«Nouveau» Moyen-Orient de Netanyahou : c’est ainsi que meurent les empires !
Une contribution d’Ali Akika – On n’entend plus Netanyahou fanfaronner et pronostiquant un Moyen-Orient «remodelé». Il a pu le faire à un certain moment, enfermé qu’il est dans son monde particulier qui ne comprend rien à cet Orient compliqué, comme dirait un certain De Gaulle qui, faut-il le rappeler, est un autre acabit d’homme d’Etat. Netanyahou, né aux Etats-Unis, a sans doute quelques faiblesses du côté des connaissances en histoire et en géographie, comme son compatriote Georges Bush, président des Etats-Unis qui ne savait pas où est situé l’Irak, dont l’armée était en train de l’envahir. Pourquoi Netanyahou tient-il tant à remodeler le Moyen-Orient ? Ne lui faisons pas l’injure en pensant qu’il ignore la difficulté de pareille entreprise.
Mais pour un messianiste de son espèce et sa fascination pour l’idéologie de la force brute et bestiale, il est convaincu que la parole du Messie est plus forte que celle de ceux qui croient à la dynamique de l’histoire. Oublions ce qui se passe dans la tête de Netanyahou, peuplée de mirages et de miracles, et intéressons-nous à cette Palestine dont les ancêtres de ce Netanyahou avaient cru qu’elle était inhabitée. Et cette Palestine, dont le peuple n’a jamais cédé aux sirènes de la fatalité, tourmente Netanyahou depuis le 7 octobre. Voyons les obstacles que son Etat doit franchir et, à la fin des fins, l’Etat d’Israël construite en Palestine.
Et ce ne sont pas les agitations de Netanyahou, le Sisyphe israélien, qui vont donner du crédit à l’inanité de son chimérique projet du «grand Israël». Car Netanyahou sait que tant d’empires ont fini par sombrer et s’évaporer comme les mirages et les miracles dans cet Orient multiple et millénaire. Contentons-nous de survoler l’histoire des empires dont a hérité notre époque dite contemporaine.
L’empire ottoman. Cet empire contrôlait par le biais du détroit des Dardanelles l’entrée et la sortie de l’Europe et de l’Asie. Il ressemblait au colosse de Rhodes, sixième merveille du monde, surveillant l’entrée du monde grecque. Cette position géostratégique le mit en contact direct et relation avec le nouveau système dit moderne, autrement dit le capitalisme né au cœur de l’Europe. Et c’est ce capitalisme, et plus précisément l’Angleterre, sa terre natale, qui mettra fin à l’empire ottoman au lendemain de la Première Guerre mondiale. La chute des Ottomans n’est pas étrangère à leur alliance avec l’Allemagne, la vaincue de ladite guerre.
L’empire britannique. Il mérite qu’on s’y arrête deux fois plus qu’une. Il fut le cœur battant du capitalisme et à l’origine des malheurs de la Palestine. Ainsi, ce vieux et immense empire où le soleil, disait-on, ne se couchait jamais, la Grande-Bretagne «inventa» et, surtout, appliqua une notion nouvelle pour perpétuer sa domination et par extension celle de l’Occident. Cette «invention» dégoulinant de cynisme a pour nom le démembrement des pays. La Grande-Bretagne le fit pour sauver ses meubles et pour assurer son avenir. Hélas pour sa majesté british, au lendemain des deux premières guerres mondiales, l’empire fut ébranlé par l’émergence des guerres de libération, la révolution d’Octobre en Russie, mais aussi talonnée par des puissances comme l’Allemagne et le Japon, et, le dernier, les Etats-Unis, qui le remplacèrent au Moyen-Orient.
Ainsi, durant cette période de transition avant la mondialisation, la perfide Albion, cynique et rusée, utilisa et exploita les facteurs ethniques, religieux et tout autre facteur de division que ces pays et nations ne pouvaient résoudre pour des raisons qui nous paraissent aujourd’hui évidentes. Mais quand le glas sonna pour les pays colonisateurs, la perfide Albion sortit de sa besace le démembrement des pays colonisés. Cette recette engendra des ravages qui sont loin, de nos jours, d’être effacés ou cicatrisés. Citons le démembrement de l’Inde qui accoucha du Pakistan, lequel accoucha de deux Cachemire et, plus tard, du Bengladesh. Et la liste n’est pas finie, Palestine, Chypre et autres «petites mine» ethno-religieuses laissées aux frontières de certains pays d’Afrique.
L’ère des Etats-Unis et de son protégé au Moyen-Orient. Netanyahou, doit se faire des soucis car le monde est en transformation et notamment le Moyen-Orient. Lui qui rêve d’être un des riches héritiers de ce Moyen-Orient remodelé, son «nouvel Eldorado», il risque de déchanter ; l’Oncle Sam va se servir d’abord car il veut garder seul le contrôle de la région pour affronter la Chine, son rival numéro un. Sauf que pour le contrôle de la région, Israël et les Etats-Unis connaissent leur obstacle principal, l’Iran. C’est pourquoi ils lui ont fait la guerre en juin et la referont pour éviter que ce pays se joigne à la Russie et la Chine pour le contrôle des routes terrestres dites de la soie, reliant l’Asie à l’Europe, et éviter les mers et les détroits surveillés par les Américains. Mais laissons de côté l’éventuelle et grande confrontation sino-américaine et cernons la situation concrète des ambitions d’Israël et de ses délirants projets. Les empires cités plus haut reposaient sur de réels atouts de puissance, à la différence d’Israël qui, au bout de 12 jours de guerre, s’est trouvé isolé du monde, ses ports et aéroports fermés.
De plus, la guerre a détruit bases militaires et infrastructures énergétiques et industrielles, l’obligeant à quémander le cessez-le-feu. Voyons justement les facteurs militaires combinés à ceux de la politique et de la géostratégie des grandes puissances qui ne vont certainement pas laisser l’Etat d’Israël jouer à la grande Sparte de l’antique et fabuleuse civilisation grecque.
Les facteurs militaires. Voilà un Etat qui reçoit une aide annuelle des Etats-Unis de trois milliards de dollars (1), et une armée de 165 000 hommes/femmes et qui, au bout d’une ou deux semaines de guerres voit s’épuiser ses stocks de munitions (durant la guerre avec l’Egypte 1973, Kissinger organisa dare-dare un pont aérien qui sauva l’armée d’Israël d’une cuisante défaite) et idem en juin 2025, Trump, dont les arsenaux étaient vidés par la guerre en Ukraine, demanda un cessez-le-feu à l’Iran pour sauver son obligé. Voilà donc un Netanyahou qui rêve de façonner le Moyen-Orient avec une armée qui épuise ses soldats et vide ses arsenaux face à des armées étatiques professionnelles. Et même face à un Gaza encerclé et affamé, la même armée piétine depuis 22 mois.
Au-delà des problèmes de l’armement, de la logistique et des dollars, il y a plus grave ; c’est la multiplication des champs de batailles, des troupes éparpillées en Palestine, au Liban, en Syrie, sans oublier les contraintes de la guerre de mouvement d’un champ de bataille à un autre. Les observateurs l’ont remarqué quand il a fallu déplacer des troupes de Gaza à la frontière nord face au Hezbollah, et plus récemment en Syrie. Du reste, les pertes actuelles subies par Israël à Gaza, entre embuscades meurtrières et transport de troupes sur des voies de passage minées, expliquent la résistance des Palestiniens et son refus de céder à Netanyahou qui veut une «victoire» sans payer le prix. Evidemment, les «experts» et autres perroquets reprennent les communiqués officiels de leurs maîtres et débitent en chantant la liquidation de la résistance. En Ukraine, comme à Gaza, c’est toujours la même chanson sous la direction du même chef d’orchestre.
Les facteurs politiques et géostratégiques. Netanyahou se voit ou croit jouer dans une cour de récréation d’une école, en imposant ses oukases à des petits élèves. Les raisons politiques et les enjeux géostratégiques des grandes puissances ne vont pas le laisser s’agiter et porter atteinte à leurs intérêts. La future réunion à l’ONU pour augmenter le nombre de pays reconnaissant l’Etat de Palestine est un signe. Les réactions de pays amis d’Israël envoient un message à Netanyahou pour lui signifier qu’il y a des limites à ne pas dépasser car elles ternissent leur image de temple de la «démocratie» et renforcent les BRICS. Quant aux autres puissances, situées au Moyen-Orient, l’Iran, ou étrangers à la région, la Russie et la Chine, elles vont lui rappeler que ni leurs intérêts ni leur stratégie politique ou militaire ne sauraient être entravés par des ambitions démesurées, délirantes et arrogantes, qui aliment sa fumeuse théorie de la paix par la force.
Pour conclure, le jeu des grandes puissances est en train de se mettre en place. La guerre en Ukraine en a dessiné les enjeux et les alliances – formelles ou non. Ailleurs, les guerres larvées autour des contrôles des mers et des détroits (Panama, Arctique) se préparent. On a déjà une idée où vont avoir lieu les prochains champs de bataille du Moyen-Orient. Mais d’autres champs dans d’autres pays en Asie de l’Ouest couvent des braises qui ne tarderont pas à s’allumer. Par exemple, du côté de l’Azerbaïdjan, ami d’Israël, en étroite union avec la Turquie, qui joue un jeu qui ne plaît ni à la Russie ni à l’Iran. Et, un peu plus loin, en s’enfonçant dans l’Asie, le feu brûle, et c’est une surprise, entre la Thaïlande et le Cambodge. Tous ces brasiers potentiels ont un lien avec les routes de la soie. On connaît la route de soie de la Chine, mais les Etats-Unis ne veulent pas laisser le champ libre à leur rival chinois.
Un dernier mot, au regard de tous ces enjeux, que pèsent les ambitions et les songes de Netanyahou qui s’agite et bombarde du ciel des peuples démunis d’une défense anti-aérienne ?
Avec l’Iran, c’est une autre paire de manche. Il ne remodèlera pas le Moyen-Orient (2) car, dans cette région comme ailleurs, les conquérants sont toujours de passage. Excepté Alexandre Le Grand qui était habité par autre chose de plus grand que sa légende construite dans des champs de bataille, dans des pays dont les civilisations étaient aussi grandioses que celle de la Grèce qui l’a vu naître. Comme Ulysse, il est parti non pour avaler des territoires, mais pour percer sans doute les secrets qui l’ont poussé à un aller sans retour. On a perdu sa trace et personne ne sait où il repose. Un autre signe pour épaissir son mystère et grandir sa légende.
A. A.
1) Ces 3 milliards de dollars offerts pourraient payer un complément de salaire de 1 000 dollars à chaque travailleur sachant que la population active est de quelque 3 millions. 3 milliards de dollars divisés par 3 millions = 1 000 dollars. Evidemment, ces 3 milliards ne vont pas dans la poche des travailleurs, mais servent à entretenir une armée et une police pratiquement de la même taille que celle de la France. L’effectif de l’armée française est de 200 000 et 40 000 réservistes pour un pays frôlant les 70 millions d’habitants. L’armée Israël compte 165 000 et autant de réservistes ; en tout, 400 000 pour un Etat de quelque 9 millions d’habitants.
2) Pour s’informer sur la folie des démembrements des pays, lire les écrits de Brezinski, conseiller à la sécurité nationale du président Carter, qui ne voyait que le démembrement de la Russie en petits Etats pour se gaver de ses richesses sans risque. Drôle de mentalité !
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