Pour une gestion intelligente de l’énergie électrique

En 2010, la production d'électricité de l'Algérie a atteint 45,2 térawatts heure (TWh), en hausse de 5,6% par rapport à l'année 2009. Néanmoins, 227 GW de consommation électrique annuelle sont facturés aux abonnés sans pour autant être payés à Sonelgaz. Le coût des branchements illicites est estimé à plus de 25% du chiffre d’affaires de la SDA (filiale de Sonelgaz) alors que le rendement énergétique des infrastructures globales n'est guère supérieur à 20%.
Le Groupe Sonelgaz prévoit d’investir 30 milliards de dollars lors des 10 prochaines années pour satisfaire la demande croissante et améliorer la qualité de service. Ces efforts importants en matière d’investissement ont généré un déficit financier de 40 milliards de DA en 2010.
Fonctionnement actuel du réseau
Pendant des décennies, Sonelgaz a répondu à l'augmentation des besoins en électricité par la loi du «toujours plus» : plus de câbles… toujours plus épais… des voltages toujours plus hauts…. avec des réseaux de distribution BT complètement «aveugles» et «ignorants», et des déperditions massives d'électricité sur l'ensemble du réseau.
Le constat est clair : le modèle centralisé des grosses centrales (où l’électricité circule principalement dans un sens unique : des producteurs aux consommateurs) est tout simplement obsolète en raison principalement de l'absence de stockage. En effet, pour mieux réguler la distribution d’électricité, il faut parvenir à la stocker en période creuse, afin de ne fournir que l’électricité demandée, et à utiliser ces stocks tampons lors des pics de demande. Le stockage contribue à l’équilibre du réseau et à sa stabilité, il augmente l’efficacité des installations de transmission et de distribution et permet d’intégrer les énergies renouvelables.
Or, la caractéristique de l’électricité est qu’elle est très difficile à stocker. A tout moment, la quantité d’électricité demandée par le consommateur doit être égale à la quantité injectée sur le réseau de manière quasi immédiate pour éviter le black-out. Cet équilibre entre l’offre et la demande est aujourd’hui atteint de deux manières : en prévoyant la consommation électrique sur la base des données historiques et des conditions climatiques et en ajustant en permanence la production.
Gestion plus efficace des flux
Du fait d'une augmentation de plus en plus forte de la demande intérieure, la distribution de l'électricité connaît de fortes perturbations. Cette situation d'inadéquation entre l'offre et la demande en énergie électrique conduit Sonelgaz à opérer des «délestages» (en fonction des appels de puissance).
Un déséquilibre entre production et consommation se traduit par des variations de fréquence ou de tension sur le réseau qui peuvent endommager les équipements électriques. Un déséquilibre trop important provoque des coupures et des pannes de courant avec leurs nombreuses conséquences. Avant même de reconfigurer les réseaux électriques, ce qui représente des investissements lourds, il est nécessaire de les décongestionner en gérant plus efficacement les flux qu’ils véhiculent.
Nouvelles technologies de l'énergie
Toutes les réponses aux questions liées à la diminution du stock des énergies fossiles et à l'augmentation des gaz à effet de serre convergent vers les nouvelles technologies de l'énergie.
Développer durablement l'ensemble de la filière énergie électrique en Algérie est d'une absolue nécessité. L'objectif final étant d'optimiser la production énergétique et les services liés sur tous les maillons de la chaîne de la production à la distribution.
En premier lieu, un programme de modélisation doit être établi pour fournir un cadre à l'analyse prospective de la dynamique du marché énergétique algérien. Puis, il faudra procéder méthodologiquement en tenant compte des quatre préoccupations majeures à savoir :
1. L'approche systèmes
Face à la complexité de l'offre énergétique et à la demande des clients, Sonelgaz doit privilégier une approche système qui facilite leur association pour obtenir une solution globalement efficace.
2. L'économie d'énergie
Sonelgaz doit veiller à la réduction des pertes d'énergie dans les réseaux et installations électriques.
3. Les nouvelles sources d'énergie
Pour ce qui est de l'offre énergétique, Sonelgaz doit investir dans de nouvelles sources décentralisées via des technologies innovantes telles que la microgénération, le couplage et l'intégration, le solaire photovoltaïque et thermique, etc.
4. L'intelligence embarquée
Pour répondre aux enjeux de la demande croissante d'une énergie fiable, stable et de qualité et mettre en œuvre une gestion tarifaire dynamique de la consommation électrique, Sonelgaz est appelée à brève échéance à intégrer des systèmes intelligents au niveau de ses équipements de distribution et de gestion de l'énergie électrique.
Révolution Smart grid
Le Smart grid peut être défini comme un réseau électrique communicant (ou intelligent), dont les différents éléments sont reliés non seulement physiquement par des lignes haute, moyenne et basse tension, mais également virtuellement par l’intermédiaire de compteurs et autres appareils communicants. Le réseau électrique physique se double ainsi d’un réseau de communication, tirant profit du développement des technologies de l’information et de la communication (TIC). Suivant le principe que l’on ne peut contrôler ce que l’on peut mesurer, le déploiement de compteurs communicants (aussi appelés compteurs intelligents) devrait permettre une gestion plus efficace de l’électricité. En d'autres termes, il s'agit d'assurer l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité à tout instant et de fournir un approvisionnement sûr, durable et compétitif aux consommateurs.
Dans cette nouvelle configuration, le poste de transformation HTA/BT sera le point de rencontre entre la gestion du réseau MT et le comptage futé (Smart Grid Ready) en BT, et la tête de pont intelligente pour la gestion décentralisée du réseau en BT. La remontée de données de comptage sera assurée par un «Concentrateur futé» (ordinateur distribuant de l'intelligence sur le réseau BT).
La révolution Smart grid n'est rien d'autre que la capacité à faire communiquer des compteurs électriques, des capteurs posés sur des lignes électriques et un ordinateur central via un protocole internet. C’est en résumé le mariage réussi de l'internet et des réseaux électriques grâce à des logiciels de contrôle révolutionnaires qui, à tout moment, permettront de connaitre l'évolution de la consommation électrique et d'en optimiser les coûts.
Caractéristiques
Les réseaux intelligents peuvent être définis selon quatre caractéristiques :
• Flexibilité : ils permettent de gérer plus finement l’équilibre entre production et consommation.
• Fiabilité : ils améliorent l’efficacité et la sécurité des réseaux.
• Accessibilité : ils favorisent l’intégration des sources d’énergies renouvelables sur l’ensemble du réseau.
• Economie : ils apportent, grâce à une meilleure gestion du système, des économies d’énergie et une diminution des coûts (à la production comme à la consommation).
Transformation de l'architecture des réseaux électriques
La plupart des réseaux électriques dans le monde sont construits selon la même architecture. L’électricité est généralement produite dans de grandes centrales, puis transportée vers les postes de transformation, avant d’être distribuée aux utilisateurs finaux. Actuellement, il existe très peu d’installations de stockage de l’électricité (barrages hydroélectriques par exemple), ce qui signifie que la production d’électricité doit constamment égaler la consommation. C’est le gestionnaire de réseau qui est chargé d’assurer cet équilibre.
Le Smart grid constitue une révolution conceptuelle dans la mesure où la circulation bidirectionnelle des électrons affectera à la fois le côté production et le côté consommation. Cette nouvelle architecture des réseaux électriques entraînera plus de flexibilité et transformera profondément notre rapport à l’électricité.
Interopérabilité des équipements dans les Smart grids
Les Smart grids sont des systèmes complexes mettant en œuvre toute une architecture d'équipements connectés les uns aux autres, et couvrant les systèmes de transport, de distribution (*), de livraison, de comptage (**) et d'utilisation domestique de l'énergie. Ces équipements sont fabriqués, mis au point et livrés par tout un écosystème industriel, un même équipement pouvant être fourni par plusieurs industriels. Les équipements sont amenés à interagir les uns avec les autres et à s'échanger, en continu parfois, tout un ensemble d'informations nécessaires au bon fonctionnement des applications énergétiques : index, puissances appelées, courbes de charges… L'interopérabilité de ces équipements est alors un enjeu crucial pour le bon fonctionnement du Smart grid.
Cette interopérabilité ne peut être atteinte qu'à la condition d'utiliser des protocoles de communication fiables, clairement définis, standardisés voire normalisés, connus de tous les acteurs et de disposer d'outils qui permettent d'assurer que l'interopérabilité est bien réelle.
(*) Utilisation des CPL (courants porteurs en ligne) à grande échelle sur le réseau.
(**) Facturation sur la base de la consommation réelle du fait des capacités de télé-relève du compteur.
Capteurs de courants
Sans capteurs, il n’y a pas de Smart grid ! Les capteurs constituent le trait d’union entre le réseau physique et les systèmes intelligents. Déployés un peu partout dans le réseau (distribution, transport et production), ils jouent un rôle de sentinelles. En effet, les capteurs collectent les informations qui permettent de prendre les bonnes décisions relatives à la surveillance, le comptage d’énergie pour la facturation et la protection.
Ces informations doivent être fiables (cela nécessite donc des mesures très précises), remontées en temps réel, au format numérique pour transiter en CPL ou par radio. Comme ils sont déployés dans la majorité des cas sur une infrastructure existante, les capteurs doivent être non-intrusifs (ouvrant si possible) et peu encombrants, capables de mesurer des courants de type AC et DC.
Maitrise de l’énergie
La technologie G3 intégrée au compteur communicant mettra à disposition les informations avec une fiabilité accrue et permettra de traiter rapidement les données collectées et les ordres transmis. Grâce à des délais de remontées d'information réduits, un débit plus important et une meilleure qualité des communications, la technologie G3 assurera les besoins évolutifs dans le transport des informations.
Des systèmes tels que les «Energy Gateways» collecteront des données de capteurs mais aussi du compteur, les consolideront ou les traiteront et pourront ainsi déclencher différents mécanismes pour réduire les consommations et participer efficacement à la maîtrise de l'énergie.
Nouveau nœud du réseau électrique : le consommateur
Dans une vision internet du Smart grid, c'est le consommateur qui devient le véritable nœud du réseau électrique. Il régule simplement et automatiquement sa consommation, sa production et son micro-stockage. Il délègue de manière éclairée à des plateformes «Cloud» la régulation de son chauffage et le pilotage de ses appareils électroménagers intelligents, en fonction des signaux tarifaires du fournisseur d'énergie, et/ou de ses critères de confort.
Grâce aux nouvelles technologies de l’information, les gestionnaires de réseaux détecteront et localiseront facilement les pannes sur le réseau. Ils effectueront les opérations de maintenance, de relève et de conduite à distance. Les centres de contrôle des gestionnaires des réseaux d’électricité seront également informés en temps réel des besoins en énergie des consommateurs : ils distribueront alors la juste quantité d’électricité sur le réseau.
Cette évolution du système électrique amènera les consommateurs à devenir des acteurs de leur consommation, voire même de la production.
Acteurs majeurs
Le développement des réseaux intelligents nécessite le concours de nombreux acteurs :
• Les consommateurs, en régulant eux-mêmes leur consommation d’électricité, participent à l’efficacité du système.
• Les producteurs d’électricité comme Sonelgaz alimentent les réseaux de transport d’électricité et doivent être capables de répondre en temps réel à la demande. Le développement des Smart grids permet également aux producteurs décentralisés de petites capacités (ex : les éoliennes ou les panneaux photovoltaïques appartenant à des particuliers) d’être raccordés.
• Les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution, ainsi que les constructeurs de matériel électrique gèrent et installent les équipements de mesure assurant la sécurité et le fonctionnement des réseaux. Ils sont les acteurs techniques majeurs du développement des Smart grids.
• Les gestionnaires de processeurs et de systèmes informatiques comme Info vista, Intel, Google ou Cisco System, développent les technologies d’information indispensables au fonctionnement des réseaux intelligents.
• Les pouvoirs publics soutiennent et encadrent le développement des réseaux intelligents notamment par la définition de normes de communication et la protection des systèmes contre les intrusions ou détournements.
Quatre axes de travail
Quatre axes de travail sont recommandés pour la mise en œuvre des Smart grids :
– Le premier porte sur les infrastructures consommatrices : il s’agit de prédire leur comportement énergétique et d’identifier les gisements de flexibilité qu’elles présentent.
– Le deuxième porte sur les infrastructures de production et de stockage : il s'agit d'étudier la flexibilité apportée par les moyens de stockage locaux et le contrôle de la production électrique décentralisée.
– Le troisième concerne l’agrégation proprement dite : il porte sur l’infrastructure de communication et les solutions logicielles à mettre en œuvre pour récupérer les données des différents sites et les traiter, avec pour objectif un pilotage optimisé des flux.
– Enfin, le quatrième concerne les études économiques, environnementales et sociologiques.
Métier d'agrégateur
L’agrégateur est un intermédiaire entre le système électrique et les utilisateurs (particuliers, logements collectifs, industriels, bâtiments…). Son rôle est d’optimiser le fonctionnement d’un ensemble aussi large que possible de bâtiments ou sites industriels du point de vue de leur demande instantanée d’électricité, afin de les rendre acteurs de l’équilibre du système électrique.
L’agrégateur procédera à des délestages de certains usages électriques des bâtiments qu’il pilote, ou démarrera des groupes électrogènes de secours disponibles sur d’autres sites, durant les périodes de pointe de demande sur le réseau. Il agit donc comme un générateur de flexibilité locale et crée de la valeur pour ses clients en vendant cette flexibilité au système électrique. On appelle parfois cette flexibilité une «centrale électrique virtuelle». Pour jouer ce rôle, l’agrégateur a besoin de rendre les immeubles et sites qu’il pilote «intelligents», afin de disposer des informations et des moyens d’actions lui permettant de gérer son parc depuis un poste de commande central. Il a également besoin de développer des logiciels destinés à modéliser les réactions de l’immeuble (par exemple le chauffage) à telle ou telle situation, afin de pouvoir agir en préservant un niveau de service minimum. Enfin, il doit disposer des systèmes d’information lui permettant de prévoir la situation future du réseau et de valoriser la disponibilité de puissance disponible créée.
Ordinateur quantique et révolution informatique
Pour traiter en temps réel des milliards de données, il est nécessaire de disposer de la puissance de calcul requise et de développer des normes de communication et des interfaces permettant aux données de circuler entre les différents éléments du réseau. Pour relever ce défi, l'ordinateur quantique est tout désigné en raison de sa capacité (qui reste toujours théorique) à exécuter plusieurs millions de calculs simultanément et de ses processeurs «spintroniques» qui n'ont pas besoin d'électricité pour conserver les données.
Fibre optique et révolution dans les usages multimédia
La réussite du mariage entre les technologies de l'énergie et celles de l'information est conditionnée par la rapidité du débit et donc par l'usage de la fibre optique. En effet, les débits de la fibre optique, jusqu’à 10 fois plus rapides que ceux de l’ADSL et pouvant atteindre plus de 100 Mbit/s (très haut débit), favorisent l’émergence de nouveaux usages internet et multimédia à la maison, dans les entreprises et services publics.
D'un point de vue client, le THD amène dans les connexions internet (dans chaque sens) une meilleure qualité de service en apportant simultanéité, rapidité et symétrie.
Le THD est indissociable du Smart grid dans la mesure où intelligence artificielle, rapidité de traitement des données et rapidité de transport de l'information permettent :
– de connaitre à chaque étape, localement (du producteur au consommateur) les flux, les besoins, les pics de demande, les situations locales de pénurie ou de déperdition électrique… et d'en informer tous les acteurs en temps réel, de manière à redistribuer l'énergie sur le réseau et d'en optimiser la consommation.
– d'anticiper les pics et creux de consommation et de répartir plus efficacement la production d'électricité sur le réseau, selon la demande locale à l'instant T.
Conclusion
Passer à un autre mode de consommation énergétique devient évident et surtout inévitable. Profiter des avancées de plusieurs secteurs (celui des capteurs, des télécommunications et des technologies de l'information) pour fournir un système de gestion de l'électricité plus efficace et moins énergivore est salutaire. Gérer en temps réel des flux d’électricité et d’information dans les deux sens et gérer des centrales à la production très fluctuante, tels sont les deux défis que les réseaux devront relever en se criblant d'électronique.
Les réseaux intelligents sont notre seule chance de conserver notre rythme de consommation électrique actuelle. Plus réactifs et communicants, ils permettront de répondre aux défis que constituent l’intégration de la production électrique d’origine renouvelable, la maîtrise de la demande énergétique, la gestion des pics de consommation et le développement de l’usage de la voiture électrique.
On notera enfin que l'émergence des réseaux intelligents est accentuée par l'évolution des logiques législatives introduites par l'ouverture des marchés de fourniture d'électricité à la concurrence.

Mourad Hamdan, consultant en management

Principales références
– Travaux du docteur Louis Arnoux sur les nouvelles technologies et les réseaux d'énergie.
– Séminaire (organisé par Asprom) sur la maîtrise de l’énergie : Convergence Energie Télécoms : une nouvelle révolution.
– Smart grid, kesako ? Le cahier des chroniques scientifiques (numéro 18 de septembre 2010)
– Nouvelles technologies de l'énergie et gestion intelligente de l'énergie (AEPI septembre 2006)
– Wikipedia

 

Commentaires

    Sidahmed
    20 juin 2016 - 8 h 25 min

    La production de l’énergie
    La production de l’énergie électrique en Algérie se fait d’une manière centralisée dans des centrales électriques, c’est à dire qu’il n’est pas nécessaire d’aller à la gestion intelligente de l’EE du moment que les consommateurs ne participent pas à la production ( production décentralisée).

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