Israël : sentinelle du chaos entretenu et contrôlé sur la terre des prophètes
Une contribution du Dr A. Boumezrag – Sur la terre ancestrale des prophètes, le fracas des armes a supplanté la voix des prières. Israël, fort d’un soutien occidental indéfectible, s’érige en sentinelle d’un désordre régional où se mêlent domination, peur et silence diplomatique. Entre ambitions géostratégiques et ruines humaines, cette chronique explore les mécaniques d’un chaos entretenu, et interroge le destin d’un Moyen-Orient pris en étau entre la foi et la force.
Par-delà les dunes et les drones, entre les échos des bombes et les prières oubliées, le Moyen-Orient s’étire, déchiré. Sur cette terre ancienne où les prophètes marchèrent, une guerre moderne se rejoue sans fin, entre légitimité proclamée et humanité fracturée.
Israël, né des cendres de l’Europe antisémite, a vu le jour en 1948, dans la douleur d’une partition imposée et dans l’exil brutal de plus de 700 000 Palestiniens, que l’Histoire appelle la Nakba (la catastrophe). L’Etat hébreu s’est rêvé refuge. Il est devenu forteresse.
Au fil des décennies, de la guerre des Six Jours (1967) à l’opération Plomb Durci (2008), de la seconde Intifada (2000-2005) à l’offensive «Déluge d’Al-Aqsa» du Hamas en octobre 2023, chaque phase du conflit israélo-palestinien a renforcé un déséquilibre assumé. Israël, technologiquement supérieur, militairement intouchable, politiquement soutenu par les grandes puissances occidentales, s’est imposé comme un gendarme régional : il frappe fort, justifie vite et reste impuni.
Le soutien américain, pilier structurel de cet ordre asymétrique, n’a jamais faibli. En 2023 encore, les Etats-Unis ont opposé leur veto à plusieurs résolutions du Conseil de sécurité appelant à un cessez-le-feu à Gaza, alors que plus de 35 000 civils palestiniens étaient déjà morts sous les bombardements israéliens. Joe Biden réaffirmait «le droit d’Israël à se défendre», formule devenue automatique, mécanique, déconnectée du terrain.
Mais de quelle défense parle-t-on ? Quand une armée d’occupation maintient un blocus total sur un territoire comme Gaza depuis 2007, prive une population d’eau potable, d’électricité, de liberté de mouvement… Quand des colons armés multiplient les incursions en Cisjordanie, chassant les familles palestiniennes de leurs terres… Quand le gouvernement israélien actuel affirme vouloir détruire le Hamas tout en refusant toute perspective d’un Etat palestinien souverain… Alors ce n’est plus la défense d’un territoire, mais la gestion militarisée d’un chaos contrôlé.
Le chaos n’est plus une conséquence, il est devenu une stratégie. Et Israël, dans ce système, ne protège pas la paix : il sécurise un déséquilibre, avec la bénédiction des puissants. Pendant ce temps, les puissances arabes oscillent entre normalisation froide et silence complice. L’Iran souffle sur les braises, finançant le Hezbollah et le Hamas, transformant les douleurs humaines en levier idéologique.
Derrière ce désordre, une architecture
Israël agit dans une logique de domination préventive, renforcée par une peur existentielle héritée. Les Etats-Unis y voient leur base avancée contre l’instabilité islamiste ou iranienne. Les monarchies du Golfe, jadis ardentes défenseures de la Palestine, coopèrent aujourd’hui avec Tel-Aviv pour leurs intérêts économiques et stratégiques. L’Iran, en revanche, capitalise sur la souffrance palestinienne pour renforcer son influence régionale.
Et au-delà des Etats, des groupes d’intérêt transnationaux – industries de l’armement, cybersécurité, cabinets de lobbying – prospèrent sur ce chaos. Gaza devient un laboratoire de guerre urbaine, les drones israéliens s’exportent comme des produits testés en conditions réelles. La souffrance est devenue argument commercial.
Et l’ONU, l’Europe, la communauté internationale ? Spectateurs impuissants ou complices passifs. Le droit est contourné, le silence est acheté, et l’ordre mondial se désagrège dans l’indifférence.
Pourtant, cette terre n’est pas que politique. Elle est spirituelle. C’est ici qu’Abraham, Moïse, Jésus et Mohammed furent liés à l’éternité. Mais aujourd’hui, les prophètes se taisent, étouffés par le vacarme des missiles. La terre des prophètes est devenue un champ de ruines, quadrillée par les armées, cartographiée par les algorithmes, souillée par les discours de haine.
Israël, sentinelle du chaos ? Oui, si l’on accepte que cette sentinelle ne garde plus un temple mais une mémoire militarisée. Oui, si l’on comprend que derrière la sécurité se cache une idéologie. Oui, si l’on ose dire que le vrai danger n’est pas l’autre, mais la perte de soi.
Il est encore temps de changer. De rendre à la mémoire des prophètes sa vocation de paix. De ne plus être la sentinelle du chaos, mais le témoin d’une paix possible. Non pas gardien de frontières, mais artisan de justice. Non pas des Etats sacrés, mais des peuples vivants.
Mais tant que l’on confondra puissance et justice, domination et paix, la sentinelle du chaos régnera sur des ruines. Et les pierres des prophètes pleureront, non de rage, mais d’avoir vu les hommes trahir la promesse de la terre. Il ne tient qu’à nous de briser ce cycle, non avec des armes, mais avec une parole qui libère, une mémoire qui répare et un courage qui désarme.
A. B.