Le Sahara Occidental, le vœu pieu du Makhzen et le Grand Remplacement
Une contribution de M. Boumaza – Le droit, les avis et résolutions de l’ONU, de la Cour internationale de justice, de la Cour de justice de l’Union européenne peuvent aller se promener. Car, nous dit-on : «Que vaut le droit international lorsqu’il est continuellement piétiné au gré des intérêts, notamment occidentaux, comme on a pu l’observer dans les invasions de l’Irak, de la Libye, etc. (la liste est longue) ou encore sous nos yeux dans le génocide du peuple palestinien ?»
Certes. Mais cela autorise-t-il à le bafouer à son tour, étouffant et étranglant dans cette voie toute éthique, toute morale, au risque de placer toute la nation que l’on représente du côté des injustes ? L’âme, au sens religieux, et la conscience humaine ont donc bien peu de valeur de nos jours.
Quant à l’histoire, la véritable, non celle escamotée, falsifiée dans des manuels orientés dans le sens des intérêts et des idéologies des régimes et pouvoirs dominants, quel poids, voire quel crédit lui accorder ? Dès lors, dans ce monde où règne sans partage le mensonge, comment démêler le vrai du faux ? La majorité d’entre nous n’étant pas historiens, et l’histoire étant, du reste, sujette à bien des interprétations et des manipulations, sollicitons le concours de la logique, une faculté trop souvent mise de côté et ignorée dans ces débats.
Pour étayer notre propos, prenons un exemple quelque peu trivial. Supposons que deux individus réclament la paternité d’un même enfant et que la mère ne puisse déterminer le véritable géniteur. L’affaire est portée devant le tribunal compétent qui, à son tour, en appelle aux experts et laboratoires spécialisés. Ceux-ci, après une batterie d’examens, de contre-expertises, etc., communiquent les résultats et rendent leur avis. A l’issue de ces derniers et après délibérations, la Cour rend son verdict : «Voici le père de l’enfant.»
Eh bien, figurez-vous que c’est précisément ce qui s’est produit lorsque deux Etats, la Mauritanie et le Maroc, ont revendiqué ce territoire que l’on nomme le Sahara Occidental. Ces deux pays se sont alors mis en devoir de présenter à la Cour internationale de justice toutes les pièces et documents en leur possession, sans en omettre un seul, pour faire valoir leurs prétentions.
La Cour, après un examen minutieux de cette pléthore de paperasses (témoignages, lettres, documents plus ou moins officiels, etc.) a finalement statué que toutes ces pièces à conviction «n’établissaient l’existence d’aucun lien de souveraineté entre le Maroc, d’un côté, et la Mauritanie, de l’autre côté, sur le Sahara Occidental». Exit donc l’argument des prestations d’allégeance de certains chefs sahraouis aux sultans de Fès ou de Marrakech avancé par le royaume du Maroc, ce dernier oubliant qu’il s’agit là d’une pratique issue du moyen-âge, tombée en désuétude depuis des siècles dans les démocraties modernes, au grand dam du narco-royaume féodal. Sinon, quel moyen d’empêcher que l’Espagne réclame plus de la moitié de l’Europe, ou l’Irak et la Syrie, l’ensemble du monde musulman (Maroc compris) ? Par conséquent, pour les plus lents d’esprit, l’issue du verdict est le suivant : le Sahara Occidental appartient au seul peuple sahraoui. Point final.
Chose étrange et surprenante à la fois dans ce méli-mélo juridico-politico-géostratégique, le petit roi-grenouille qui voulait se faire plus gros qu’un bœuf n’a pas hésité à proposer une partie du territoire sahraoui au président Boumediene (et a donc voulu faire entrer dans cette histoire un troisième papa). Mais cet immense chef d’Etat, juste et droit devant Dieu et les hommes jusqu’à l’austérité, rejeta avec horreur et indignation ce marché de scélérat, le voyant tel qu’il était : le partage d’un méprisable vol entre vils brigands.
Outre cet épisode singulier, comment le pouvoir marocain et les ‘ayâcha (partisans acharnés, ou plutôt enragés, de la monarchie féodale) prétendent justifier que l’on puisse partager, par exemple, son enfant, sa maison ou son épouse avec un autre individu, sans que cela ne les émeuve le moins du monde ? En effet, notre rainette Hassan II avait consenti à céder, sans sourciller, une partie du territoire (son épouse donc, ou sa mère si l’on préfère) qu’il disait sien, à la Mauritanie. Drôles de mœurs tout même !
Moins anecdotique : lors de l’obtention de son interdépendance en vertu des accords de La Celle-Saint-Cloud et d’Aix-les-Bains, en 1956, Hassan II était on ne peut plus empressé et ravi de ratifier la carte du territoire marocain sans aucune objection, et simplement l’évocation du Sahara Occidental ne lui avait pas même effleuré l’esprit. Qu’est-ce à dire ? Avait-il oublié ce territoire et la mémoire ne lui serait-elle revenue que lorsque l’Espagne a dû quitter ce territoire sous la poussée des Sahraouis en lutte pour leur indépendance ? Bien fantasque et commode cette mémoire qui revient au moment le plus opportun.
Moins connu du grand public, mais gravé de manière indélébile dans la chair et la mémoire collective sahraouies, le soutien de grandes puissances, notamment de la France, dans l’agression infâme et sanglante pour la colonisation du Sahara Occidental au profit du Maroc. C’est Christophe Le couturier, en personne, qui avouait, sans équivoque, au début de son mandat en tant qu’ambassadeur plénipotentiaire de la République française au Maroc, que son pays avait appuyé l’armée du royaume avec ses avions de chasse, les tristement célèbres Jaguar, fierté des forces aérospatiales françaises. Nouvellement introduits dans l’armée de l’air française, ils ont, pour ainsi dire, fait leur baptême de l’air à l’occasion de cette invasion, durant laquelle les populations civiles sahraouies ont fait office de cibles et de cobayes vivants.
Les centaines de milliers de va-nu-pieds (au sens littéral du mot : ils n’avaient pas de chausse-pieds), entassés dans des camions comme du bétail pour coloniser un territoire qui ne leur a jamais appartenu, ces colons, donc, n’ont pu être expédiés qu’après qu’un véritable nettoyage ethnique ait été opéré, faisant écho, dans un troublant parallèle, à la Nakba palestinienne.
Voilà la triste réalité du peuple sahraoui ! Alors que l’ensemble des pays du continent africain et, plus largement, du monde accédaient, l’un après l’autre, à leur indépendance, celui-ci se voyait bombardé au napalm et au phosphore blanc, ses puits empoisonnés, ses enfants, ses femmes et vieillards massacrés, puis contraint de fuir ses terres ancestrales et, enfin, se faire envahir par des hordes de colons en guenilles, à qui l’on promettait une terre de lait et de miel. Le Sahara restait ainsi la dernière colonie d’Afrique.
Pour simplifier la situation à l’adresse de nos amis, décidément, à l’esprit un peu lent : il n’y avait aucun Marocain qui habitait dans ce coin d’Afrique, puisque voici un territoire où, de temps immémoriaux, vivait un peuple, que l’on a massacré, exilé. Et dans ce territoire, que l’on a prétendu vider de sa population, on a expédié des individus (près de 300 000 Marocains) qui y sont ethniquement, culturellement étrangers et qui n’y ont jamais vécu. Le Grand Remplacement, si cher aux impérialistes de tout crin, prend ici tout son sens.
Et, last but not least, comme diraient nos amis anglo-saxons, le sultan Mohamed 3, ancêtre du roi régnant actuel, écrivait à Charles III d’Espagne, en 1767, soit plus d’un siècle avant la colonisation du Sahara Occidental par les Espagnols, que ce territoire ne lui appartenait pas et était habité par des tribus arabes, jamais soumises.
Or, voilà le représentant du Maroc aux Nations unies, que l’on a affublé, chez nous, du qualificatif d’épicier de Marrakech, suite à ses préoccupations exclusives des stocks de marchandises algériennes (après sa célèbre et risible sortie devant l’ONU : «Ils n’ont pas de farine, ils n’ont pas de bananes»), voilà donc ce représentant qui prétend connaître mieux que son illustre suzerain, témoin direct et premier concerné, les limites de son propre royaume et ose contredire son auguste mémoire. Quel sacrilège ! Quel crime de lèse-majesté posthume ! Décidément, les traditions et le respect dû à la mémoire des ancêtres des souverains se perdent de nos jours. D’aucuns le comparent au Averell des Dalton imaginé par René Goscinny. Visage oblong, menton allongé, paupières et regard indolents où percent parfois des lueurs d’inintelligence, il est vrai que la ressemblance est frappante ; même la moustache y est.
Quant à l’Algérie, peuple et gouvernement, pourrait-elle soutenir inconditionnellement et sans faille les frères et sœurs palestinien(ne)s qui se trouvent à des milliers de kilomètres, et ignorer un peuple, les Sahraouis, qui subit la même destinée et les mêmes affres à ses portes ? Cela ne saurait se concevoir. Du reste, non content de ses innombrables scélératesses, le Makhzen s’est allié avec son comparse sioniste, poussant son partenariat aussi loin qu’il lui a été donné et a fini par se confondre tout à fait avec lui. Rien d’étonnant après cela que les mêmes qui soutiennent l’un soutiennent l’autre.
Que chacun donc, chaque Etat de l’Union africaine et de l’ONU, assume en conscience son choix et son rôle : celui de persécuteur d’un peuple meurtri que l’on veut effacer de sa terre ou celui de champion d’une justice fuie et méprisée par les puissants de ce monde dont toute l’action a consisté à perpétuer un monde où seule le droit du plus fort prévaut, c’est-à-dire à consacrer la loi de la jungle.
M. B.
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