La police française avait mis en garde indirectement contre les dérives de Charlie Hebdo

Le syndicat de la police française a exigé en 2013 «l'arrêt de la surveillance» du journal Charlie Hebdo. C’est ce que révèle l’autre hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné dans sa dernière édition. Selon ce journal, reprenant un document officiel, le syndicat des policiers a qualifié, à l'époque, cette protection policière d’«inadmissible» et de «luxe». Les policiers trouvaient ainsi «inadmissible» que «depuis plus de sept mois, les compagnies d'intervention fournissent jusqu'à neuf collègues par jour pour la protection des locaux privés d'un journal». Le syndicat allait même plus loin en considérant la surveillance de Charlie Hebdo comme une «tâche indue» et un «luxe». «Le 4 avril, lors d’une audience auprès du directeur de la DOPC, nous avons exigé l’arrêt immédiat de la mission Charlie Hebdo !» est-il écrit dans le document produit par le syndicat. Ces révélations se recoupent avec des informations confirmant l’absence de garde graduelle devant les locaux du journal déjà attaqué une première fois en 2011. Au-delà de la polémique qui ne fait que commencer en France sur les responsabilités du corps policier en charge de la protection du siège de Charlie Hebdo, le constat établi par le syndicat policier depuis une année traduit un sentiment de désarroi réel au sein de ce corps de sécurité par rapport à une décision éminemment politique – la surveillance des locaux d’un journal pris pour cible pour la publication de dessins sciemment provocateurs – prise par les autorités politiques de l’époque. Décision qui aurait incontestablement encouragé l’équipe qui faisait ce journal à maintenir sa ligne éditoriale le plus longtemps possible, sans avoir à craindre des représailles. A l’issue de la première attaque, sans grands dégâts contre les locaux de l’hebdomadaire, la classe politique française était unanime à apporter son soutien au journal, sans la moindre réserve sur le contenu de ses publications. Indirectement, les policiers rejettent la responsabilité sur les politiques qui, d’après eux, n’auraient pas dû décider le renforcement de la surveillance de ce journal pour ne plus assumer les dérives d’un journal qui, lui-même, s’affiche comme «irresponsable».
Le pas sera-t-il franchi : contrôler Internet en France ?
Les mesures «exceptionnelles» annoncées en France pour lutter contre la menace terroriste n’ont pas tardé à être présentées. On s’y attendait. Le Premier ministre, Manuel Valls, les a données aujourd’hui sous la forme d’un plan d’action. Il y aura plus de monde pour se consacrer à cette tâche. «Il faut surveiller près de 1 300 personnes, Français ou étrangers résident en France, pour leur implication dans les filières terroristes en Syrie et en Irak », a-t-il expliqué pour justifier le renforcement en personnel du dispositif antiterroriste. Quand on y ajoute les 400 à 500 personnes concernées par les filières plus anciennes ou concernant d'autres pays, ainsi que les principaux animateurs actifs dans la sphère cyberdjihadiste francophone, cela fait, dit-il, en tout près de 3 000 personnes à surveiller. Nous l’avions évoqué dans un article précédent, le retour à la «peine d'indignité nationale» est envisagé pour les terroristes français, «de souche», qui n’ont pas la double nationalité et qui ne peuvent donc être déchus de la nationalité française. Les personnes concernées seront assimilées aux traîtres qui ont collaboré avec le régime nazi pendant l'occupation allemande et se verront privées notamment de leurs droits civiques, civils et politiques. Le gouvernement français et sans doute l’UMP aussi – puisqu’on parle de plus en plus d’union nationale entre la gauche au pouvoir et la droite dans l’opposition – n’hésitent pas à rouvrir une page de l’histoire d’un conflit sur lequel est pourtant passé un vent de réconciliation entre les deux pays. Ils ne craignent pas également l’amalgame en donnant une religion aux terroristes, avec la décision d’affecter des imams dans les établissements pénitentiaires pour lutter contre la radicalisation de certains détenus dans les prisons françaises. Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, semble plus avisé en ciblant Internet. Il ira aux Etats-Unis pour «sensibiliser» sur la question les grands opérateurs d'internet comme Google, Facebook ou Twitter. Car, ont-ils enfin compris, les appels à commettre des attentats en France ne partent pas des mosquées, encore moins celles implantées dans l’Hexagone, tout comme la «radicalisation», comme ils la nomment, ne se fait pas par un imam dans une mosquée. Bernard Cazeneuve annonce qu’il y aura une mesure de blocage administratif des sites faisant l'apologie du terrorisme. En résumé, Internet sera contrôlé. Quand cette mesure a été prise par d’autres pays pour la même raison de sécurité nationale, on se souvient du tollé et surtout des railleries que cela a soulevés dans les «démocraties occidentales». La France y arrive elle aussi. En fait, tout est bon pour lutter contre le terrorisme à condition de ne pas s’attaquer à ses racines sociales. Le ministre des Affaires religieuses algérien, Mohamed Aïssa, a évoqué les racines sociales de la radicalisation des jeunes musulmans, non pas du fait de leur religion, mais parce qu’ils se sentent marginalisés, voire exclus de la société. Mais de ce côté qui relève de la politique économique et sociale du gouvernement français, rien ne semble être envisagé.
R. Mahmoudi et Houari Achouri

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