Algérie : le pays des paradoxes

Décidément, l’Algérie est devenue, durant ces quinze dernières années, un pays de paradoxes. Un pays de jeunes gouverné par des vieux. Un pays immensément riche au peuple de plus en plus pauvre. Un pays cité jadis en exemple pour la guerre de décolonisation qu’il a eu à mener en un pays moqué par des pays africains non encore «entrés dans l’Histoire» pour reprendre un ex-homme d’Etat français. Et les paradoxes ne s’arrêtent pas là. Un pays où si tu marches, on t’arrête et si tu t’arrêtes, tu marques une pause, une halte, on te fait marcher à la baguette. L’un des ex-candidats à l’élection présidentielle du mois d’avril passé vient de l’apprendre à ses dépens. Mais il faut bien dire que cet homme-là n’est pas, lui non plus, à un paradoxe près. Binational (franco-algérien), il a troqué la nationalité de son pays de raison, dans lequel il a grandi et fait des études de philosophie, pour tenter sa chance dans un pays des illusions. Et les illusions, il en a connu. Beaucoup. En si peu de temps. Et, cerise sur le gâteau, après un périple de près de 400 km de marche pour protester contre l’état actuel de l’Etat algérien, il vient d’être arrêté, probablement menotté et conduit devant le juge d’instruction pour «troubles à l’ordre public». Rachid Nekkaz, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’en revient pas. Lui qui voulait, en empruntant les chemins de traverse et les chemins poussiéreux de l’Algérie profonde, se mettre dans la peau d’un Gandhi pour faire partir, de façon pacifique, un système vieillissant et en fin de règne se voit stopper net dans son entreprise. Dommage pour lui d’abord et pour ceux qui l’ont accompagné dans cette petite aventure pédestre qui reste, quoi qu’on en dise, unique dans son genre. D’habitude, en Algérie, on exprime ses ressentiments envers le pouvoir en organisant des «sit-in» sur les places publiques d’Alger et des autres grandes villes du pays, lui, il a pris son bâton de pèlerin et pensait rejoindre, après plusieurs jours de marche, la «Sablette» pour en extraire une poignée de sel… Dommage, ensuite, pour nous tous, car au-delà de ce qui est arrivé à notre ami le philosophe, c’est l’ensemble des Algériens, qui veulent d’un véritable changement dans ce pays, qui se rendent compte que si une poignée de sel avait mis fin à l’occupation de l’Inde par «l’empire où le soleil ne se couche jamais», c’est loin d’être le cas chez nous. Chez nous, les citoyens ne sont pas encore mûrs ni n’ont une conscience politique bien aiguisée pour se mettre en file indienne derrière un Gandhi ou un Diogène et aller récolter le sel… la seule récolte qui les intéresse, ce sont les tunes. Et c’est ce qui ne manque pas, en Algérie, du moins tant que le prix du baril du pétrole reste à un seuil non inquiétant pour le pouvoir.
Aziz Ghedia, membre fondateur de Jil Jadid
 

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