Comment le népotisme a ruiné l’économie du monde arabe

Quand ils se lâchent pour écrire des billets d’humeur et non un rapport phare – comme ils l’appellent – les experts de la Banque mondiale livrent le côté caché (plutôt méprisant) de ce qu’ils pensent des économies arabes soumises à leur examen. En janvier 2009, la Banque mondiale a publié un rapport sur le secteur privé intitulé «Des privilèges à la concurrence : renforcer la croissance par le développement du secteur privé au Moyen-Orient et en Afrique du Nord». Un document qui traite donc de notre pays aussi. Que dit ce rapport ? «Les réformes économiques des décennies passées ont transformé les pays de la région d’économies dominées par le secteur public à des économies où plus de 80% de la valeur ajoutée, hors secteurs des mines et des hydrocarbures, est produite par des entreprises privées. Récemment, les réformes de l’environnement des affaires se sont accélérées dans plusieurs pays». Le 22 août dernier sur le site de la Banque mondiale, un des rédacteurs revient sur ce rapport pour en faire une lecture à la lumière du «printemps arabe» intervenu entre-temps. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est pas tendre avec les économies arabes et encore moins avec leurs dirigeants, enclins, selon lui, à entretenir un «népotisme institutionnalisé». C’est ce qu’il écrit dans sa conclusion : «La base économique des pays de la région Mena est relativement peu diversifiée et le contenu technologique des biens produits est plutôt faible. Ces deux caractéristiques vont à l’encontre du fait que les pays de la région se classent dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire. Leur perpétuation trouve son origine dans une forme de fermeture aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, et dans un népotisme institutionnalisé qui a précisément veillé à contrer toute pression concurrentielle.» Les patrons en prennent un coup, eux aussi. L’expert estime qu’en Tunisie, en Egypte, en Libye – il ne cite pas l’Algérie, mais c’est implicite – «la réussite d'un ou (plus rarement) d'un entrepreneur dépendait de leurs relations plutôt que de leurs compétences». Il utilise le verbe peu flatteur «s’acoquiner» (littéralement : faire une mauvaise fréquentation) pour décrire la relation établie par les patrons nationaux avec les dirigeants des pays étudiés (dont l’Algérie) «pour monter une affaire». Il souligne que «de telles connexions étaient les seuls garants de réussite et prospérité dans le secteur privé». Autrement dit : le succès éventuel d’un privé n’a rien à voir ni avec son esprit d’entreprise ni avec le marché, mais dépend totalement de sa relation avec les dirigeants du pays. L’expert de la Banque mondiale va plus loin : «Ces liens entre décideurs politiques et économiques, écrit-il, ont infléchi le développement de l'économie au profit de quelques acteurs bien placés qui avaient la mainmise tant sur les opportunités que sur les ressources.» Tout est fait, résume-t-il, «en faveur de quelques privilégiés». Il enfonce le clou en évoquant «la médiocrité du contenu technologique des biens» que produisent ces patrons. Un mot est utilisé plusieurs fois dans le billet de l’expert : «innovation» ; il est fort à parier que les perroquets que compte le monde arabe, Algérie comprise, ne manqueront pas de le répéter sans en comprendre le sens, bien sûr. Car pour avoir l’innovation, explique l’expert de la Banque mondiale, il faut «l’acceptation des investissements étrangers», sinon, «la perspective d’une innovation réelle, seule capable de générer les emplois à revenu intermédiaire tant attendus dans l’ensemble de la région, se fermera inéluctablement». En quelques mots, l’expert veut nous dire que le privé national est incapable et qu’il faut ouvrir non seulement la fenêtre mais toutes les portes aux investisseurs étrangers, sans conditions. C'est la condition de la Banque mondiale.
Ramdane Ouahdi
 

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