Habib Guiza à Algeriepatriotique : «Ennahda ne respecte pas les libertés syndicales»

Algeriepatriotique : Le soulèvement du peuple tunisien a eu raison du régime despotique de l'ancien président Ben Ali. Pourtant, la pauvreté, le chômage et l'exclusion sont toujours là, deux ans après. La «révolution du Jasmin» a-t-elle échoué ?

Algeriepatriotique : Le soulèvement du peuple tunisien a eu raison du régime despotique de l'ancien président Ben Ali. Pourtant, la pauvreté, le chômage et l'exclusion sont toujours là, deux ans après. La «révolution du Jasmin» a-t-elle échoué ?
Habib Guiza : En effet, le processus révolutionnaire déclenché le 14 janvier 2011 en Tunisie a ouvert la voie à l’exercice réel de la citoyenneté et de ce qui s’en suit : libertés d’expression, d’organisation, de manifestation, que notre pays n’a jamais connues dans son histoire contemporaine. Mais il reste que les dimensions économiques et sociales sont les parents pauvres de ce processus et elles méritent une lutte intense contre le chômage, l’exclusion et la pauvreté, la création de milliers d’emplois décents pour les jeunes, notamment les jeunes diplômés de l’université, le développement régional et la répartition équitable de la richesse dans le cadre de l’élaboration d’un nouveau modèle de développement fondé sur l’efficacité économique et l’efficience sociale.
Sous le régime de Ben Ali, le pluralisme syndical était interdit. L'UGTT était la seule organisation syndicale légale en Tunisie. L’avènement d’Ennahda ne semble pas avoir amélioré la situation des libertés syndicales. Où se situe le blocage ?
Après le 14 janvier, il y a eu l’émergence du pluralisme syndical et la légalisation de la CGTT, malgré la réticence de l’UGTT. Le gouvernement de la Troïka, dominé par Ennahda, n’a pas respecté les libertés syndicales et le pluralisme syndical et a marginalisé les confédérations syndicales émergentes dont la CGTT et la Conect (nouveau syndicat du patronat) en violation des législations nationale et internationale (conventions de l’OIT), ce qui a contraint la CGTT à porter plainte contre le gouvernement tunisien au mois de mai 2012 pour violation des libertés syndicales.
Votre syndicat n'a pas participé aux négociations sociales qui ont eu lieu entre le gouvernement, l'UGTT et le patronat, portant sur le pacte social qui devait être signé le 14 janvier dernier. Vous avez considéré que ce pacte n'engageait que ses signataires. Pourquoi la CGTT a été exclue de ces négociations ?
Notre confédération syndicale a été exclue des négociations portant sur le pacte social en violation flagrante de la législation sociale tunisienne car le gouvernement veut marginaliser la question sociale.
Votre lutte syndicale est fortement imprégnée par la politique, vu que vous vous opposez aux islamistes au pouvoir. Faites-vous une distinction entre les salafistes et Ennahda, ou croyez-vous plutôt que ces deux mouvements sont les deux faces d'une même pièce ?
Notre organisation syndicale, la CGTT, est une organisation démocratique, autonome et moderne. Elle milite pour la démocratie, pour un nouvel ordre social et pour la réussite de la phase de la transition démocratique qui nécessite un Etat civique et démocratique, et un nouveau contrat social fondé sur la citoyenneté, l’égalité et la justice sociale et la nécessité d’un compromis historique. Le mouvement syndical fait partie de la société civile et du contrepouvoir, et a un droit de regard sur la situation politique au sens noble et ne peut pas être confondu avec des partis politiques. 
Les jeunes Tunisiens qui continuent de manifester le font pour des revendications à la fois politiques et sociales (libertés, emploi…) qui remettent en cause le modèle économique libéral appliqué en Tunisie. Quelle est votre position face à ces revendications ? 
La CGTT a proposé un nouveau contrat social fondé sur la citoyenneté, la réforme du marché du travail marqué par la segmentation, la création de milliers d’emplois décents et la réforme du modèle de développement.
Pensez-vous que la protestation sociale en Tunisie soit un terrain favorable aux islamistes ?
Je pense que les perturbations sociales dans ce contexte actuel où le gouvernement est dominé par Ennahda n'est pas en leur faveur, car il a exigé une trêve de deux ans. Les organisations syndicales ont refusé.
Des observateurs estiment que la Tunisie est à la croisée des chemins : toutes les options sont ouvertes, la meilleure comme la pire. Vers où la Tunisie se dirige-t-elle à votre avis ?
La Tunisie passe par une étape délicate de la transition démocratique avec tout ce que cela implique de protestations sociales, surenchère politique, populisme… D’autres pays ont connu cette phase, tels que l’Espagne, l’Afrique du Sud, les pays de l’Europe de l’Est, mais nous avons confiance dans la société civile tunisienne, le peuple tunisien qui une histoire de 3 000 ans, le mouvement syndical, les femmes tunisiennes, les élites modernistes tunisiennes qui sont les héritières des acquis modernistes depuis le XIXe siècle (1er destour du monde arabe, abolition de la polygamie depuis plus d’un demi-siècle, etc.).
Ce que les médias et les officines étrangères qualifient de «printemps arabe» n’a pas «fonctionné» en Algérie. Deux thèses s’affrontent : l'une estime que le peuple algérien a assez souffert du terrorisme et ne veut plus de l’instabilité, l’autre impute cela à l’aisance financière du pays qui permet au pouvoir d’acheter la paix sociale. Pour laquelle penchez-vous ?
L’aisance financière n’a pas empêché le peuple libyen de se soulever contre le régime, mais chaque pays a son contexte spécifique. La lutte pour la démocratie est la mère des batailles dans le monde arabe et partout ailleurs, car c’est une condition nécessaire pour un monde meilleur.
Pensez-vous que la Tunisie fait suffisamment d’efforts pour encourager les Algériens à adopter une sorte de «tourisme solidaire» en les poussant à se rendre nombreux chez vous après que leur nombre eut chuté ces deux dernières années ?
La situation actuelle en Tunisie est une transition qui nécessite une patience de quelques années, notamment avec les prochaines élections, pour que la situation politique, économique et sociale se stabilise ; c’est cela le coût de la démocratie qui vaut la peine. Les Algériens sont nos frères et ils sont les bienvenus en Tunisie.
Des voix s’élèvent en Tunisie qui font de la ségrégation entre touristes occidentaux d’un côté, et touristes algériens et libyens de l’autre. Serions-nous donc de mauvais touristes ?
Cela fait longtemps, très longtemps, qu’il y a des touristes algériens et libyens à côté des touristes européens en Tunisie et cela sans problème. Actuellement, nous sommes, en Tunisie, dans une phase de transition marquée par des surenchères et nous espérons que nos voisins algériens comprennent cette situation ; c’est le coût de la démocratie.
Comment la dernière prise d'otages d'In Amenas a-t-elle été suivie en Tunisie ?
La CGTT condamne cette agression barbare et exprime sa solidarité totale avec le peuple frère algérien et son gouvernement.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
 

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