Interview – Amara Benyounès : «Certains lobbies veulent empêcher l’Algérie d’adhérer à l’OMC»

Algeriepatriotique : Vous défendez l’adhésion de l’Algérie à l’OMC et vous pensez que notre pays pourrait tirer des avantages de son intégration à cette organisation. Ces avantages supposent des concessions, peut-on savoir lesquelles ?

Algeriepatriotique : Vous défendez l’adhésion de l’Algérie à l’OMC et vous pensez que notre pays pourrait tirer des avantages de son intégration à cette organisation. Ces avantages supposent des concessions, peut-on savoir lesquelles ?
Amara Benyounès :
D’abord, il faut clarifier un certain nombre de choses. Le processus d’adhésion de l’Algérie à l’OMC n’est pas l’affaire d’Amara Benyounès. Ce n’est pas mon point de vue personnel, mais celui du gouvernement algérien, sanctionné par un communiqué du Conseil des ministres, où l’orientation du président de la République était très claire : accélérer le processus d’adhésion à l’OMC tout en sauvegardant les intérêts économiques du pays. Ce débat existe dans tous les pays du monde – faut-il ou ne faut-il pas ? – en avançant des arguments économiques. En Algérie, il n’y a pas d’arguments économiques. Ceux qui sont contre l’OMC sont dans des incantations politiques de type «ils veulent vendre le pays, ils veulent aller vers l’impérialisme». Cela n’est pas un débat économique. Vous savez qu’il y a 160 pays qui ont adhéré à l’OMC. 97% des transactions commerciales mondiales passent par l’OMC. De mon point de vue, l’OMC va nous permettre deux choses capitales et fondamentales pour le pays. D’abord, l’accession à l’OMC va nous permettre de mettre à niveau l’économie nationale ; ensuite, cela va donner beaucoup plus de transparence à toutes les transactions commerciales internationales. Or, cette affaire de transparence dans les transactions commerciales internationales gêne un certain nombre de personnes. D’où cette levée de boucliers de certains lobbies qui sont contre le fait que l’Algérie aille à l’OMC. J’étais ministre de l’Industrie, je sais mieux que quiconque les efforts qui ont été déployés par l’Algérie pour sauver son outil de production. Nous avons mis plus de 10 milliards de dollars dans le secteur public industriel pour le remettre sur les rails. Il n’y a aucun pays au monde qui est parti pour adhérer à l’OMC et a bradé ses intérêts. Nous avons des clauses de sauvegarde. Nous pouvons demander des périodes de transition. Nous pouvons demander la sauvegarde pour un certain nombre de produits. Les Etats-Unis sont le pays le plus protégé au monde et l’un des premiers à avoir adhéré à l’OMC. Il y a une chose que je ne comprends pas chez certains responsables politiques et analystes algériens qui ont toujours peur de l’étranger. Pourquoi avoir peur d’aller vers l’OMC ? Pourquoi penser que les autres pays vont nous «manger» ? Pourquoi pas le contraire ? Pourquoi avons-nous ce complexe d’infériorité quand on va à l’étranger ? Nous avons aussi des entreprises très performantes dans certains secteurs et qui, malgré la concurrence mondiale, sont en train d’avoir de grandes parts de marché. Il est clair que notre but est de sauvegarder les intérêts stratégiques du pays. Il faut que les Algériens comprennent qu’il y a deux comités. Un comité ministériel que préside le ministre du Commerce, et le comité gouvernemental qui est présidé par le Premier ministre. Nous avançons dans ce dossier sous l’autorité du Premier ministre et du président de la République. Nous sommes en train de négocier, comme tous les pays du monde, et ça peut se faire en 2015, 2016 ou 2018. Il n’y a pas de date limite. Ce qui est important, c’est d’affirmer à l’Organisation mondiale du commerce que la décision de l’Algérie d’aller vers l’OMC est une décision irrévocable.
Quand on sait que notre économie dépend essentiellement des hydrocarbures, les entreprises algériennes ont-elles les capacités pour espérer être compétitives sur le marché mondial ?
Votre question voudrait dire que nous n’avons pas d’entreprises qui exportent vers l’étranger. Nous nous battons pour protéger les entreprises algériennes. Nous avons fait beaucoup d’efforts et consenti énormément d’investissements pour sauver l’emploi et ces entreprises. Tout cela se négocie avec l’OMC. Il est faux de dire et de faire croire aux Algériens qu’en adhérant à l’OMC, toutes les barrières vont tomber, que les autres pays pourront faire ce qu’ils veulent en Algérie. Les pays peuvent se protéger et il y a de mécanismes pour ce faire.
Mais le peu d’entreprises qui sont rentables pourront-elles rivaliser avec les grands groupes sur le marché mondial ?
Est-ce qu’elles sont protégées aujourd’hui ?
C’est à vous de nous le dire…
Non, c’est à vous, vous êtes journaliste. Est-ce qu’actuellement elles sont protégées ? Est-ce que, par exemple, l’Enie de Sidi Bel-Abbès qui produit des téléviseurs est protégée ? Est-ce qu’il n’y a pas des téléviseurs importés ? L’Eniem de Tizi Ouzou fabrique des réfrigérateurs : est-ce qu’il n’y a pas des réfrigérateurs fabriqués dans d’autres pays et commercialisés chez nous ? Il faut cesser de croire qu’à chaque fois que nous produisons quelque chose dans le pays, nous devrions interdire son importation. Il faut d’abord que nous produisions de la qualité qui se rapproche des normes mondiales et à des prix qui se rapprochent de ceux pratiqués dans les autres pays et avec des quantités suffisantes pour satisfaire le marché. Ce qui devra être protégé dans le pays le sera. Il n’y a aucun problème et les règles de l’OMC le permettent. Tous les pays du monde ont des barrières pour protéger leurs entreprises.
Beaucoup d’entreprises ont peur de disparaître par peur de ne pas pouvoir concurrencer le produit européen ou asiatique…
Comment ces entreprises font-elles maintenant ? Les produits étrangers existent bel et bien chez nous, non ? Posez-leur cette question ! Nous devons comprendre que si nous accédons à l’OMC, les produits contrefaits ne pourront plus entrer dans le pays, parce qu’une fois au sein de l’OMC, nous allons surveiller l’origine de ces produits. Des deux choses l’une : soit nous nous battons pour construire une véritable économie soit nous nous recroquevillons sur nous-mêmes pour soi-disant nous protéger. Nous tenons ce discours depuis 1987 et certains disent que nous ne sommes pas prêts. Nous avons injecté beaucoup d’argent dans le secteur industriel et les entreprises qui en font partie.
Le démantèlement tarifaire entre l’Algérie et l’Union européenne dans le cadre de l’Accord d’association a eu pour conséquence une perte de recettes de trois milliards de dollars pour le Trésor public. Il était question de le réviser. Où en est-on ?
Nous avons conclu un Accord d’association avec l’Union européenne. Nous sommes en discussion permanente avec nos partenaires. Un accord, ce n’est pas le Coran. Un accord qui pouvait être bénéfique pour nous en 2002 sur un certain nombre de produits peut ne plus l’être en 2010 ou en 2014. Dans ce cas, il faut renégocier. Nous sommes en discussion avec l’ensemble des partenaires avec lesquels nous sommes liés par des accords.
Le manque d’hygiène dans différents commerces, les prix non affichés et d’autres manquements à la réglementation se posent toujours en dépit des directives établies par vos soins. A quoi attribuez-vous ce non-respect de la loi ?
Vous avez cité les deux infractions les plus importantes : l’absence d’affichage des prix et l’absence de factures. Nous verbalisons beaucoup ; moins qu’avant, certes, mais nous allons relancer les inspections la semaine prochaine. Mais il faut savoir que la mission du ministère du Commerce s’arrête à la verbalisation. Les autres missions sont du ressort des services de sécurité, de la wilaya et des collectivités territoriales. Nous avons saisi, avec le Premier ministre, les walis afin qu’ils remédient à cette situation. Nous espérons que l’été prochain, nous ne reverrons plus tous ces produits étalés sur les trottoirs. C’est un travail qui devra être mené toute l’année. Je me suis engagé à rappeler cela aux walis et à nos directeurs de commerce de wilaya pour qu’ils suivent de très près les commerçants récalcitrants.
Y a-t-il des concertations entre le ministère du Commerce et les associations de protection du consommateur ?
Nous recevons au niveau du ministère quelques associations de consommateurs avec lesquelles nous avons l’habitude de travailler. Ces associations reçoivent même des subventions de la part du ministère parce que, pour nous, elles représentent un partenaire important. Nous avons besoin de ce genre d’associations.
Sont-elles efficaces ?
Malheureusement, nous n’avons pas de grandes associations, comme celles connues dans le monde, qui ont beaucoup d’adhérents et qui pèsent de tout leur poids. Il y a quelques associations qui sont plus au moins représentatives et avec lesquelles nous travaillons. Nous souhaitons vraiment qu’il y ait de véritables associations de consommateurs qui seront pour nous d’une grande utilité.
Est-ce que vous exercez un contrôle sur la vente des moutons pour que cela se passe dans le respect de la réglementation ?
Non, cela est du ressort du ministère de l’Agriculture. Mais nous travaillons en concertation parce que la plupart des marchés sont sous notre autorité. Et nous veillons au respect de toutes les règles édictées par le ministère de l’Agriculture.
A chaque Aïd, les commerces ferment non seulement durant les deux jours fériés, mais cela peut aller jusqu’à une semaine voire 15 jours après, comme on l’a constaté pour l’Aïd El-Fitr dernier. Pensez-vous que cela ne se répétera pas durant l’Aïd El-Adha ?
Non, c’était beaucoup moins qu’avant et toutes les statistiques que nous avons le disent. Ce phénomène reste important au niveau de grandes villes. Des commerçants ont été verbalisés, des commerces fermés et lors du dernier regroupement, j’ai donné des instructions pour que les sanctions soient plus lourdes en cas de fermeture prolongée durant l’Aïd El-Adha. Nous avons augmenté le nombre de commerces qui doivent assurer la permanence. Nous allons les surveiller, mais le problème, en fait, ne se pose pas les deux jours de l’Aïd, ce sont les jours qui suivent. Nous allons être extrêmement sévères pour cet Aïd. Les commerces astreints à la permanence doivent impérativement ouvrir, sinon la réglementation leur sera appliquée dans toute sa rigueur ; s’il faut qu’on ferme les commerces réfractaires, nous le ferons. Nous allons appliquer la réglementation d’une manière stricte.
Vous parlez de rétablir la confiance entre l’opérateur commercial et le ministère du Commerce. Pensez-vous réellement que cela puisse se faire au moment où ce même opérateur se sent trahi par l’Etat qui n’arrive pas à contrer les lobbies de l’informel ?
Ceux qui pratiquent le commerce informel sont des commerçants aussi. Il faut arriver à rétablir la fonction de commerçant dans notre pays. Pour l’opinion publique, les commerçants exercent tous dans l’informel et sont tous des hors-la-loi, alors que ce n’est pas vrai. Il y a énormément de commerçants qui respectent la loi. J’ouvre une parenthèse pour parler des distributeurs et des importateurs : il n’y a qu’en Algérie qu’on considère qu’être importateur est une tare. Dans tous les pays du monde, c’est un métier à part entière, une profession réglementée. Tous les pays importent. En Algérie, beaucoup d’efforts ont été déployés : le registre électronique est en vigueur, le Conseil des ministres vient d’adopter la loi sur la certification et la signature électronique qui, une fois adoptée par l’Assemblée nationale, nous permettra d’avoir un enregistrement automatisé pour les commerçants au niveau du Registre de commerce. Il faut aussi que la relation entre nos directions de wilaya et le commerçant ne se limite pas uniquement au contrôle et à la répression. Il faut instaurer un dialogue et un cadre de concertation. Pour que nous puissions ramener un certain nombre de commerçants vers le projet industriel, il faut absolument que l’acte de commercer devienne un acte normal et non un parcours du combattant pour se faire établir un registre de commerce ou pour monter un projet d’importation. Le marché informel s’est créé et développé durant une période très difficile, celle des années 90, une période durant laquelle ce phénomène a pris des proportions incroyables. Le Premier ministre ne veut pas d’une guerre frontale avec les commerçants de l’informel. Nous allons édicter certaines règles. Nous allons les rencontrer et discuter avec eux. Seulement, à partir de là, il faut absolument que ces gens reviennent vers la normalité. Il faut reconnaître aussi que de plus en plus de gens qui pratiquent ce commerce reviennent vers le secteur formel. La priorité, ce n’est pas de les combattre, mais de les ramener sur le chemin de la réglementation. Ensuite, dans une deuxième étape, la loi s’appliquera aux récalcitrants.
Vous voulez donc débattre avec les intervenants dans le secteur informel. Comment comptez-vous vous y prendre sachant qu’il est quasiment impossible d’identifier les transactions commerciales dans le circuit parallèle ?
Nous allons d’abord organiser un débat sur le commerce de l’informel, car il faut savoir que l’informel est dans l’industrie et dans l’agriculture aussi. Nous devons avoir une idée claire sur ce phénomène et comprendre pourquoi ces gens utilisent ce procédé. Ensuite, nous allons proposer des mesures au gouvernement en vue de ramener tout ce monde vers la normalité.
Sont-ils identifiables ?
Il ne faut pas aller vers les personnes, en premier lieu. D’abord, il faut comprendre les causes fondamentales en matière économique et savoir ce qui a amené les Algériens qui activent dans les secteurs du commerce, de l’industrie, de l’agriculture ou du management vers l’informel. Une fois les causes identifiées, ces gens seront obligés tôt ou tard d’aller vers le formel. Aucune économie ne peut accepter pendant longtemps un secteur informel aussi important.
Vous avez annoncé la restauration de l’autorisation d’importation, prévue dans la prochaine révision de la loi sur le commerce extérieur. Aura-t-elle un impact sur l’informel ?
C’est une licence et non une autorisation. Tous les secteurs d’activité possèdent ce qu’on appelle une autorisation d’importation ou des agréments pour importer. Nous avons décidé donner plus de cohérence à cette autorisation qui sera une licence d’importation et d’exportation également, parce qu’à chaque fois que nous décidons d’une restriction quantitative sur une importation, il faut que les règles du jeu soient claires. Ces licences d’importation sont définies. On attend leur adoption par le Parlement. Dorénavant, les quantités de produits importés, les prix et les noms des importateurs seront connus et affichés. Si nous refusons une licence à un importateur, ce refus doit être motivé. Ceci va ramener la transparence dans cette licence. Nous avons proposé qu’aucun importateur ne puisse avoir plus de 30% de l’ensemble de la licence d’importation, parce qu’aujourd’hui, il y a des importateurs qui arrivent à 100%. Le principe de cette loi est que le commerce doit être libre, mais pour un certain nombre de produits, si nous sommes amenés à restreindre les quantités à importer, tous les secteurs doivent passer par ce que nous allons appeler dorénavant la licence d’importation. Même chose pour l’exportation. Je prends les exemples du liège ou du corail dont la production ne suffit pas pour l’industrie nationale. Donc, même si nous exportons, nous devons limiter les quantités à exporter, et ces dernières doivent répondre aux exigences de la licence d’exportation.
Pourquoi avoir attendu si longtemps pour l’envisager ?
Oui, beaucoup de choses n’ont pas été envisagées avant, mais mieux vaut tard que jamais.
Concernant la révision de la Constitution, pensez-vous que la démarche entreprise par le Président corresponde aux préoccupations du citoyen ?
Ce sont des engagements qui ont été pris par le président de la République dans un discours clair. Avec la révision de la Constitution, il y aura le parachèvement d’un ensemble de réformes politiques annoncées par le chef de l’Etat. C’est un engagement qu’il a pris devant les Algériens qui ont voté pour lui et il va tenir sa promesse. Maintenant, il faut laisser le peuple dire ce qu’il en pense au niveau du ministère.
A-t-il vraiment le choix ?
Bien sûr qu’il a le droit de choisir. Nous avons voté. La démocratie, qu’on le veuille ou non, est fondée sur le débat et, en fin de parcours, c’est toujours le peuple qui choisit.
Dans le contexte géostratégique actuel, ne pensez-vous pas que le gouvernement gagnerait à se rapprocher de l’opposition ?
Dans tous les pays du monde, le gouvernement gouverne et l’opposition s’oppose. C’est un gouvernement qui émane d’une élection présidentielle remportée par le président Bouteflika. Une majorité présidentielle a soutenu le Président. A ma connaissance, jamais le Premier ministre n’a refusé de dialoguer avec qui ce soit. Le directeur de cabinet de la Présidence a convié tout le monde aux consultations sur la révision de la Constitution. C’est l’opposition qui a refusé de débattre avec le gouvernement. La balle est dans son camp.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
 

Pas de commentaires! Soyez le premier.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.