Les applaudisseurs du quatrième mandat

Dans cette halqa, la mascarade des élections, un grand drap blanc et froissé fait office d’écran. On croit voir des personnages mais il s’agit, en réalité, de simples silhouettes dont il est difficile de déterminer la consistance. Cela laisse aux spectateurs qui applaudissent une grande latitude de spéculation. Les plus âgés applaudissent toujours, même sans comprendre. C’est bête, mais c’est comme ça ! On avait appris l’habitude et le pli de nos parents quand ils se rendaient au café maure, ils applaudissent le serveur. Au bain maure aussi, il fallait applaudir le «motcho» pour qu’il nous ramène les sorties de bain. On avait applaudi aussi le choix d’une croissance reposant sur les industries de base nettement apparue dès le démarrage du plan triennal. Le dévolu à l’industrialisation dans la stratégie du développement peut aisément s’expliquer par la volonté du planificateur et promouvoir un développement autocentré et intégré de l’économie nationale. L’analyse de la structure des investissements au cours des trois premiers plans de développement traduit nettement cette priorité, puisque durant cette période, plus de 60% de l’investissement global était accordé à l’industrie (industrie lourde et industrie d’exportation). Cette politique d’investissements massifs a abouti à des résultats moyens. Néanmoins, l’option en faveur d’une industrie fortement capitaliste n’a pas manqué d’être à la source de déséquilibres financiers. Là, le vieux postier enchaîne : «J’ai vécu ces années où l’orientation vers les grands projets faisant appel à des technologies de pointe a généré d’inévitables relations de dépendance.» Le professeur reprend le récit : «On a applaudi aussi durant les années quatre-vingt une situation qui n’a pas manqué de se traduire au niveau des équilibres externes par une aggravation de la dette extérieure du pays et une dépendance plus accrue de notre économie à l’égard du marché capitaliste, supervisé par le FMI. On a applaudi les contrats clé en main, produits en main, direction en main, commissions des achats en main, corruption en main… l’importation des équipements n’a pas permis la maîtrise des technologies importées. On a applaudi, aussi, l’ampleur des dépenses consacrées chaque année dans le programme pour l’approvisionnement de nos industries en matières premières, demi-produits, ce qui constitue le symptôme de leur fragile viabilité. Les tensions enregistrées au niveau de nos moyens de paiement extérieurs, ces deux dernières années, ont amplement confirmé ce fait. Mais, subitement, on s’est arrêté d’applaudir ces dernières années. Une prise de conscience ou simplement on a perdu les mains pour applaudir ?» Ami Ahmed, l’ancien cadre du PPA, dira : «Qu’il n’y a plus de spectacle pour applaudir. Vrai ou faux ? La souveraineté, applaudie, était au début des grandes nationalisations et institution des premiers monopoles d’Etat dans le secteur des assurances et des banques. Toutes les ressources minières du pays passent sous contrôle de l’Etat, la majorité a applaudi. Dans les finances, la Banque nationale d’Algérie est créée le 13 juin et le Crédit populaire d’Algérie le 29 décembre. L’année 1966 s’est achevée avec des applaudissements populaires par l’adoption de la charte communale et la préparation de la première élection de l’Algérie indépendante (mai-décembre 1966) , on a tellement applaudi qu’on est devenus nous-mêmes source des applaudissements du FMI et de la Banque mondiale, parce que tout simplement on était un bon élève, dans une halqa mofrigha, on a rendu la dette mais on n’a pas sanctionné son provocateur. Le processus de nationalisation se continue par la nationalisation des sociétés pétrolières anglaises et américaines, le 5 juin. Les ambitions nationales de souveraineté et d’industrialisation sont clairement proclamées par le plan triennal (67- 69). Les premières sociétés nationales voient le jour à cette même période. Ainsi naissent Sonacome et SNMC (juin-décembre 1967) sous les applaudissements des travailleurs. Souveraineté toujours, souveraineté encore… L’année 1968 commence par l’évacuation totale de la base militaire navale de Mers El-Kebir, avant-dernier bastion de la présence militaire française en Algérie, sous les applaudissements des nationalistes algériens. Elle se poursuit entre mai et juillet par la nationalisation des consortiums étrangers de distribution des produits pétroliers, de 27 sociétés étrangères spécialisées dans la construction mécanique, les engrais et le matériel de construction. Tout est fait sous les applaudissements de la majorité. L’Algérie a signé des traités de bon voisinage avec le Maroc, la Tunisie, le Niger, le Mali, la Libye et la Mauritanie. Les années des applaudissements n’en finissent pas. Ainsi, le 15 janvier 1969, la mise en place du service national de 24 mois. Cette institution qui participa de façon active au développement du pays se verra confier des travaux d’importance. A son actif, nous pouvons citer la route transsaharienne, le barrage vert et bien d’autres projets, réalisés par les bras des enfants du peuple de cette majorité qui applaudit. El-Hadjar, géant de l’industrie, était inauguré en juin 1969, il donnera à l’Algérie un outil sidérurgique de taille. C’est également au cours de ce mois qu’entre en fonction le complexe d’ammoniac et d’engrais azotés d’Arzew, sous les applaudissements. Le 15 juin 1970, encore des applaudissements pour la nationalisation des inserts de six sociétés pétrolières étrangères : Mobil Oil, Amif, Shell, Philips et Petrolum. Le 12 novembre, nouveaux applaudissements pour la nationalisation des sociétés américaines opérant en Algérie (New mont Overseas). Une grande salve d’applaudissements a eu lieu durant l’année 1971, plus exactement le 24 février, une des plus importantes dates de l’histoire moderne de l’Algérie. C’est, en effet, ce jour-là que nous avons entendu le mot «Qararna» qui a vu la nationalisation des hydrocarbures, donnant une impulsion nouvelle à l’industrie pétrochimique algérienne. Le 17 Mars, le premier pétrolier algérien le Hassi Messaoud entrera dans le port d’Alger sous les applaudissements des dockers et des officiels venus pour la circonstance, et le 12 avril sera signée la loi fondamentale sur les hydrocarbures, sous les applaudissements. Le 7 novembre 1971, nouvel applaudissement chez les paysans. Ce monde paysan n’oubliera pas cette date, car elle est celle de la signature de l’ordonnance relative à l’application de la Révolution agraire. Le 16 novembre sera signée une autre ordonnance : celle relative à la gestion socialiste des entreprises, sous les applaudissements des milliers de travailleurs. Arzew el jadid premier port méthanier du monde est inauguré en même temps que le complexe GNL 1, le 28 février 1978, sous des applaudissements. Selon le recensement de 1977, la population algérienne est estimée au premier janvier 1978 à 18 250 000 habitants. Le 19 mai 1975, 1 500 délégués rassemblés au Palais des nations donnent naissance à l’Union nationale des jeunes Algériens (UNJA) à l’occasion du congrès constitutif de cette organisation de masse. Une conférence nationale s’était déroulée le 19 mai 1975. Et puis… plus rien, on n’applaudit plus ! Tout simplement parce que la majeure partie des applaudisseurs était des travailleurs et ils se sont fait avoir par Temmar et consorts qui ont privatisé en cascade et sauvagement les gagne-pain des travailleurs. Quand ils se sont aperçus, c’était trop tard, nos usines sont parties dans les poches des étrangers comme à l’aube du 5 juillet 1830 quand Alger a été bradée par les Turcs. Y a plus rien à applaudir, El-hmar (hachakoum) rah fi krah. Les applaudissements ont changé de camp, ceux qui avaient bénéficié d’énormes privilèges, d’énormes avantages, des terres agricoles, des crédits énormes et de l’exonération des taxes applaudissent aujourd’hui et soutiennent le quatrième mandat.
A. Ben
 

Pas de commentaires! Soyez le premier.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.