Le mal algérien

Comme il existe un «mal» américain, russe, chinois, japonais, français, italien, nigérian, égyptien, marocain ou tunisien, il y a un «mal algérien», qui est la somme de défauts ataviques, de maux, de travers sociaux, de vices, de lacunes, de carences et de besoins sociopolitiques refoulés, accumulés au fil des années par la société algérienne et qui entravent sérieusement son épanouissement moral, politique, économique, culturel, sportif, scientifique et technique. Sans m’attarder sur les plus «mignons» d’entre eux, qui constituent beaucoup plus des péchés ou des pratiques sociales à la limite de la morale, de la logique et de la légalité, que des tares irrémissibles, je voudrais en présenter les plus significatifs, c'est-à-dire ceux qui sont devenus de véritables fléaux sociaux, qui ont des conséquences directes, graves sur l’état général du pays et de la nation, traumatisée par trois décennies de bureaucratie et de monopoles politiques, économiques et culturels, et une décennie de terrorisme barbare et dont ils menacent la sécurité, l’unité, la stabilité et la cohésion.
Corruption : une dangereuse expansion
Il est de notoriété publique que jusqu’à la fin des années 1970, la grande corruption était limitée à certaines sphères politiques, économiques et sociales influentes, qui mettaient à profit les différents monopoles que leur conférait la loi et leurs positions pour s’enrichir illicitement. La corruption s’est réellement «démocratisée» avec l’ouverture politique et économique du pays et la paupérisation rampante de larges pans de la société, qui en a résulté, à cause, notamment, de la conjonction de facteurs négatifs endogènes et exogènes et la réduction drastique du pouvoir d’achat de la classe moyenne littéralement laminée par le processus de soumission de l’économie nationale aux conditions draconiennes du Fonds monétaire international, dans le cadre des plans d’ajustements structurels successifs imposés au pays pour le rééchelonnement de sa dette extérieure, dont le remboursement accaparait l’essentiel de ses recettes extérieures. Cette paupérisation continue a poussé tous ceux qui détenaient une parcelle du pouvoir administratif et économique à l’utiliser pour «améliorer» leurs conditions de vie de plus en plus difficiles et insupportables. La crise politique, économique et le terrorisme aidant, chacun s’est mis à «négocier» le moindre service qu’il pouvait rendre et rentabilisait comme il pouvait les fonctions qu’il occupait, dans une atmosphère délétère de fin de règne annoncée et selon un code de déontologie bien compris par les prestataires de ces services et leurs récipiendaires. Les conditions objectives d’une corruption généralisée ont été ainsi peu à peu créées pour permettre à des aventuriers, sans foi ni loi, comme Abdelmoumène Khalifa, de se jouer de toutes les institutions politiques, administratives et financières du pays, en corrompant les uns, en amadouant les autres et en achetant le silence de certains avec, ironie du sort, des sacs à ordures pleins de billets de mille dinars algériens. Quelle dépravation des mœurs politiques et sociales ! L'embellie financière due au renchérissement, au début des années 2000, des prix du gaz et du pétrole, qui constituent plus de 98% des exportations algériennes, a donné naissance à la grande corruption, dont les exploits se chiffre en centaines de millions, voire milliards, d'euros et qui touche essentiellement le sommet de l'Etat algérien, comme les Chakib Khelil et consorts. Ce sont précisément des scandales comme ceux de Khalifa, BRC, BCIA, BNA, Sonatrach, autoroute Est-Ouest, etc. qui s’inscrivent dans la droite ligne des «affaires» comme celle des «26 milliards», qui portent un préjudice considérable à l’image de l’Etat algérien et à sa crédibilité interne et externe, notamment vis-à-vis des investisseurs nationaux et étrangers désireux de s’implanter dans un pays qui offrent pourtant des opportunités commerciales exceptionnelles. Il est vrai qu’un système, qui a commencé son long règne, au lendemain de l’indépendance, par le détournement, en 1962, par qui nous savons tous, du «Fonds de solidarité», essentiellement constitué des bijoux de nos mères et des maigres économies de nos pères, ne pouvait que terminer par des affaires comme celles de Khalifa, qui constitue une autre main basse organisée sur les dépôts de centaines de milliers de petits épargnants et de dizaines d’organismes publics et privés. Nos partenaires étrangers vont nous juger sur notre manière de «régler» ces affaires. La place peu reluisante que Transparency International attribue à notre pays dans son classement des pays les plus corrompus du monde doit nous donner à réfléchir pour prendre d’urgence les mesures adéquates afin de freiner la dangereuse expansion que connaît ce fléau dans notre pays. Certes, pour prouver notre bonne intention, l’adhésion à la Convention des Nations unies contre la corruption, que l’Algérie a signée avec quelques réserves, est une condition nécessaire, mais pas suffisante, car le plus important n’est pas sa signature, mais les modalités de sa mise en œuvre dans le cadre des mécanismes qu’elle prévoit à cet effet.
Népotisme et régionalisme : les enfants de la médiocrité
Il n’y a pas plus dangereux et plus absurde que cette tristement célèbre sentence sortie de la bouche d’un de nos hommes politiques : «Hmarna wala aoudhom» (notre âne plutôt que leur cheval). Notre pays est immense et a besoin pour sa défense et sa bonne gouvernance politique et économique durable d’hommes et de femmes aux qualités morales, physiques et intellectuelles élevées. Ce sont les défis majeurs auxquels il fait face qui l’exigent. Cette vision réductrice est dangereuse pour la cohésion, l’unité et la stabilité du pays, et ne profite qu’à nos ennemis que le développement de notre pays dérange visiblement. Contrairement à la «régionalisation», qui est indispensable à la bonne gouvernance politique, économique, sociale et administrative d’un aussi vaste pays que le nôtre et qui relève de la politique d’aménagement du territoire, qui vise à développer les vocations naturelles de nos différentes régions géographiques, le népotisme et le régionalisme réduisent la composante humaine d’un pouvoir ou d’une responsabilité à une famille, un clan, un douar, ou au mieux à une ville ou wilaya. En tout état de cause, si nous sommes incapables de serrer nos rangs pour mettre de l’ordre dans notre grande maison commune, d’autres, qui convoitent nos territoires et les formidables ressources naturelles qu’ils renferment, se chargeront, sous un prétexte ou un autre, de le faire à notre place et nous imposeront leur ordre cruel, comme ils l’ont fait en Irak, en Libye et en Syrie, par exemple, ruinés par l’esprit tribal de leurs dirigeants successifs. Le redressement du pays n’est pas la seule affaire du gouvernement ou des partis politiques, mais également celle de la société civile algérienne, à travers notamment les différentes associations et organisations non gouvernementales qui la composent. Les champs politique et médiatique doivent leur être ouverts et accessibles. Sinon, ce sont leurs consœurs étrangères, d’obédiences diverses, qui ne cachent pas leur hostilité à notre pays et qui se nourrissent de nos contradictions internes et de nos faux problèmes, qui exploiteront nos défaillances structurelles et conjoncturelles pour exercer sur nous toutes sortes de pressions dans le but de nous obliger à accorder des concessions importantes de notre souveraineté et de nos ressources naturelles non renouvelables aux organisations internationales et aux compagnies multinationales majoritairement contrôlées par les pays occidentaux, qui financent également la plupart des ONG internationales. A l’heure de la mondialisation, ce que les ONG et médias nationaux ne pourront pas dire ou faire sera dit et fait, de manière amplifiée et avec tous les risques de manipulation possibles, par les ONG et médias internationaux, qui terrorisent les gouvernements qui ont «de la paille dans leur ventre», c'est-à-dire qui souffrent d'une mauvaise gouvernance. L’Etat a la responsabilité et le devoir de créer l’environnement juridique, économique et social le mieux à même de favoriser l’émergence d’une société civile saine qui assumera pleinement sa part de bonne gouvernance du pays et le déchargera de missions dont il s’encombre parfois inutilement. Ensemble, ils atténueront les effets néfastes du terrorisme qui a détruit une grande partie des infrastructures économiques, éducatives et sociales du pays et décimé ses ressources humaines, dont la formation a coûté au pays des dizaines de milliards de dollars américains et qui ont massivement fui le pays durant la décennie 1990, et continuent à le fuir à cause de la hogra érigée en mode de gouvernance depuis 1999.
Machisme et hogra : il n’est jamais trop tard pour bien faire
«Eduquez bien vos filles et laissez les faire», dit un vieil adage algérien. En effet, aucune laisse, aucune ceinture de chasteté et aucun corset ne peuvent empêcher une femme de faire ce qu’elle a envie de faire, quand le «Diable» habite son esprit ou son corps. Ce sont souvent les éducations rigoureuses, humainement insupportables, qui ont été à l’origine des scandales qui ont défrayé les chroniques sociales et donné lieu aux monstruosités les plus incroyables. Des textes comme notre statut de la famille, malgré le léger toilettage qu’il a récemment subi, inhibent considérablement nos filles et nos femmes et privent le pays d’un potentiel formidable que la réussite incontestable de certaines de nos sœurs ne saurait éclipser. Jadis, parents pauvres des législations internes conservatrices, les femmes sont aujourd’hui, au même titre que les enfants d’ailleurs, bien protégées par des conventions internationales qui énumèrent et garantissent leurs droits fondamentaux et les mettent à l’abri de fléaux comme la drogue et la prostitution, qui minent notre société profondément marquée par les méfaits du terrorisme dont elle garde encore les séquelles physiques et psychologiques. La «question» de la femme n’est donc pas seulement une affaire de «genre» ou de «discrimination positive», mais une affaire de culture et d’éducation. Sans aucun doute, l’éducation, la formation et la justice sociale et économique permettent aux pays qui en ont fait la clé de voûte de leurs institutions et des axes majeurs de leur développement d’enregistrer des avancées indéniables dans tous les domaines, et de bâtir une cohésion sociale et une stabilité politique durables qui réduisent sensiblement leur vulnérabilité face aux aléas de la vie. Au plus fort de la crise, qui a failli emporter l’Etat algérien dans les années 1990, ce sont justement ces valeurs ancestrales, bien gardées par nos grand-mères, mères, épouses sœurs et filles, qui ont permis à notre société de transcender la tragédie qui a frappé le pays à cause des négligences coupables des uns, qui ont engendré la folie destructrice et nihiliste des autres, qui a considérablement fait reculer le pays, dans tous les domaines. Hasard ou nécessité, c’est une femme, dont les qualités morales et professionnelles font l’unanimité, qu’incombe, aujourd’hui, la lourde tâche de démêler l’écheveau Khalifa. Par ailleurs, une autre femme domine la scène politique nationale depuis des années déjà. C’est, en l’occurrence Mme Louisa Hanoune, communément appelée «la Pasionaria algérienne», en raison de son opposition farouche au libéralisme économique et social débridé du gouvernement et de son fameux «no pasaran» aux réformes de Khelil et de Temmar, les «hommes d'Etat» que Bouteflika avait ramenés dans sa djellaba, en avril 1999, et dont on connaît le sort qui leur a été réservé par la suite. Paradoxalement, la femme algérienne, qui a commencé à jouir des droits politiques bien avant ses congénères des pays arabes et de certains pays d’Europe, les a vus, à cause d’un environnement de plus en plus machiste, se rétrécir comme peau de chagrin par qu’ils n’ont pas été consolidés par d’autres acquis. Qui n’avance pas recule. S’ils ont permis de «secouer le palmier», les combats solitaires menés par des organisations ou des personnalités nationales pour accroître ces droits n’ont pas encore donné les résultats escomptés. A cause du terrorisme, de la pauvreté et de préjugés sociaux absurdes, beaucoup de nos filles en âge d’être scolarisées ou de travailler ne vont pas à l’école ou sont exclues prématurément et trouvent d’énormes difficultés à se procurer un emploi conforme à leur profil, alors même que la Constitution leur reconnaît le droit d’étudier gratuitement jusqu’à l’âge de 16 ans et d’avoir un emploi qui leur permet de vivre décemment. Tant qu’il aura des femmes de la trempe des héroïnes légendaires qui ont marqué d’une manière indélébile son histoire contemporaine et ancienne, notre pays réussira toujours à remonter des abysses dans lesquelles la mentalité cupide et obstinée de ses hommes politiques l’a plongé, à maintes reprises. En tout état de cause, à l’instar du corps humain, le corps social subit, en période de faiblesse, les attaques de toutes sortes de virus, qui exploitent cet état fébrile pour se renforcer aux dépens de son équilibre général. C’est précisément le cas de la société algérienne, qui depuis quelques années a développé de nombreux fléaux qui portent sérieusement atteinte à sa santé et à la crédibilité du pays. Ce sont, entre autres, le trafic de la drogue et de stupéfiants divers, l’Algérie devient un pays de destination et même de culture alors, qu’il y a quelques années à peine le territoire algérien ne servait que de transit à ce trafic, dont le volume s’intensifie d’année en année, le pillage du patrimoine marin (corail notamment), archéologique (des nombreux musées et sites du pays), la contrefaçon, sous toutes ses formes, et la dramatique question de l’émigration clandestine de nos jeunes harraga vers l’Europe. C’est dire que les défis qui attendent gouvernement et société civile sont nombreux et variés, à l'instar du mal qui ronge l'Algérie Etat, nation et société.
Rabah Toubal
 

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