux «progressistes» que sont le New York Times et le Washington Post, grandement acquis au régime sioniste. Du côté américain, la situation semble sans issue.
Qui peut arrêter la furie meurtrière de l’Etat hébreu, l’ONU étant devenue obsolète ?
Il faudrait développer d’autres stratégies. Mener une large bataille de communication, voire de contre-propagande, en direction des populations occidentales. Réaliser des documentaires, les faire passer et repasser dans les médias, quitte à payer pour ou créer ses propres médias. Engager des sociétés occidentales de communication pour faire passer les messages. Etablir des liens avec les universités. Populariser les actions de boycott des produits israéliens, des sportifs et des réalisations artistiques. Tenter d’établir une espèce de cordon sanitaire autour de l’Etat sioniste. Il ne faut pas attendre la prochaine catastrophe pour agir ou réagir.
La énième tragédie que vivent les Palestiniens depuis le 7 octobre a pesé sur la conscience des populations mondiales et dévoilé le visage hideux de l’entité sioniste, la complicité des dirigeants occidentaux et la lâcheté des dirigeants arabes. Les peuples du monde ont-ils assez de poids pour abolir ce système sioniste qui les domine ?
Je ne crois pas. Les peuples sont impuissants et ont la mémoire courte. Rappelez-vous les guerres en Irak, surtout celle de 2003. Les oppositions n’ont pas servi à grand-chose. Ce qu’il faudrait, c’est profiter de cet élan de sympathie et de cette prise de conscience pour poursuivre avec méthode et détermination la mise au ban d’Israël, des actions de solidarité concrètes (santé, culture, économie, éducation, éducation) en continu.
Que changera cette guerre asymétrique qui a cours au Proche-Orient actuellement ?
J’aimerais répondre ceci : Malheur au vaincu. C’est une leçon de realpolitik que cette guerre a apportée. Ce n’est pas un scoop. Mais il est bon de le rappeler. Et rappeler surtout aux Etats arabes que la lâcheté et la compromission avec l’ennemi ne paient pas. Et que leur tour viendra. Rappelez-vous Saddam Hussein, Kadhafi, et tant d’autres. La défaite de la Palestine est la défaite de tous. L’humiliation des Palestiniens est l’humiliation de tous les Arabes.
Interview réalisée par Kahina Bencheikh El-Hocine
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