Célébration du 14 Juillet : un feu d’artifice pour une France artificielle
Une contribution du Dr A. Boumezrag – Alors que les fusées multicolores illumineront le ciel de Paris, une autre lumière s’éteint : celle d’une République qui peine à rassembler, à incarner, à faire croire encore. Ce 14 juillet 2025 célèbre moins l’unité nationale que sa mise en scène. La France brille… mais sous néon.
Boum ! Clac ! Crépitent les météores patriotiques au‑dessus des toits haussmanniens. Les enfants s’émerveillent, les touristes applaudissent, les ministres se prennent en selfie, pendant que les balayeurs municipaux, eux, comptent déjà les heures sup. Voilà la République version prime time : un tableau pyrotechnique, calibré pour l’écran vertical, sous le hashtag #FiersdÊtreFrançais.
Sous la flamboyance, la facture. Les pétards coûtent leur pesant de subventions tandis que les cantines scolaires ferment faute de budgets. Mais qu’importe : l’image est belle. Et dans un monde gouverné par le diktat des stories, la République vaut surtout par sa capacité à produire du contenu partageable. On n’élève plus les foules, on fait monter les vues.
On nous répète que «tout va mieux». La croissance flirte (timidement) avec l’horizon, le chômage recule d’un cheveu statistique, et la police guette dans l’ombre les décrocheurs de banderoles. La com’ est rodée : quelques drones lumineux, un discours calibré sur l’unité, et hop, emballé c’est pesé, la fraternité revient au galop. Jusqu’à ce qu’on rallume la lumière du quotidien.
Car pendant que les fusées dessinent des cœurs tricolores, les cœurs, eux, battent à vide. Aux portes des Champs Elysées, les files d’attente pour les aides sociales s’allongent. A l’autre bout du périph’, la cité des 3 000 découvre que son école primaire n’aura toujours pas de professeur de maths à la rentrée. La République «une et indivisible» ressemble décidément à un puzzle auquel il manque des pièces, et pas les plus petites.
Sur les écrans géants de la place de la Concorde défile un clip où des sportifs multicolores scandent «Liberté, Egalité, Fraternité». On reconnaît le visage photoshopé d’une star du PSG, sponsor qatari incrusté discrètement dans le coin. La nation se vend bien quand elle porte des crampons en titanium. Peu importe si le vestiaire parle plus anglais, espagnol ou wolof que français : pourvu que la victoire soit monétisable.
A droite, on agite la nostalgie d’un pays homogène qui n’a jamais existé. A gauche, on brandit le mot «République» comme un talisman pendant que les troupes se disputent la pureté idéologique. Au centre, on loue le «en même temps», cette grande idée molle qui consiste à dire tout et son contraire dans la même phrase, pourvu que l’algorithme de popularité reste dans le vert.
Pendant ce temps, la mémoire coloniale continue d’irriguer les rancœurs. Les uns parlent d’Algérie comme d’un paradis perdu, les autres comme d’une plaie vive, et personne ne se parle vraiment. Les extrêmes prospèrent sur cet interstice, champignons politiques d’un terreau mal composté. La République applaudit le feu d’artifice mais refuse toujours d’illuminer cette zone d’ombre.
La France artificielle, c’est aussi la France sous filtre numérique. On like La Marseillaise, on scrolle la devise, on partage une citation de Victor Hugo sortant de son contexte. C’est propre, c’est chic, c’est désincarné. La citoyenneté se mesure en pouces levés ; la démocratie en pourcentage de clics.
Demain matin, les fusées seront retombées en poussière. Il restera les trottoirs jonchés de papiers brûlés, une odeur de soufre, un léger bourdonnement dans les oreilles – et peut‑être la question : que célèbre‑t‑on, exactement ? Une République vivante ou son hologramme ? Le pays réel ou son clip promotionnel ?
A force de préférer le néon à la lumière du jour, la France risque de se réveiller aveuglée par son propre reflet. Un conseil : levez les yeux avant que le ciel ne soit vide, et regardez ceux qui, loin des fusées, bricolent déjà la République d’après. Elle ne brillera peut‑être pas autant, mais au moins sa flamme sera vraie.
Car au-delà des symboles et des spectacles, il reste une vérité silencieuse, celle des gens qui n’attendent plus rien de la République, parce qu’on leur a appris à ne plus espérer. Ceux-là ne crient plus, ne votent plus, ne protestent même plus. Ils vivent, ou plutôt, ils tiennent. Invisibles aux caméras, inaudibles dans les discours, mais bien présents. Et c’est là que se joue peut-être l’avenir.
Le véritable drame n’est pas tant l’éloignement du peuple de la République, mais l’éloignement de la République d’elle-même. Une trahison douce, insidieuse, où les principes deviennent slogans et les engagements éléments de langage.
Alors oui, ce soir, la France brillera. Mais la vraie question est : brillera-t-elle encore demain ?
A. B.
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