Lettre du Venezuela, un Algérien au pays de Chavez

Je suis au Venezuela pour quelques semaines, un pays du bout du monde qui fait entendre sa voix dans le vacarme de la scène internationale. Un homme, porte-parole de cette voix, de cette révolution, est un descendant des esclaves africains. Militaire de son état, El Commandante Chavez a pourtant laissé de côté la critique des armes pour leur préférer les armes de la critique. Eh oui ! il n’est pas arrivé au pouvoir par un golpé del estato (coup d’Etat) dans la tradition des dictatures militaires sud-américaines. Il a préféré faire appel aux ressources de la politique qui font confiance au peuple. Pari gagné puisqu’il a battu la droite sans bavures par des élections transparentes. Ce tour de force en toute légalité, il le doit à la fois à son charisme qui n’est pas étranger à ses origines sociales et à sa grande culture. En effet, il tient en haleine la foule de ses partisans dans des meetings qui sont de véritables spectacles politiques et poétiques, le tout ponctué par des gestes et des danses de cette vieille Afrique de ces lointains ancêtres. Oui, poétique car ses discours sont parsemés d’envolées lyriques avec des phrases d’une grande beauté littéraire et de sens philosophique. Son inspiration, il la puise chez les géants de la littérature sud-américaine et l’épopée du maître de toute l’Amérique latine, Bolivar qui libéra ce continent des Espagnols. Bien évidemment, le peuple se reconnaît dans le récit de son histoire raconté par un Chavez visiblement plus heureux de haranguer les foules que de commander des troupes de militaires. Une histoire douloureuse où les autochtones virent leur pays conquis et ses populations décimées par les armes et les «maladies des Blancs» inconnues par eux jusque-là. Douloureux aussi pour les Africains arrachés à leurs terres et transportés comme du bétail vers ces contrées qui se nomment désormais El Venezuela. Vaste pays, mais peu peuplé au regard de sa grande superficie. Hautes et majestueuses montagnes, des forêts tropicales dont les sentiers sont tapissés de mangues qui se désolent qu’on les laisse pourrir sur place. Des îles par centaines, d’une beauté insolente et dont les habitants ne semblent point pressés de rejoindre le paradis qui existerait dans un autre monde. Des derricks enfin d’où s’échappent des flammes du pétrole, fabuleuse richesse du pays. Hier, cette richesse a été concédée aux compagnies américaines par une bourgeoisie plus apte à consommer qu’à industrialiser le pays. Aujourd’hui, Chavez a réparé cette faute politique en nationalisant ce pétrole. Cela a permis de loger, de soigner, d’instruire les classes populaires. Tâche titanesque pour rattraper le temps gaspillé, beaucoup de temps sera nécessaire, car la classe possédante a encore la mainmise sur les principaux circuits économiques du pays. La pénurie de beaucoup de produits et la faiblesse de la valeur de la monnaie nationale (le dollar au noir vaut 10 fois la valeur du bolivar), les dépenses sociales au profit des démunis et précaires, tous ces phénomènes et ces mesures politiques doivent avoir un lien avec la lutte sourde menée par l’opposition pour faire échouer le gouvernement «chaviste». Ça rappelle la grève des transports contre Allende, prémices au coup d’Etat de Pinochet.
La révolution bolivarienne de Chavez n’a pas surgi du néant. Elle a une histoire qui débuta avec Bolivar rassemblant contre l’aristocratie espagnole, les «Blancs» (anciens forçats expulsés d’Espagne pour coloniser ce nouveau monde), les Indiens et les esclaves africains. Bolivar, admirateur de la révolution américaine et lecteur des philosophes des Lumières (France), bourgeois éclairé, jeta les bases de ce fruit du métissage ethnique et culturel, le Venezuela devenu. Tout ce beau monde s’empara de la langue de Cervantès, la malaxant de mots à eux et la rythmant avec des accents «tropicaux» pour se donner une identité singulière. Et Chavez, enfant de ce processus, reprit le flambeau hérité de Bolivar et renié par la bourgeoisie locale. Ainsi la révolution «chaviste» se met-elle en marche dont le moteur est le socialisme, concept devenu obscène dans des sociétés moisies. Avec Chavez, les prisons ne sont pas remplies d’opposants politiques. Ces derniers sont même au Parlement et le combattent durement. La religion est non seulement respectée, mais joue un rôle politique dans un pays catholique qui se reconnaît plutôt dans la théorie de la libération inventée par des prêtres sud-américains. Cependant, la religiosité du peuple ne l’empêche pas de lutter contre la nature qui provoque séisme et autres calamités. Ce peuple a retenu la leçon enseignée par Bolivar à la suite des terribles tremblements de terre qui détruisirent la capitale. Ça nous change de ces imbéciles qui voient dans les séismes une punition de Dieu. Chavez ne subit pas les mêmes attaques perfides et continues que son ami Castro. La fin de la guerre froide est passée par là, certes. Il y a surtout le fait que les Occidentaux n’ont rien à se mettre sous la dent pour carboniser ce chef d’Etat qui avait osé sortir de ses gonds le roi Carlos d’Espagne. Il réitéra son geste téméraire en souhaitant à Bush, président des Etats-Unis, devant l’auguste assemblée de l’ONU, qu’il aille au diable. Ce courage-là n’est pas le produit d’une naïveté due à l’inexpérience diplomatique. Il tient son audace de la force qu’il détient de sa légitimité trois fois renouvelée par des élections. L’opinion internationale qui n’est pas idiote voit bien qui bafoue la démocratie. Est-ce Chavez qui est élu démocratiquement ou bien cette droite qui a fomenté un coup d’Etat contre lui dont il sortit vainqueur grâce à la formidable mobilisation du peuple dans les rues du pays ? Ce soutien du peuple, je l’ai vu lors de la visite de sa tombe. Chaque jour des gens attendent patiemment leur tour pour aller se recueillir dans le lieu où repose celui qui leur a rendu leur dignité. Le silence religieux parcouru par une grande émotion absolument non feinte des visiteurs est un acte politique que la presse occidentale passe sous silence. Ce soutien, je l’ai constaté aussi le jour de la fête de la culture. Ce jour-là, le centre-ville où sont concentrées les institutions politiques est livré à la foule qui danse aux sons d’une multitude d’orchestres qui jouent de la culture populaire méprisée par les télés privées qui préfèrent saturer l’atmosphère par de la musique américaine.
Forcément, l’étranger que je suis visitant ce pays ne peut échapper au jeu des comparaisons avec l’Algérie. Il y a bien sûr les douleurs de l’histoire coloniale, mais aussi les signes irritants dus au sous-développement et à la bureaucratie. Mais ce qui m’a sauté aux yeux, ce sont d’autres analogies. Dans ce pays, un militaire cultivé est au pouvoir. Il ne réprime pas le peuple. Il lui parle avec une belle langue qui valorise et le peuple et son histoire. On est loin de la langue de bois teintée d’infantilisme qui tient le haut pavé chez nous. Il faut bien admettre aussi que dans nos contrées, du Maroc à l’Irak, nos militaires sont plus à l’aise avec un gourdin dans les mains qu’avec des livres de Socrate ou de poésie d’Omar Khayyâm. Quant au pétrole, abondant dans nos contrées, il est gaspillé par des roitelets et autres féodaux au lieu de servir à rendre la dignité aux gens en développant leurs pays. Nous en savons des choses sur ces lugubres individus qui bradent les richesses du sous-sol juridiquement et historiquement inaliénables. Et ces tristes petits marquis trouvent évidemment refuge chez leurs maîtres pour services rendus. Pour finir, pourquoi parler d’un si lointain pays ? Parce qu’ignorer le monde, c’est construire sa propre prison. Parce que le Venezuela est un pays ami où j’ai vu flotter le drapeau algérien dans les rues et boutiques. Est-ce le fruit du travail de Chavez dans ses relations avec l’Algérie pour résister aux pressions des cartels du pétrole ? Parce qu’on apprend toujours des expériences des autres. J’ai vu un peuple religieux vacciné contre les bigoteries qui polluent la société et étouffent notamment les femmes. Voir les couples dansant dans les rues lors de la fête de la culture sous l’impulsion de la musique populaire est un vrai bonheur. Parce qu’enfin, j’ai aimé le métissage de ce peuple formé par des gens venus des quatre coins du monde qui a brisé les préjugés entre ethnies en dépit du racisme cultivé par la caste des «Blancs». Oui, j’ai admiré ce peuple alors que chez nous des petits esprits continuent de labourer les méfaits du tribalisme et des différences religieuses alors que les Algériens vivent ensemble depuis la nuit des temps comparativement aux Vénézuéliens, peuple né avec la découverte de l’Amérique.
Cet article est écrit sous le signe de la sympathie avec une dose de subjectivité qui ne trahit nullement la réalité forcément complexe impossible d’être relatée dans un simple et si court article.
Ali Akika, cinéaste
P. S. : cet article est écrit au présent comme si Chavez était encore en vie. Parce que son successeur Maduro a eu la «bénédiction» de Chavez qui se savait condamné par la maladie.
 

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