La vitale prise de conscience politique collective des Algériens de France
Une contribution de Mohsen Abdelmoumen – Nous en avons parlé à maintes reprises, la crise actuelle entre l’Algérie et la France ne cesse de rebondir et d’évoluer depuis juillet 2024. D’apparence conjoncturelle et à très forte intensité médiatique, cette crise entre les deux Etats se mue en une crise structurelle moins médiatisée mais plus profonde, conduisant à un découplage profond entre les deux Etats, leurs peuples et leurs trajectoires de développement. Par ailleurs, une crise interne entre l’Etat français et l’immigration algérienne installée en France prend de l’ampleur suite au meurtre du jeune Cissé, pourtant malien, dans une mosquée en France.
Il est donc important d’analyser le sujet de cette crise entre la France et l’Algérie, selon deux axes distincts. D’une part, le processus de découplage inévitable entre l’Etat français et l’Etat algérien se trouve accéléré par la crise actuelle du fait de la volonté de l’Algérie de se dégager de l’étau néocolonial et parasitaire de la France, tandis que, du côté français, il n’y a manifestement aucune volonté d’améliorer réellement et en profondeur les relations avec l’Algérie du fait de l’emprise d’un courant d’extrême-droite et de l’establishment néocolonial sur la politique française et la frénésie de revanche de ces fascistes bon teint vis-à-vis de l’Algérie. D’autre part, on assiste à un refus de la communauté algérienne installée en France de servir de bouc émissaire à tous les maux de la société française en étant pointée du doigt par ce même courant d’extrême-droite et de l’establishment néocolonial en guerre ouverte contre l’Algérie et les Algériens.
Il est évident que la crise externe de la France avec l’Etat algérien et sa crise interne avec les Algériens de France sont profondément liées, car elles sont toutes deux amorcées et alimentées par le même establishment xénophobe et néocolonial français qui souhaite s’emparer du pouvoir politique via le Rassemblement national ou la droite dure pseudo-républicaine à la Retailleau, qui multiplie et amplifie les conflits avec l’Algérie et la communauté algérienne installée en France comme tremplin vers le pouvoir. En effet, l’instrumentalisation de la haine et du ressentiment d’une fraction importante de la population française contre l’Etat algérien et la communauté algérienne en France est au cœur de la stratégie de ce courant d’extrême-droite xénophobe pour arriver au pouvoir et s’y maintenir. Ce sont les franges de la population française qui haïssent l’Algérie qui forment le noyau dur de ses militants, et la haine viscérale à l’égard de l’Algérie et des Algériens de France constitue sa matrice idéologique néocolonialiste et nourrit son pseudo «programme» que l’on peut résumer par la volonté de faire des Algériens de France les boucs émissaires de tous les problèmes français, un peu à l’image des juifs en Europe dans les années 1930.
Malheureusement, la marche de ce courant vers le pouvoir semble irréversible, notamment depuis qu’il est appuyé par la fraction influente des grands milliardaires français sionistes et catholiques, viscéralement hostiles à l’immigration, en général, et à la communauté musulmane, en particulier, et qui a pris pour cible les Algériens comme moyen de ralliement.
Accélération du découplage entre l’Algérie et la France
Sur le front de la crise entre les Etats algérien et français, un nouveau fait de barbouzerie française vient d’être révélé et participe à l’accélération du découplage de l’Algérie et de la France. Les services aéroportuaires algériens viennent de refouler à l’aéroport Houari-Boumediene deux agents de la DGSI qui tentaient de s’infiltrer en Algérie avec des passeports diplomatiques. Cela s’appelle être pris la main dans le pot de confiture, et les deux espions français ont rejoint l’avion de retour une main devant et une main derrière. Nouvelle humiliation pour le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui semble aimer se prendre des gifles puisqu’il enchaîne les coups fourrés contre l’Algérie, qui échouent à chaque fois. Retailleau serait-il un adepte des BDSM ? Au point où en est la France de Macron, nous ne nous étonnons plus de rien. Néanmoins, en voyant ce comportement insensé, on comprend que l’Algérie cherche à élargir sa souveraineté et à se libérer de relations toxiques avec la France, dont la mentalité profondément néocoloniale empêche toute relation saine avec ses anciennes colonies, notamment en Afrique et, particulièrement, avec son joyau perdu, l’Algérie. Et d’ailleurs, dans la foulée, l’Etat algérien a décidé de renvoyer quinze employés français nommés en violation des procédures établies. Ces personnes exerçaient des fonctions diplomatiques ou consulaires sans respecter les règles en vigueur sur le sol algérien. Une gifle supplémentaire.
Aujourd’hui, les autorités algériennes renouent avec une doctrine et une dynamique de recouvrement de la souveraineté qui date d’un siècle et nous entrons dans la quatrième phase de ce processus dont il est important de rappeler l’historique pour comprendre les enjeux de la crise actuelle. La première étape de la lutte pour le recouvrement de la souveraineté a été le combat politique, visant à l’indépendance de l’Algérie comme Etat-nation, libéré de la tutelle coloniale française. Le long combat pour le recouvrement de l’indépendance de l’Algérie a connu deux tournants : la lutte pour l’indépendance politique avec la création du parti nationaliste algérien PPA dans les années 1920 qui affirmait déjà l’horizon d’un Etat social, égalitaire et progressiste, c’est-à-dire opposé à l’impérialisme, et l’appel du 1er novembre 1954 adressé à l’ensemble du peuple algérien pour lancer la guerre d’indépendance afin de recréer une Algérie juste, égalitaire et protectrice de ses citoyens, comme elle existait avant la nuit coloniale. Le second tournant, après le recouvrement de l’indépendance politique, est le combat pour mettre en place un Etat jouissant de toutes les souverainetés (économique, militaire, culturelle, législative) et maintenant l’orientation sociale et progressiste.
Après quarante années d’affaiblissement de l’Algérie et d’atteinte à sa souveraineté de 1980 à 2019 via une contre-révolution néo-libérale et intégriste pilotée par l’Occident sionisé, et à la faveur de cette crise avec la France, l’Algérie est en train de renouer avec ce deuxième combat pour la souveraineté par un franc découplage avec la France, et au-delà de la France, des forces de l’impérialisme, et à achever sa trajectoire pour renouer avec son statut d’Etat-civilisation.
Ce découplage actuel avec la France est très largement soutenu et désiré par la population algérienne, à l’exception d’une cinquième colonne pro-française qui était très influente durant ces quarante années, de 1980 à 2019, mais qui est en perte de vitesse aujourd’hui avec l’arrivée d’une direction patriote à la tête du pays. Il est plus qu’urgent de neutraliser et d’éradiquer une bonne fois pour toute cette cinquième colonne et ses résidus, comme nous avons éradiqué le terrorisme islamiste.
Renforcement de la souveraineté de l’Algérie sur tous les plans
Les différentes actions entreprises par les autorités algériennes pour renforcer la souveraineté du pays dans sa trajectoire de développement se sont déroulées sur les plans militaire, diplomatique, politique, économique, monétaire, culturel et éducatif, constitutionnel et législatif, et médiatique afin de réduire l’action parasitaire de la France.
Sur le plan militaire et sécuritaire, il est à noter que la crise récente entre la France et l’Algérie a considérablement réduit l’apport des services de sécurité algériens auprès de leurs homologues français, y compris dans le domaine du renseignement. Selon des échos rendus publics, le tarissement de la source algérienne a provoqué une panique au sein des services de renseignement français, intérieurs et extérieurs, qui comptent beaucoup sur le savoir-faire de leurs homologues algériens pour recueillir des informations sur les menaces terroristes visant les intérêts français et européens depuis le Maghreb ou le Sahel et sur le territoire français même. Et ce n’est pas en nous envoyant des barbouzes déguisés en diplomates que le dialogue entre les services va reprendre. L’éloignement est acté du côté de nos services de renseignement, encouragé par l’ambiguïté de la politique française vis-à-vis du terrorisme et de l’intégrisme religieux que la France encourage au Sahel, en Libye, voire dans ses propres banlieues, mais aussi en menant des actions de déstabilisation en Algérie même en essayant d’y recréer des cellules terroristes, profitant du retour des derniers djihadistes algériens ou franco-algériens de Syrie en Algérie, comme on l’a vu récemment avec l’affaire Ivan qui a fait le tour de la planète.
Sur le plan diplomatique au sens large, après une éclipse de vingt ans, l’Algérie reprend sa place de puissance stabilisatrice et développementaliste, notamment dans sa région naturelle, ce qui ne peut que provoquer une collision frontale avec la France qui poursuit une politique néocoloniale.
Les positions diplomatiques de l’Algérie comme défenseur des causes justes dans le monde la met en porte-à-faux, voire en opposition directe ou indirecte, avec la France pro-occidentale, pro-sioniste et néocoloniale qui maintient son ingérence diplomatique et militaire dans son ancien espace colonial en Afrique et au Moyen-Orient, notamment concernant les deux causes emblématiques des Nations unies, la cause sahraouie, comme dernier conflit non résolu lié à la décolonisation du XXe siècle, et la cause palestinienne. Dans son espace proche, l’Algérie adopte une position de long terme en manifestant son exigence ferme à l’égard de tous les acteurs extérieurs à la région de s’éloigner des ventres mous de la zone que sont la Libye et la bande sahélienne, au premier chef la France, ex-puissance coloniale et maître d’œuvre de l’affreux système de dépendance de la Françafrique qui a maintenu les pays du Sahel dans une pauvreté abjecte malgré leurs richesses. La doctrine de l’«Afrique aux Africains» était déjà celle de notre Etat-civilisation numide il y a plus de 2300 ans.
La diplomatie de développement de l’Algérie dans sa région visant à faire de l’Etat algérien une puissance pivot dans l’essor de cet espace géographique provoque une collision avec le rôle prédateur de la France qui a pillé la zone durant la période coloniale et postindépendance et qui continue à maintenir un dispositif néocolonial à son seul profit. Ainsi, l’Algérie collabore avec les Etats pour réduire les crises et assurer la sécurité tout en respectant scrupuleusement leur souveraineté, soutient les processus politiques inclusifs et la réconciliation nationale, elle annule leurs dettes auprès du FMI et met en place un fonds pour le développement et aide les pays de la région à renforcer leurs opérateurs nationaux via des programmes de formation de cadres. Enfin, l’Algérie, à la manière de la Chine avec ses routes de la Soie, investit directement et à ses frais dans les infrastructures routières, les dorsales gazières ou de fibre optique et les chemins de fer régionaux. Sur le plan économique, la nouvelle trajectoire économique de l’Etat algérien va de facto exclure tout partenariat avec la France et ses entreprises qui ne jouent pas le jeu égalitaire et cherchent encore à appliquer leur approche néocoloniale parasitaire en Algérie, comme avec leurs autres colonies.
L’ambition industrielle de l’Algérie va, par la force des choses, exclure la France qui refuse d’être un partenaire pour la politique de transformation en produits semi-finis et finis des nombreuses matières premières énergétiques, minières et agricoles que recèle l’Algérie, laquelle veut conserver la valeur ajoutée sur son territoire et créer des emplois, alors que la France privilégie l’importation des matières premières de ses colonies ou anciennes colonies à des prix préférentiels pour effectuer la transformation de ces produits en France métropolitaine dans le but d’accaparer la valeur ajoutée et les emplois de qualité sur son sol. L’Algérie est en train de nouer des partenariats au cas par cas avec toutes sortes de grandes puissances industrielles dont les grandes entreprises commencent à jouer le jeu de l’investissement direct en Algérie ou, le plus souvent, via des partenariats avec des entreprises algériennes.
De même, l’Algérie n’est plus une chasse gardée pour la France concernant les grands appels d’offres internationaux dans le domaine agricole, que ce soit le blé, les produits laitiers ou la viande bovine, du fait de la montée en puissance d’autres partenaires plus compétitifs ou plus agressifs commercialement. Enfin, l’Etat algérien entend réviser les accords d’association avec l’Union européenne qui se sont révélé un piège pour son développement économique.
Au niveau culturel et éducatif, l’Algérie a décidé de substituer progressivement l’anglais au français comme langue d’enseignement des matières scientifiques afin de réaliser un saut qualitatif dans ces domaines et pouvoir développer une coopération universitaire tous azimuts avec les puissances scientifiques d’excellence que sont les Etats-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde ou l’Allemagne qui jouent plus le jeu de la coopération, malgré une grande différence culturelle.
Enfin, sur le plan médiatique, face à la guerre médiatique algérophobe débridée orchestrée en France contre l’Algérie, des efforts se font jour pour renforcer la présence et la voix de l’Algérie à l’échelle internationale. Mais le chemin est encore long car la visibilité des médias algériens à l’international est malheureusement très faible.
La crise entre l’Etat français et la communauté algérienne de France
La mort du jeune Malien Aboubakar Cissé lors d’un crime islamophobe commis dans une mosquée du sud de la France a provoqué une vive réaction de la part de la communauté algérienne en France. Cette mort est massivement perçue comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase de la montée institutionnelle de l’islamophobie, de la xénophobie et de la haine anti-immigrés orchestrée par le courant d’extrême-droite de l’establishment français.
En effet, la réaction tardive, pour le moins timide et embarrassée des autorités françaises, notamment du président Macron et de son ministre de l’Intérieur raciste, xénophobe et islamophobe Retailleau, ainsi que la poursuite de la campagne haineuse contre les immigrés musulmans et particulièrement les Algériens par les médias affiliés à l’extrême-droite du milliardaire Bolloré, notamment lors d’un débat surréaliste sur le choix des mots entre haine des musulmans et islamophobie, ont exaspéré les Algériens de France qui sont victimes d’une forte discrimination et qui, de plus, ne se sentent plus protégés lorsqu’ils vivent ouvertement leur foi musulmane.
Ce climat rappelle celui qui a entraîné la fameuse marche des Beurs en 1983 à la suite de meurtres de jeunes Algériens de France. Assisterons-nous à la naissance d’un grand mouvement pour les droits civiques et politiques à la manière du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis dans les années 1960 ? Ou bien y aura-t-il un détournement et une répression par l’establishment français comme celui qu’a subi le mouvement de la marche des Beurs détourné vers la farce tiède de SOS Racisme avec la complicité du sayanim Julien Dray ? Dans une communauté qui a subi la montée de l’individualisme occidental et des fausses valeurs matérialistes et individualistes de l’ultra-libéralisme, y aura-t-il une place pour la prise de conscience politique, puis pour l’action ?
La communauté algérienne de France est aujourd’hui à un tournant car nous connaissons les plans de son ennemi, le courant néocolonialiste et xénophobe qui planifie méthodiquement et patiemment la remigration vers le pays d’origine de ses membres dits «non intégrés», c’est-à-dire non utiles au système capitaliste néolibéral et mal intégrés socialement et culturellement.
Allons-nous assister à une prise de conscience politique des Algériens de France pour se solidariser et défendre pleinement leurs droits politiques après quarante ans d’intégration «individuelle» voire «individualiste» forcenée, comme préconisé par le «modèle républicain» ? Il est temps d’appliquer la maxime de Gramsci et d’opposer l’optimisme de l’action au pessimisme de la raison car la maison France brûle pendant que l’Algérie, malgré tous les complots qui la visent, poursuit son chemin vers un avenir prospère.
M. A.
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