Pr Mebtoul à RFI : «Ce que l’Algérie doit faire pour éviter la crise»

Dans une interview accordée à Radio France Internationale (RFI) qui sera diffusée ce mercredi, le professeur Abderrahmane Mebtoul s’est longuement étalé sur les soubresauts du marché pétrolier international et leur impact sur une économie algérienne structurellement arrimée aux recettes des hydrocarbures. L’invité de RFI, en réponse à une question du journaliste, a livré ce qu’il considère comme des recommandations à l’adresse du gouvernement algérien dans le but d’éviter de tomber dans les mêmes travers que ceux ayant découlé de la gestion de la crise pétrolière de 1986. D’emblée, l’expert conseille d’«éviter la langue de bois» et de «dire la vérité à la population algérienne». M. Mebtoul a, à cette occasion, estimé que le gouvernement algérien devrait aller vers une loi de finances complémentaire afin, explique-t-il, de diminuer les sorties de devises du pays, et «plus de rigueur budgétaire». D’après lui, l’Algérie ne peut pas continuer de dépenser sans compter en épuisant ses réserves d’hydrocarbures et a besoin de revoir sa politique afin d’instaurer une véritable économie productive. «Elle ne peut continuer dans cette voie suicidaire pour les générations futures, au risque d’une aggravation du déficit budgétaire, de l’épuisement du fonds de régulation des recettes et des réserves de change à l’horizon 2018/2020, et d’une accélération du processus inflationniste», estime l’expert international. Il ajoute que pour l’Algérie est posé «le problème de sa sécurité énergétique et, d’une manière générale, de la transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures s’insérant dans le cadre des valeurs internationales». M. Mebtoul préconise également l’instauration de co-partenariats gagnant-gagnant qui «sont nécessaires avec l’ensemble des pays développés, l’Algérie ayant besoin de transfert technologique et managérial pour réussir sa transition». Disséquant les recettes tirées par l’Algérie de la vente des hydrocarbures, l’expert a, notamment, mis en exergue la gravité de la situation, née de la baisse continue, ces dernières années, des revenus pétroliers. «Les recettes de Sonatrach qui représentent 98% ont été de 73 milliards de dollars entre 2011 et 2012, 63 milliards de dollars fin 2013 (moyenne du cours de 104 dollars) et 57 milliards de dollars fin 2014, selon le FMI (moyenne du cours annuel entre le premier et le second semestre d’environ de 80/82 dollars). Un cours du baril moyen de 70 dollars donnerait 45 milliards de dollars de recettes à Sonatrach (hypothèse du même volume) et à 60 dollars le baril environ, 40 milliards de dollars, donnant un répit de trois et à cinq années au même rythme de la dépense publique actuelle», explique-t-il, tout en mettant en garde contre la lenteur dans la prise de décision. «Le Vénézuéla, indique-t-il, fonctionne sur la base d’un cours de 160 dollars, l’Iran sur celle de 140 dollars, et l’Algérie et la Russie sur un cours de 115 à 120 dollars ; une baisse de plus de trois à quatre années aurait une incidence sur les équilibres budgétaires et sociaux». Entre les subventions et les transferts sociaux, le gouvernement algérien consacre, d’après M. Mebtoul, 60 milliards de dollars par an, soit plus de 26% de son produit intérieur brut. «Ici doit être introduite la forte consommation intérieure où pour le gaz traditionnel, du fait du faible prix, qui pourrait dépasser les exportations actuelles qui peinent à dépasser les 55 milliards de mètres cubes gazeux», souligne l’expert. Il relève que Sonatrach, selon les données de la Banque mondiale, a engrangé 700 milliards de dollars entre 2000 et 2013 et importé pour 550 milliards de dollars, la différence, indique-t-il, étant le niveau actuel des réserves de change. M. Mebtoul note aussi la «corrélation de 70%» entre la valeur de la monnaie algérienne, le dinar, et les cours des hydrocarbures. «Toute baisse des recettes et donc des réserves de change entraîne mécaniquement un dérapage de la valeur du dinar par rapport aux monnaies fortes dont le dollar et l’euro», explique-t-il à ce sujet. Evoquant les déclarations récentes du ministre chargé des Relations avec le Parlement, qui a donné le montant de 5 000 milliards d’arriérés fiscaux, soit environ 47 milliards d’euros ou plus de 57 milliards de dollars, M. Mebtoul s’interroge sur la méthode qu’utilisera le gouvernement pour ramener cette masse monétaire de la sphère informelle. «Comment dès lors transformer cette épargne virtuelle, en évitant le matraquage bureaucratique, mais au moyen de mécanismes économiques, en richesse réelle, le financement pour certains projets par le marché bancaire étant souhaitable ?» se demande l’expert. Interrogé sur les divergences au sein de l’Opep à propos de la baisse de la production d’hydrocarbures et l’appel du ministre de l’Energie, Youcef Yousfi, aux membres de l’organisation, l’expert, citant les dernières déclarations du ministre de l’Energie saoudien, affirme que même à 20 dollars, l’Arabie Saoudite ne réduira pas sa production et qu’il n’y aura pas de réunion de l’Opep avant juin 2015. «Je ne pense pas que cet appel puisse avoir des échos, car sans l’aval de l’Arabie Saoudite – plus de 10 millions de barils/jour et espérant aller vers 15 millions –, il est impossible de tenir cette réunion», estime l’expert qui relève que l’Algérie a une part relativement faible au niveau de l’Opep, environ 1,4 million de barils/jour sur un total Opep de plus de 30 millions de barils, soit 4%, et moins de 1% des réserves mondiales». «Ici n’interviennent pas seulement des raisons économiques, mais des raisons géostratégiques», tranche l’expert qui explique que l’Arabie Saoudite, avec le pétrole de schiste, «ne veut pas également perdre des parts de marché face aux Etats-Unis, car nous allons assister avec ces bas prix à une nouvelle concentration des compagnies comme cela s’est passé après la crise de 2008 pour le système financier, mais dans le cadre de la géostratégie, le prix d’équilibre sera fondamentalement déterminé à l’avenir à partir d’une entente entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite».
Amine Sadek
 

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