Non à la provocation, à la violence et au banditisme

Tout est dit et l'on vient trop tard, disait De la Bruyère. Ne croyant pas à cette affirmation, je me permets, bien que tardivement, de contribuer à cette polémique provoquée par le film islamophobe à caractère blasphématoire et attentatoire au Prophète intitulé L'innocence des musulmans. La sacralité de la personne du prophète Mohamed, la sacralité de la liberté d'expression : l'opposition de deux valeurs quasi-vertueuses s'inscrivant dans deux logiques différentes, la liberté de l'ici-bas, et le culte de l'au-delà, est si totale que les conflits et les tensions qu'elles ont suscités par le passé fait figure de paradigme. Les querelles, provoquées par la diffusion sur Internet de quelques séquences du film, qui nous agitent aujourd'hui leur doivent quelque chose. Au point qu'on se prend à se demander pourquoi l'une et l'autre des sacralités s'y serait située. Si cette querelle est d'un acharnement thérapeutique peu commun, c'est aussi qu'elle a permis aux deux protagonistes qui croient à l'une ou à l'autre des deux sacralités de déployer chacun sa stratégie argumentative.
En Occident, Etats-Unis en tête, maître actuel des nations, qui s'est battu et se bat encore pour exercer et jouir de sa liberté d'expression, acquise grâce à tant de sacrifices et considérée – à juste titre – comme l'un des fondements des droits de l'Homme, l'argumentation est provocatrice et cyniquement déclarée d'un ton souvent superlatif et ex-cathedra, excluant ainsi toute concession, et cultive par la même ce paradoxe dans le caractère intolérable de la situation où s'affirme une mentalité peu soucieuse des nuances de l'autre. C’est une argumentation qui fait état d'un esprit obsessionnel, belliqueux, haineux et empreint d'islamophobie, de xénophobie et parfois même habité de «misanthropie».
Bref, il y a bel et bien cette inspiration polémique caractérisée par l'indécence de cet acte exaspérant de la diffusion du film, et la mécréance de ses auteurs calomniateurs coptes américains et israéliens est très apparente et combien même nocive. Le scandale est d'évidence, criant et confortant l'idée que l’Occident a, certes, une idée stratégique derrière la tête vis-à-vis du monde arabo-musulman. Ce qui nous permet, évidemment, de crier au complot ?
Chez les Musulmans, anciens maîtres des nations – avant le siècle des Lumières – qui se sont battus et se battent encore, notamment après les événements du 11 Septembre, pour faire valoir leurs droits spoliés, leur dignité touchée et leur religion violée, la réaction, bien que caractérisée parfois par une exacerbation au préjudice de l'islam qu'ils croient défendre, s'inscrit tout de même dans une logique de défense, pour un être qui leur est très cher et ayant une priorité sur la liberté d'expression elle-même très chère également. En effet, pour eux, la liberté la plus sacrée est celle du culte. Et sur ce sujet, ils considèrent que l'interdiction de la diffusion d'un film absolument offensant et contre leur religion devrait être perçue comme l'une des «exigences morales» citées par la Déclaration internationale des droits de l'Homme, limitant et même prohibant la liberté d'expression par la coercition. La situation des musulmans, outragés aujourd'hui, me rappelle la fin tragique de Socrate telle que décrite par J. J. Rousseau : «Socrate n'eût point bu la ciguë ; mais il eût bu dans une coupe encore plus amère la raillerie insultante et le mépris pire cent fois que la mort.» Comparaison rebelle à toute nuance et caractère de la situation, bien évidemment, intolérable. C'est un crime prémédité, n'est-ce pas? Dans cette polémique, les deux protagonistes ont manifesté leur singularité. Alors que les uns conçoivent la sacro-sainte liberté d'expression et de création artistique comme étant une liberté d'insulte pour les autres – plus particulièrement les Arabes et les musulmans – les autres montrent, on ne peut mieux, qu'ils ne tolèrent point que l'on profane leur religion, et que pour la défendre, ils sont prêts à se sacrifier ou à sacrifier les autres. Nous sommes ainsi dans une situation telle que personne n’est capable d’en prédire l’aboutissement. Néanmoins, et au-delà des habituels gargarismes des islamistes, particulièrement salafistes, il est temps de reconnaître que leur manière de contester est des plus barbares et n'a point changé depuis les premières contestations contre Salman Rushdie et ses Versets sataniques. Maintenant que les deux parties agissent à visage découvert, il faut espérer que leur querelle ne débouche pas sur une rupture totale entre les deux civilisations, occidentale et musulmane, et marque plutôt un tournant dans leurs relations. Tournant, dont j'ai bon espoir qu'il soit marqué par une coopération créative se substituant à leur relation conflictuelle d'aujourd'hui et d'antan. Sachant bien que le monde arabe importe 80% de ses besoins en ingénierie et produits industriels et 60% de ses besoins alimentaires, il est paradoxal que cette dépendance et cette insécurité ne font même pas débat, alors que pour un simple film mal écrit et mal produit par des amateurs ou pour des dessins caricaturaux, parus dans un journal inconnu, les Arabes et les musulmans répondent à la liberté d'expression par la violence au point que des vies humaines combien précieuses soient mises en danger par des actes gratuits.
En tout état de cause, une idée revient en force : le film en question ne serait qu’un complot euro-américain. Autrement dit, les manifestations sont donc vues comme ayant été programmées par quelques cabinets occultes occidentaux voire israéliens, qui visent, non seulement de déstabiliser le monde arabo-musulman déjà en ébullition depuis la révolution tunisienne et de nuire grandement aux relations christiano-musulmanes, particulièrement copto-musulmanes en Egypte, mais aussi et surtout, contribuer efficacement à l'échec du président Obama au scrutin présidentiel de novembre 2012. C'est là le nœud de l'affaire du film. C'est pourquoi, je me pose alors la question : «A quoi sert d'organiser de telles manifestations et mouvements contestataires par des fondamentalistes qui investissent bruyamment la rue de manière souvent violente et ne se suffisent point de scander des slogans anti-américains ?» Manifestations où ont lieu des débordements qui virent à l'émeute et ne profitent à plein qu'aux délinquants et aux ennemis des musulmans, qui ne peuvent que tirer les fils de notre tragédie qui perdure depuis des siècles et déboucherait inéluctablement sur la création des germes de la division de notre société, voire même ouvrir la voie aux ingérences extérieures qui débouchent toujours sur des catastrophes (cas de l’Iran et l'affaire des Versets sataniques en 1980, de l'Afghanistan et l'agression du 11 septembre 2001). Catastrophes pouvant permettre à l'Occident de prendre le contrôle du monde arabe pour l’asservir et garantir par la même, la sécurité et la domination régionale d’Israël ? C'est, évidemment, l'impardonnable des péchés qu'il faut éviter de commettre avant qu'il ne soit trop tard. A bon entendeur salut !
Fethy Haboubi
Ingénieur

 

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