Interview – Le journaliste Jacques-Marie Bourget : «L’Iran ne pliera jamais !»
Le journaliste français Jacques-Marie Bourget fait un constat sans appel. Pour lui, l’Iran est à la fois un pays infesté d’espions et soumis à la surveillance électronique la plus sophistiquée. Il se dit convaincu que l’armée israélienne n’a pas les moyens pour mener une guerre totale contre l’Iran et affirme que ceux qui rêvent d’un changement de régime sont des utopistes. L’Iran ne pliera jamais et réserve bien des surprises, insiste notre confrère grièvement blessé par l’armée israélienne alors qu’il était en couverture en Palestine occupée. Interview.
Algeriepatriotique : L’entité sioniste a mené une frappe aérienne sur plusieurs régions de l’Iran. Le régime de Tel-Aviv affirme vouloir poursuivre son offensive. Jusqu’où ira-t-il, selon vous ?
Jacques-Marie Bourget : Une première évidence : l’armée sioniste n’a pas des moyens militaires inépuisables pour mener à bien le type de guerre qu’elle rêve de conduire contre l’Iran. Les parrains américains eux-mêmes manifestent de la lassitude par rapport aux milliards qu’ils doivent engloutir en bombes et en logistique. Donc, je ne crois pas à un conflit durable. L’offensive peut être continue, mais n’est pas massive. De plus, l’opération est lourde car les aviateurs sionistes, pas du tout téméraires, exigent d’être protégés par des appareils qui doivent être derrière eux, une sorte de rideau. Une autre lourdeur, ce sont les Américains qui assurent le ravitaillement en vol des chasseurs-bombardiers étoilés.
Je crois que les Iraniens attendent une pause, rendue obligatoire par la logistique qui ne suit pas et l’usage excessif du Dôme de fer, qui, lui, coûte énormément cher. Pour l’instant, Téhéran vide ses stocks, utilise l’armement le plus ancien, en attendant que l’armée sioniste perde de son souffle. Ce point-là atteint, Téhéran a de nouvelles armes qu’elle pourrait utiliser.
Plus de deux cents avions israéliens impliqués et des sites nucléaires ciblés, des drones israéliens stockés à l’intérieur même de l’Iran. Comment expliquez-vous l’inaptitude de l’Iran à se défendre de l’agression sioniste d’autant que les bombardements se sont poursuivis sans défense antiaérienne réelle ?
Tenter d’abattre les avions étoilés est un objectif quasi impossible pour les Iraniens, qui sont efficaces en matière de drones ou de missiles mais possèdent une aviation et une DCA obsolètes. L’Iran n’a guère que ce choix : laisser faire et se protéger. Les multiples bombardements n’ont pas provoqué de dégâts majeurs, sauf en vies humaines. Pour l’Irak, la Libye, la Syrie, par exemple, les Occidentaux ont l’habitude de bombarder sans risques, puisque tous les marchands d’armes se sont toujours refusé à vendre à ces Etats des armes vraiment efficaces, ou leur ont alors vendu des systèmes de défense modernes mais volontairement truqués par les vendeurs.
Depuis quelques années déjà, l’entité sioniste mène des opérations de sabotage et commet des assassinats ciblés en Iran qui renseignent sur l’extrême vulnérabilité des services de renseignements iraniens. L’attaque de ce vendredi ne laisse plus aucun doute. S’achemine-t-on vers une Syrie bis ?
Nous sommes proches du cœur du problème : l’Iran est, à la fois, un pays infesté d’espions et soumis à la surveillance électronique la plus sophistiquée. Les Etats-Unis captent toutes les communications, et peuvent ainsi savoir qui est qui dans le processus de décision, le timing de l’action et la localisation des personnalités importantes. Nous avons eu le cas avec le Hezbollah : l’échange téléphonique non crypté est une plaie chez les combattants du monde arabe. L’Iran dont le monde occidental clame la rigueur est incapable d’imposer des mesures de sécurité draconiennes. La Syrie bis ne veut pas dire grand-chose tant il est, aujourd’hui, impossible de définir ce qu’est ce pays, si ce n’est qu’il réserve bien des surprises. Ceux qui rêvent d’un changement de régime sont des utopistes qui travaillent dans des bureaux de Washington. Ali Khamenei ne va pas partir en courant, comme le Shah.
Cette attaque intervient alors qu’un nouveau cycle de négociations entre les Etats-Unis et l’Iran devait avoir lieu ce dimanche 15 juin. Washington affirme qu’il n’a aucunement participé à cette attaque. Quel a été le véritable rôle des Etats-Unis dans cette opération ?
Les Etats-Unis mentent, ils ont, par exemple, ravitaillé les avions. Si l’on peut s’aventurer à anticiper les décisions volatiles de Trump, il est permis de penser que ce dernier estime que l’attaque israélienne va contraindre Téhéran à négocier la gestion de ses équipements nucléaires. Ici, peu importe puisque l’Iran est à un doigt d’obtenir sa bombe atomique. Trump se soucie aussi du prix du pétrole qui grimpe et enchante la Russie. Difficile d’imaginer ce que ce personnage imprévisible cache dans son chapeau.
Le Moyen-Orient est soumis à l’axe américano-sioniste, excepté l’Iran. Ce dernier finira-t-il par se plier ? L’Iran peut-il compter sur l’aide de la Chine et de la Russie, ses principaux alliés stratégiques ?
L’Iran ne pliera jamais. C’est un Etat, tradition oblige, au sein de cet ancien empire qui sait attendre, ruser, plier l’échine s’il le faut. Les Chinois et les Russes ne peuvent laisser le champ libre aux Occidentaux qui souhaitent d’abord s’approprier les champs de pétrole et de gaz de Téhéran. Ce challenge me semble impossible. Les Etats-Unis ont perdu toutes leurs guerres depuis le Vietnam, c’est une leçon que certains dirigeants à Washington ont retenue.
Le projet du remodelage du Moyen-Orient est en train de prendre forme et de devenir une réalité concrète, l’axe de résistance étant affaibli depuis quelques années déjà. Qu’en pensez-vous ?
Remodelage ? Encore une utopie des stratèges américains. Avec l’Irak, détruit, mais dont une partie, via les Chiites, a finalement été mise sous le contrôle de l’Iran, avec la Libye en miettes, la Syrie confiée à un djihadiste, on ne peut dire que le «Croissant arabe» a été remodelé, plutôt brisé. Le seul succès de Washington est sa mainmise sur le Maroc qui est une clé pour accéder à l’Afrique de l’Ouest. Non, pas de remodelage, une série d’anéantissements, et les pays frappés ne sont pas devenus pour autant des partenaires «sûrs» de Trump et ses amis.
Interview réalisée par Kahina Bencheikh El-Hocine
Comment (3)