L’ANP face à la tentation portugaise

La presse a rendu publique une puissante contribution d’un général à la retraite. Le fait est tellement exceptionnel du fait que l’auteur de la contribution est à la fois médecin et militaire, c’est pourquoi son papier ne pouvait laisser insensible, ne serait-ce que pour mieux éclairer ces quelques jours qui nous séparent du grand saut dans l’inconnu que semblent nous concocter, dans une insoutenable indifférence, les partisans zélés du clan présidentiel. Le toubib en kaki n’hésite pas à lancer un appel à l’ANP pour qu’elle retrouve le sens du patriotisme et afin qu’elle se réconcilie de ses errements, ceux qui ont permis le dégommage du gouvernement réformateur, en juin 91, ceux qui ont aussi poussé le président Zeroual à céder la place, ceux enfin qui ont installé Bouteflika et son clan à la tête de l’Etat. Le toubib général en appelle à ses anciens collègues de tous rangs et de toutes générations pour mettre fin à la dérive qui fera de l’Algérie un royaume de la corruption et de la concussion. Le médecin-général appelle ses collègues d’hier à devenir les sauveurs de demain, allant jusqu’à nous rappeler la formidable épopée du lieutenant-colonel Otelo de Carvalho qui enfanta avec ses collègues la Révolution des œillets, mettant fin dans l’honneur et dans l’ordre à la dictature de Salazar, un certain 24 avril 1974. Même si le choix de la date paraît fortuit, il n’en demeure pas moins que les analogies avec la Révolution des œillets qui expurgea la dictature salazariste du Portugal rappellent, à certains égards, ce qui se passe en Algérie depuis plus de deux décennies. De plus, contrairement à l’appel de Mouloud Hamrouche, le cri du général Antar fait abstraction de Bouteflika et ne parle qu’à ses anciens collègues, les généraux-majors Toufik et Gaïd-Salah, l’un en qualité de chef du DRS et l’autre de vice-ministre de la Défense. Curieusement, c’est par sa fonction dans l’exécutif que Gaïd-Salah est interpellé. Les termes ont ici une connotation profonde, d’autant que les principaux mots clés que cet ancien général décline dans sa longue missive empruntent à l’honneur, au devoir sacré, aux martyrs, à la loyauté, à l’éthique et à la déontologie médicale… Comment se priver d’une brusque jubilation lorsque l’on constate que l’appel aux sept toubibs n’est pas resté lettre morte. Après l’auscultation du Dr Kerry, l’analyse du professeur Antar est implacable à la fois pour les clans qui se partagent le pouvoir et pour l’ANP dont les membres sont appelés à faire le ménage, en mettant fin à une série de dérives, dont la première remonte à la prise de pouvoir par l’armée des frontières sitôt les négociations d’Evian bouclées. Retenons que les paroles du médecin-général ne peuvent pas rester sans suites, car dans la réalité, ce toubib galonné pouvait parfaitement prétendre à la fonction de médecin particulier auprès de la présidence de la République. A ce titre, son avis ne peut souffrir aucune contestation, alors, puisque l’ordonnance est recevable, il reste à passer à son exécution sans fracas ni trompettes, dans la douceur et sans douleur. Le pire serait que rien ne se passe et que la muette continue de vaquer à ses mouvements tournants, pourtant, rien que pour l’histoire, nous retiendrons le nom du professeur-général Antar. Ayant passé toute sa carrière dans les services de santé, à servir sans se servir – autrement il se serait tu ! –, voilà qu’il se projette dans l’histoire alors qu’il pouvait continuer à faire l’autruche dans une retraite dorée ; à ce titre, de très loin, il devient très agréable de lui dire «bravo et merci, mon général», mission accomplie, dans l’honneur, dans le respect des martyrs, dans la loyauté, en totale et parfaite considération de l’éthique et de la déontologie médicale. Dites-le à vos enfants et petits-enfants, une vieille pupille salue bien bas et pour la postérité votre patriotisme et votre courage, c’est tellement rare de nos jours, en disant : «Arrêtez la mascarade !» mon général Antar, vous nous rappelez combien le printemps peut être porteur des plus belles moissons.
Aziz Mouats, université de Mostaganem
 

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