Réforme de l’éducation : le roi est mort, vive le roi

Le Forum mondial sur l'éducation, qui s'est tenu à Dakar (Sénégal) du 26 au 28 avril 2000, sous l'égide de l'Unesco, fut le premier et le plus important évènement en matière d'éducation au seuil du nouveau siècle.

Le Forum mondial sur l'éducation, qui s'est tenu à Dakar (Sénégal) du 26 au 28 avril 2000, sous l'égide de l'Unesco, fut le premier et le plus important évènement en matière d'éducation au seuil du nouveau siècle.
Les délégués de 181 pays ont adopté un cadre d'action qui engage leurs gouvernements à apporter une éducation de base de qualité pour tous, notamment pour les filles, et se fait l'écho du souhait des pays et des institutions bailleurs de fonds qu'«aucun pays sérieusement engagé dans l'universalisation de l'éducation de base ne voit ses efforts contrariés par le manque de ressources».
Sous la pression de la Banque mondiale et des pays capitalistes, nous assistâmes à la décision mondiale de réformer l’éducation sous prétexte que dans de nombreux pays, il est inacceptable qu'à l'aube du nouveau millénaire plus de 113 millions d'enfants – surtout des filles – soient privés d'éducation primaire, que 880 millions d'adultes soient encore analphabètes, que la discrimination sexuelle continue de s'exercer à tous les niveaux du système éducatif et que la qualité de l'éducation dispensée ne réponde pas aux besoins des sociétés.
Le bilan aujourd’hui après l’adoption de la réforme capitaliste est lourd et grave, car cette réforme a été un fiasco pour de nombreux pays. En effet, nous devions avant de passer d’une réforme à une autre en faire le bilan et reformer notre système éducatif, et non pas suivre des pays que la crise mondiale avait affectés. En Algérie, plus de 90% d’enfants vont à l’école gratuitement et toutes les conditions étaient réunies pour continuer notre réforme éducative sans se plier aux exigences de l’Unesco et de la Banque mondiale, qui voyaient dans cette réforme mondiale un aspect politique et économique pour exiger la dépendance technologique de pays comme l’Algérie qui a vu, en l’espace de moins de 10 ans, disparaitre ce qui a été bâti dans l’éducation en 50 ans.
L'application des stratégies se fera essentiellement au moyen des mécanismes existants, surtout au niveau national. Les pays participants devaient préparer, au plus tard pour 2002, un plan global d'éducation pour tous (EPT), après consultation de leur société civile. Ce plan sera élaboré dans le contexte général des efforts de réduction de la pauvreté et des stratégies de développement, et, entre autres, devra spécifier des réformes, prévoir des indicateurs de performance à mi-parcours et établir des priorités budgétaires, de façon à ce que les objectifs soient atteints au plus tard en 2015. Des stratégies concrètes seront identifiées pour intégrer les exclus de l'éducation.
En adoptant le Cadre d'action de Dakar, les 1 500 participants au Forum ont réaffirmé leur engagement de parvenir à l'éducation pour tous d'ici à l'an 2015 et ont confié à l'Unesco le rôle de coordination générale entre les différents partenaires au plan international et la mission d'entretenir la dynamique engagée au niveau mondial.
Mais chez nous, on n’a jamais consulté la société civile et les décisions ont été prises sans tenir compte du travail fait par la commission Benzaghou, des avis d’hommes de terrain tels que le syndicaliste du CLA Osmane Redouane, surtout en ce qui concerne l’enseignement technique et ceux de syndicalistes qui, il faut le rappeler ont tiré la sonnette d’alarme sur cette réforme tout au début.
Aujourd’hui, voilà un nouveau ministre qui veut revoir la réforme à deux ans de sa fin.
Pour nous, l’échec est consommé et des générations ont été sacrifiées à cause de l’égoïsme de l’homme qui veut toujours avoir raison ou à des calculs politiques malsains.
Si le ministre de l’Éducation veut faire une réforme de la réforme, cela va de soit car les objectifs de la réforme capitaliste ont été atteints et 2015 c’est pour bientôt. Ou veut-il simplement nous dire « le roi est mort, vive le roi» ? La fuite en avant de Benbouzid continuera donc avec Baba Ahmed.
Au moment où l’opinion publique et l’ensemble de la communauté éducative sont en droit de réclamer le bilan de la mise en œuvre du plan d’urgence pour redonner un nouveau souffle à la réforme du système de l’éducation et de la formation, les dernières nouvelles ne sont guère réjouissantes.
De l’avis même des nouveaux responsables en charge de l’éducation nationale, le bilan des réalisations demeure plus que mitigé. La suspension des mesures présentées dans un passé proche comme étant salutaires pour le renouveau éducatif et l’allusion faite au manque de transparence ayant entaché les dépenses allouées à cette opération de sauvetage, ne peuvent qu’exacerber davantage la crainte quant au devenir du système éducatif algérien.
Rappelons dans un premier temps que la mise en œuvre de la réforme ne peut plus s’inspirer des approches reléguant la résolution des problèmes structurels auxquels se heurte l’école algérienne ; comme elle ne peut être menée par des politiques conjoncturelles, incapables d’inscrire la réforme du système éducatif au sein même des grandes transformations sociales desquelles le développement du pays demeure tributaire.
Dès lors que la mise en œuvre d’un plan d’urgence pour redonner un nouveau souffle à la réforme du système éducatif a révélé des dysfonctionnements majeurs, l’heure d’établir le bilan des réalisations est à l’ordre du jour. A cet effet, il s’avère nécessaire de reconsidérer à la fois l’évaluation de la démarche ayant inspiré la mise en place du plan d’urgence, les modalités de mise en œuvre ayant été adoptée et les mesures préconisées afin d’assurer l’adhésion de l’ensemble des acteurs éducatifs en faveur de la réforme.
Ainsi, les composantes essentielles représentant le socle même de l’acte éducatif devraient refléter les acquis de la révolution éducative moderne et permettre à l’Algérie d’affronter les défis de la compétitivité mondiale dans l’ensemble des domaines du savoir et des inventions.
Qu’il s’agisse du pilotage de la réforme ou bien de la rénovation des contenus d’enseignement et des modes de transmission des connaissances et des valeurs sociales, les méthodes archaïques aussi bien que les discours appartenant à un âge révolu devraient être rejetés totalement, en vue de rendre possible un renouveau culturel créateur et une réforme éducative globale.
L’école dont a besoin l’Algérie d’aujourd’hui devrait contribuer à consolider l’esprit de la rationalité et s’ouvrir de la sorte sur les grandes mutations qui ne cessent de marquer la production des savoirs à l’échelle planétaire, comme elle devrait être le vecteur de transmission des valeurs civiques et éthiques qui cultivent l’idéal de la citoyenneté responsable et entretiennent le désir de contribuer au bien-être commun.
Il semble que le temps soit venu de procéder à une critique radicale des discours et des démarches ayant entravé, dès l’aube de l’indépendance du pays, l’avènement d’un enseignement de qualité garantissant le droit de tous au savoir et contribuant à opérer les grandes transformations socioéconomiques et culturelles, sans lesquelles le développement humain et matériel auquel aspire l’Algérie demeurera un vœu pieux.
Rappelons-nous les fameux quatre principes relatifs à la fois à la généralisation, à l’arabisation, à l’algérianisation et à l’unification de l’enseignement qui furent considérées, durant des décennies, comme étant les piliers sur lesquelles toute réforme éducative devrait être bâtie et consolidée.
Pourtant, au fil du temps, les politiques éducatives tout en réalisant des acquis incontestables, n’ont pas cessé d’accumuler des ratages considérables.
Certes, des voix se sont fait entendre pour rappeler des évidences incontournables et tirer l’attention sur les dérives de l’idéologisation de la question éducative, et les dangers que représente l’instrumentalisation politicienne des aspirations de la nation et de la jeunesse algériennes à l’avènement d’un enseignement moderne ouvrant la voie à un avenir meilleur.
On le sait maintenant et plus que jamais, la massification d’un enseignement sans qualité a représenté plutôt un handicap ayant entravé l’intégration des jeunes dans le tissu socioéconomique du pays, le phénomène des diplômés chômeurs nous le rappelle à chaque instant. D’un autre côté, la mise en œuvre de la politique d’arabisation s’est soldée par un constat unique au monde, du fait que l’enseignement des disciplines scientifiques se fait au rythme de deux langues, imposant aux apprenants le passage, pédagogiquement insensé, de la langue arabe au primaire et au secondaire à la langue française au supérieur.
Ainsi, les orientations éducatives préfigurent les mutations sociales, culturelles et économiques auxquelles la société aspire. De la sorte, les orientations de cette nature sont en mesure de véhiculer le changement autant qu’elles risquent de freiner le processus de transformation sociale quand elles ne sont plus en phase avec l’esprit des temps présents et décalées par rapport aux exigences de l’avenir. De même, la mise en œuvre de la réforme demeure largement tributaire à la fois de la démarche ayant inspiré la conception des finalités à atteindre et de l’implication de l’ensemble des acteurs censés mener cette réforme au jour le jour.
Malheureusement, l’échéance qui a été fixée pour l’aboutissement de la réforme est désormais aussi proche que ne le sont les objectifs pour lesquelles le plan d’urgence fut déployé afin de réhabiliter l’école. Le département de tutelle en ayant favorisé une démarche ne permettant guère de s’attaquer aux problèmes structurels qui handicapent le système éducatif marocain avait opté pour des demi-mesures qui se sont gardées de susciter une mise en cause radicale des dysfonctionnements majeurs dont souffre l’école.
De la sorte, la refonte des curricula et des programmes scolaires fut abandonnée au profit de l’introduction de la pédagogie d’intégration aux cycles primaire et collégial. Or, au-delà du fait que cette approche avait fait preuve de ses limites au sein des systèmes éducatifs qui l’avaient adoptée par le passé au Maroc et en Tunisie, et qu’elle ne soit introduite dans aucun système éducatif européen, le département de l’éducation nationale a opté pour la généralisation de cette démarche sans procéder aux règles d’usage en la matière.
Ainsi, au lieu de procéder par le biais d’expérimentation permettant d’évaluer d’une façon concrète les retombées de ladite démarche sur l’amélioration des apprentissages et des méthodes d’enseignement, on s’est précipité de généraliser un protocole de recettes qui à terme ne présente aucune garantie de résultat et ce, malgré le considérable investissement humain et matériel consenti.
D’un autre côté, une année et plus après la mise en œuvre du plan d’urgence, la promotion de l’excellence au lycée tarde à se concrétiser faute d’une action audacieuse permettant de traduire les projets destinés à la résolution des problématiques transversales du système éducatif en mesures efficientes et réalisables. Ainsi, l’école de réussite tant clamée ne se profile guère à l’horizon et ce, malgré les moyens considérables mis à la disposition du département en charge de l’éducation, comparativement aux budgets alloués à ce secteur par le passé.
Ce constat fut rappelé encore une fois à l’occasion du dernier rapport de l’Unesco consacré aux déficiences du système éducatif algérien et qui se rapportent sommairement à la persistance de l’analphabétisme, l’énorme taux de déperdition scolaire en milieu rural et surtout à la faible rentabilité interne et externe du système de l’éducation et de la formation.
Face à cette situation qui ne peut hélas perdurer sans compromettre l’aboutissement des grands chantiers de la réforme touchant l’ensemble des secteurs socioéconomiques, force est de constater qu’une nouvelle politique éducative s’impose avec acuité. Désormais, le pilotage du redressement du secteur de l’éducation ne peut s’inspirer des formes de gouvernance ayant prévalu jusqu’à maintenant, comme il ne peut se faire en l’absence d’une implication effective des acteurs éducatifs et une prise en charge concrète des problèmes de l’école par l’ensemble de la communauté sociale.
Les impératifs de la réforme qui s’inscrivent dans l’ordre de l’urgence ne furent que relatés depuis plus d’une décennie et pourtant au lieu de s’attaquer aux handicaps structurels qui freinent l’avènement d’une école de qualité, les plans d’action préconisés dans le cadre du plan d’urgence ne font que reproduire des tentatives de réforme qui ont fait preuve de leur inefficacité dans le passé comme dans le présent.
L’école publique demeure certes le moyen le plus noble qui bâtit le socle sur lequel les nations érigent leur identité propre et par le biais duquel elles expriment leur génie, mais il n’en demeure pas moins que seules les nations ayant consenti des sacrifices énormes au bénéfice du savoir et de l’éducation se voient aujourd’hui récompensées et gratifiées en occupant une place privilégiée dans un monde où la connaissance et le savoir incarnent la marque-même des temps modernes.
A cet égard, l’école publique que l’Algérie est appelée à refonder devrait se démarquer du modèle s’inspirant sous d’autres cieux, de l’esprit de l’État centralisateur ne reconnaissant ni diversité culturelle ni particularisme régional. La tradition algérienne séculaire qui s’est distinguée par la prise en charge de l’institution éducative par les différentes communautés devrait se faire réhabiliter en faveur d’un engagement social solidaire au bénéfice de l’école.
Rappelons d’un autre côté que la réforme de l’école d’aujourd’hui, si elle présuppose un renouveau culturel global, nécessite inéluctablement la prise en compte d’une donnée de base se rapportant à l’avènement de la société du savoir qui nécessite une maîtrise sans faille des connaissances de la part des éducateurs et la qualification académique universellement admise de l’ensemble du corps enseignant. A cet effet, la mise en œuvre d’un vaste plan de formation continue et de mise à niveau académique au bénéfice de la communauté éducative ne peut désormais se limiter aux formations cultivant le pédagogisme ignorant et privilégiant l’application aveugle des recettes qui occultent la maîtrise du savoir au profit des pseudo savoir-faire qui depuis les années 1980 furent hissés au niveau de flambeaux n’ayant pas contribué à faire reculer les ténèbres de l’ignorance.
Engagement citoyen de la communauté sociale en faveur de l’école et maîtrise des savoirs de la part de la communauté éducative représentent le prélude incontournable au vaste programme de la réforme de l’ensemble des composantes du système de l’éducation et de la formation. La maîtrise des langues devrait désormais figurer parmi les priorités de ce programme et ce, par le biais d’une nouvelle approche reconsidérant la question linguistique dans sa globalité.
A cet égard, l’enseignement des langues est appelé à s’adapter aux contextes sociolinguistiques au sein desquels les apprenants évoluent, permettant de la sorte d’opérer un passage des langues maternelles aux langues d’apprentissage des savoirs fondamentaux. La prise en compte de l’origine sociale des apprenants et de leurs héritages culturels permet à cet effet de remédier aux inégalités initiales en matière de savoir et de savoir-faire, et d’atténuer de la sorte l’abandon de l’école et l’échec scolaire.
A l’heure où la revalorisation de l’ensemble des patrimoines culturels est à l’ordre du jour, la politique éducative en matière d’enseignement des langues ne devrait plus se cantonner dans une démarche ne prenant guère en considération les pratiques sociales en matière de communication et les grandes avancées enregistrées en matière de recherche scientifique et cognitive relativement à l’apprentissage et l’enseignement des langues. L’approche purement techniciste et le traitement de la question linguistique en Algérie ayant fait preuve de leur faillite, il va falloir trancher en faveur d’une approche qui met la question de l’enseignement des langues au cœur-même de la réforme éducative.
La langue comme il est dit de coutume est la demeure de l’être et le moyen privilégié par le biais duquel la pensée se forme et s’exprime et à travers lequel la parole humaine enchante le monde, ainsi l’acte éducatif ne peut accéder à sa vocation première qu’en étant en mesure de transmettre cette belle invention qui résume la beauté de la culture et l’ingéniosité de l’art humain.
Hakem Bachir, professeur de mathématiques au lycée Colonel-Lotfi d’Oran
 

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