Egypte : la jeunesse frustrée par le statu quo actuel

Deux ans après que le peuple d’Egypte eut envahi les rues en demandant la fin du régime dictatorial de l’ancien président Hosni Moubarak, les Egyptiens portent un regard sur les résultats obtenus : le régime a été renversé, un nouveau président a été élu et ils ont enfin pu exprimer leurs opinions par des démonstrations populaires d’une part et par le vote d’autre part. Toutefois, les conditions économiques et le niveau de vie de beaucoup d’Egyptiens se sont détériorés. De plus, la paix et la stabilité ont été menacées par un nombre croissant d’évènements violents à travers le pays. La jeunesse égyptienne semble la plus frustrée par le statu quo actuel. Mais alors que certains ressentent de la frustration et du désespoir, beaucoup d’autres continuent leur effort et dépassent les différences politiques, idéologiques et religieuses, dans l’intérêt d’une transformation pacifique et démocratique de l’Egypte. Mohammed Fathi, un graphiste et photographe musulman, se souvient : «Nous étions heureux de faire partie du changement, et nous étions pleins d’espoir d’un futur merveilleux. Les évènements qui ont suivi, toutefois, ont profondément affecté notre psychisme.» Quoiqu’exprimant son désappointement au sujet de la situation actuelle, il parle aussi «d’une magnifique solidarité» qui a réuni les gens durant la révolution. Rommel Barsoum et Bishoi Sadeq, étudiants chrétiens coptes en médecine et en sciences pharmaceutiques respectivement, sont en faveur d’une séparation de la religion – quelle que soit la religion – et de l’Etat. Mais leur conviction n’affecte pas pour autant leurs relations sociales. Ils ont beaucoup d’amis appartenant à différents groupes politiques et religieux dans le pays et ils sont convaincus que «respecter les différences est fondamental pour éviter la violence sous toutes ses formes, en particulier durant cette étape sensible». Les problèmes dont souffre l’Egypte réclament des solutions pratiques et des efforts monumentaux pour guider le pays au travers de cette actuelle période de transition. Et la jeunesse égyptienne n’a pas hésité à faire sa part du travail sur ce chemin menant au changement. Mai Mustafa, une activiste musulmane, essaie, par exemple, de sensibiliser les gens autour d’elle en améliorant ses compétences en termes de communication. Elle admet que «nous souffrons d’une absence de la culture du dialogue et de l’acceptation de l’autre. Nous ne sommes pas habitués aux différences d’opinions, et nous ne savons pas comment les utiliser, et donc chaque discussion finit mal». Pour changer cela, Mai Mustafa aide à organiser des jeux de rôles dans les théâtres et les cafés afin d’entraîner les étudiants à l’art de l’écoute et du débat, avec la participation de jeunes provenant de différentes origines religieuses et appartenant à différentes fractions politiques. Ses efforts sont soutenus par l’université américaine du Caire et huit autres universités en Egypte. Les jeunes qui participent à ces évènements explorent les idées des uns et des autres, grâce à un genre théâtral, le monologue, dans lequel ils décrivent une expérience vécue au cours de la révolution égyptienne, expérience vécue de leur propre point de vue. Durant ce monologue, ils doivent aussi fournir des arguments en faveur de changements sociaux et politiques. Par la suite, ils débattent de leurs opinions, dans le respect, afin de mener des discussions fructueuses. Ces deux exercices permettent aux jeunes d’exprimer leurs opinions, d’en discuter et ensuite d’écouter les opinions des autres afin de les comprendre.
Mohammed Hilmi, le co-fondateur du mouvement en faveur de la paix «MasterPeace», dont le quartier général est basé au Caire, met l’emphase sur le besoin de trouver un terrain d’entente commun entre ceux qui soutiennent un rôle pour la religion au sein de l’Etat et ceux qui veulent une séparation des deux. A cette fin, il a organisé, en Egypte, des débats entre salafistes et laïques afin qu’ils puissent échanger des opinions et des idées au sujet de concepts politiques et des perspectives futures. Ces débats ont fini sur une note positive parce que les participants étaient disposés à discuter des différences et à accepter l’idée que le désaccord est naturel. Mohammed Hilmi ajoute : «Nous pouvons seulement apprendre par les actes. La démocratie est un chemin qui demande une prise de conscience, un travail cumulé et un terrain qui autorise et stimule l’acceptation et le respect de la diversité.»
La jeunesse égyptienne est parvenue à un consensus au sujet de l’importance du dialogue socio-politique afin de promouvoir une culture de la non-violence. Ceci trace le chemin vers des intérêts communs partagés au sein de positions conflictuelles qui, à leur tour, peuvent aider le pays dans sa transition vers une nouvelle étape de l’histoire de l’Egypte, étape dans laquelle les droits à la différence sont protégés. Les différences qui empoisonnent le pays ne peuvent qu’être surpassées au travers de l’écoute, de la tolérance et de l’ouverture d’esprit. C’est le message que les enfants du Nil nous livrent aujourd’hui. C’est ce qui va empêcher le peuple d’Egypte de verser plus de sang et de perdre plus de temps dans leur quête pour la sécurité, et qui va les aider à travailler à la réalisation des vœux formulés sur la place Tahrir : liberté, démocratie et justice sociale.
Vanessa Bassil, journaliste indépendante libanaise et activiste en faveur de la paix

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