Les cow-boys partisans des interventions militaires hors de nos frontières

La tension aux frontières du pays et le défilé en Algérie de ministres étrangers qui se veulent les gendarmes du monde offrent à certaines plumes de la presse l’occasion d’appeler à des interventions de l’armée algérienne hors de ses frontières. Leurs arguments reposent sur deux exemples (Egypte et Sahara Occidental) qui ont vu l’ANP guerroyer à l’étranger. Ils oublient simplement que ce qui était possible dans le contexte politique de l’époque et sur le plan du droit international ne l’est plus forcément aujourd’hui. En 1973, la présence de l’Algérie aux côtés de l’Egypte répondait à ses obligations de membre de la Ligue arabe. Cette aide ne contredisait nullement le droit international qui condamne l’agression et l’occupation de territoires d’autrui, forfaits qu’Israël a commis allégrement contre plusieurs pays arabes et sans jamais appliquer les décisions de l’ONU qui exigent toujours l’évacuation des dits territoires. Le deuxième exemple est celui de l’intervention de l’ANP à Amgala au Sahara Occidental. Là aussi, outre l’occupation de ce territoire, l’Algérie se devait de donner une leçon en ne laissant pas impuni le massacre de ses soldats dans un territoire occupé par une armée étrangère, en l’occurrence l’armée marocaine. Ces deux exemples n’ont rien à voir avec la situation actuelle. Les Etats frontaliers aujourd’hui ne nous agressent pas et ne concentrent aucune armée prête à nous envahir. Ils sont plutôt agressés par des groupes intégristes de la région, alliés à des trafiquants de drogue. Ces groupes ont certes des capacités de nuisance, mais pas au point de menacer l’Etat algérien qui a fait face à ce genre d’actions armées menées par ses propres citoyens, dans les campagnes et les villes du pays. Il ne faut donc pas exagérer le danger et tomber dans le piège des puissances qui veulent rester au chaud chez elles sans payer le prix du sang. On l’a vu avec les Américains qui ont tenté en Asie de «viétnamiser» ou bien «afghaniser» leurs agressions. Aujourd’hui, c’est le tour de l’Afrique où l’on veut «africaniser» la lutte contre le terrorisme. Et le pays susceptible de jouer ce rôle est l’Algérie. Pourquoi ? Parce que son vaste territoire a des frontières avec tous les pays menacés et dévastés par ces groupes terroristes. Parce que ce pays a à la fois une armée et une expérience dans ce genre de guerre. Comment va-t-on l’inciter, l’obliger à faire le boulot à leur place ? En le flattant d’être la grande puissance de la région tout en agitant d’éventuelles pressions politiques et économiques. Eh bien !, tous ces arguments, flatteries et autres menaces doivent être mesurés à l’aune de l’intérêt du pays et de la philosophie de son peuple. Ce dernier a suffisamment souffert de l’occupation étrangère, suffisamment condamné les agressions étrangères en Palestine, Syrie, Egypte, Vietnam, Irak, Cuba, pour faire une entorse au droit international et à son échelle des valeurs sur le droit des peuples à conduire leurs propres affaires. L’Algérie n’a pas à intervenir à l’extérieur avec son armée. Si elle est menacée à ses frontières, elle a à son service tout l’arsenal du droit international. Si son territoire est violé, le pays est en droit d’annihiler l’agresseur et même de le poursuivre sur le territoire d’où l’agresseur est venu et a attaqué. Pour prévenir toute menace potentielle, le pays a un certain nombre de cartes entre ses mains. Une armée vigilante aux frontières capable d’empêcher toute infiltration. Des actions clandestines de ses services spéciaux. Entretenir de bonnes relations avec les Etats de la région, leur apporter une aide multiforme, économique et de formation dans le domaine militaire et le renseignement. Utiliser ses bonnes relations avec les Touareg et les Sahraouis, etc. La force de dissuasion de son armée combinée avec ces aides de différentes natures et ses bonnes relations avec les Etats constituent des atouts susceptibles, sinon de neutraliser, du moins de baisser le niveau de nuisance des groupes terroristes qui infestent la région. Et puis, il y a une leçon à envoyer à ces pays qui veulent lutter contre l’intégrisme islamiste uniquement quand celui-ci menace les potentats des pays qu’ils dominent directement ou non. Ainsi, ces pays sont-ils copains et coquins avec l’Arabie et le Qatar, mais ennemis jurés de l’Iran. Ainsi, ont-ils fermé les yeux quand l’Algérie faisait face dans la solitude à ses propres terroristes. De même aujourd’hui avec la Syrie où l’on arme ces mêmes islamistes qui travaillent pour les pays du Golfe déjà cités et indirectement pour Israël qui profite déjà de l’affaiblissement de toutes les forces de la région jusqu’à exiger qu’on lui reconnaisse le statut d’Etat juif, condamnant ainsi les Palestiniens à l’errance jusqu’à la fin des temps. Alors, que nos cow-boys locaux qui veulent lancer l’armée dans une aventure parsemée de pièges sachent que des pays autrement plus forts dans tous les domaines ont connu des bérézinas dans leurs aventures extérieures. Qu’ils pensent aux USA humiliés au Vietnam et au Cambodge, embourbés en Irak et en Afghanistan, qu’ils pensent à l’URSS en Afghanistan et même à la Russie d’aujourd’hui qui refuse d’envoyer des troupes en Ukraine. Pourtant, le danger potentiel d’une Ukraine «otanisée» (Otan) existe, pourtant les populations russes dans l’est de l’Ukraine se sentent menacées.Alors, que nos cow-boys se calment et étudient d’abord les problèmes politiques, diplomatiques et stratégiques d’une extrême complexité que pose fatalement une aventure militaire à l’extérieur du pays avant de spéculer et de se donner des frissons à bon compte. Qu’ils trempent leur plume dans la bonne encre quand ils écrivent sur les problèmes stratégiques et ne pas croire que l’on va à la guerre la fleur au fusil, surtout quand ce fusil est tenu par les enfants du peuple. Ces enfants défendent leur pays, mais ne doivent en aucun cas se sacrifier pour les beaux yeux de puissances qui veulent le beurre et l’argent du beurre.
Ali Akika, cinéaste
 

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